Le besoin pour les Palestiniens de se lever avec une théologie nouvelle.
Les Amis de Sabeel-France viennent de traduire le dernier numéro de la revue Cornerstone (Pierre angulaire), consacré aux théologies de Palestine.
Nous reproduisons ici l’étude biblique introductive de l’équipe de Sabeel.
Quand Jésus eut achevé tout son discours devant le peuple, il entra dans Capharnaüm. Un centurion avait un esclave malade, sur le point de mourir, qu’il appréciait beaucoup. Ayant entendu parler de Jésus, il envoya vers lui quelques notables des Juifs pour le prier de venir sauver son esclave. Arrivés auprès de Jésus, ceux-ci le suppliaient instamment et disaient : « Il mérite que tu lui accordes cela, car il aime notre nation et c’est lui qui nous a bâti la synagogue. » Jésus faisait route avec eux et déjà il n’était plus très loin de la maison, quand le centurion envoya des amis pour lui dire : « Seigneur, ne te donne pas cette peine, car je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit. C’est pour cela aussi que je ne me suis pas jugé moi-même autorisé à venir jusqu’à toi ; mais dis un mot, et que mon serviteur soit guéri ! Ainsi, moi, je suis placé sous une autorité, avec des soldats sous mes ordres, et je dis à l’un : “Va”, et il va, à un autre : “Viens”, et il vient ; et à mon esclave : “Fais ceci”, et il le fait. » En entendant ces mots, Jésus fut plein d’admiration pour lui ; il se tourna vers la foule qui le suivait et dit : « Je vous le déclare, même en Israël, je n’ai pas trouvé une telle foi. » Et de retour à la maison, les envoyés trouvèrent l’esclave en bonne santé.
Or, Jésus se rendit ensuite dans une ville appelée Naïn. Ses disciples faisaient route avec lui, ainsi qu’une grande foule. Quand il arriva près de la porte de la ville, on portait tout juste en terre un mort, un fils unique dont la mère était veuve, et une foule considérable de la ville accompagnait celle-ci. En la voyant, le Seigneur fut pris de pitié pour elle et il lui dit : « Ne pleure plus. » Il s’avança et toucha le cercueil ; ceux qui le portaient s’arrêtèrent ; et il dit : « Jeune homme, je te l’ordonne, réveille-toi. » Alors le mort s’assit et se mit à parler. Et Jésus le rendit à sa mère. Tous furent saisis de crainte, et ils rendaient gloire à Dieu en disant : « Un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple. » Et ce propos sur Jésus se répandit dans toute la Judée et dans toute la région.
Les disciples de Jean rapportèrent tous ces faits à leur maître. Et lui, s’adressant à deux de ses disciples, les envoya vers le Seigneur pour lui demander : « Es-tu “Celui qui vient”, ou devons-nous en attendre un autre ? » Arrivés auprès de Jésus, ces hommes lui dirent : « Jean le Baptiste nous a envoyés vers toi pour te demander : Es-tu “Celui qui vient”, ou devons-nous en attendre un autre ? » À ce moment-là, Jésus guérit beaucoup de gens de maladies, d’infirmités et d’esprits mauvais et il donna la vue à beaucoup d’aveugles. Puis il répondit aux envoyés : « Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres, et heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi ! » (Luc 7.1 – 23)
En tant que Palestiniens, nous estimons que nous sommes emprisonnés – cernés par le mur, les postes de contrôle, et l’occupation militaire. Nous ne voyons pas au-delà des murs de notre prison quotidienne. Nos mouvements sont restreints, et même notre vie à l’intérieur de nos maisons est strictement contrôlée.
La Nakba de 1948 ne représente pas simplement une catastrophe sociale et territoriale, mais aussi théologique. Nous sommes comme Jean-Baptiste, sans aucun moyen d’exprimer notre foi dans le Seigneur. Isolés, comment pouvons-nous encore espérer, quand tout autour de nous n’est que ténèbres ? Comment pouvons-nous garder cette espérance dans ce contexte de désespoir ?
« Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » (Luc 7. 20). Es-tu Celui par qui l’occupation prendra fin et qui détruira le mur ? Es-tu Celui qui répondra à nos prières pour la justice ? Nos questions d’aujourd’hui questions ressemblent à celles de Jean-Baptiste en son temps ; elles viennent de la même terre, sous occupation, et d’un même sentiment de désespoir.
Ces questions ont été posées après la guérison de l’esclave du centurion (Luc 7.1-10). Cependant, cette parabole dépasse le sujet d’une simple guérison, ou même d’un miracle. S’il y a un miracle dans cette histoire, c’est la constatation par Jésus de la foi du centurion : « Je vous le dis, même en Israël je n’ai pas trouvé une telle foi. » (Luc 7.9) Jésus crée une brèche dans le mur – et y laisse passer un bref éclat de lumière. Il remet en question l’idée que, quelques-uns seulement reçoivent le don de la foi, que quelques-uns seulement sont les « élus » de Dieu.
Comme le mur doit être démoli, ces convictions doivent être remises en cause. Jésus voit au-delà du mur de la ségrégation et de la discrimination. Il voit la foi dans un étranger, un soldat dont la responsabilité est de maintenir l’occupation. Il voit la foi là où personne d’autre ne la voit. Tout le monde a des yeux pour voir, mais Jésus suit l’exemple d’Ésaïe 11.3 : « Il ne jugera pas d’après ce que voient ses yeux, il ne se prononcera pas d’après ce qu’entendent ses oreilles. » Jésus ouvre les yeux de ceux qui ne peuvent voir, ceux dont la douleur et la souffrance les rendent incapables de voir la foi dans le regard d’un autre. Il guérit notre douleur et nous permet de voir au-delà des murs de nos vies, nous donnant la volonté de voir dans l’ « autre » un frère ou une sœur.
Peu de temps après sa rencontre avec le centurion, Jésus rencontre une veuve pleurant la mort de son fils. Comme cela se passerait de nos jours, on voit une grande foule pleurer avec la mère la mort du fils. Sous occupation, la perte d’un enfant n’est pas une peine personnelle – c’est une Nakba sociale. La mort porte l’espérance de la libération, – et un jeune homme porte la promesse d’un peuple entier. La mort d’une personne jeune, quelle qu’elle soit, brise la force d’un peuple sous occupation : c’est une défaite sociale et politique. Jésus se tourne vers la mère avec compassion : « Ne pleure pas. » Nous entendons l’écho des Béatitudes : « Heureux vous qui pleurez maintenant : vous rirez » (Luc 6.21). La mère rira, et toute la foule autour d’elle rira également, leur espérance sera restaurée, leur avenir sera renouvelé.
« Kumi ! » le jeune homme se lève et parle ! Ses paroles sont des paroles d’espérance. Par deux fois, les morts ont été relevés. L’espérance émerge de l’anéantissement de la mort, elle ouvre ainsi davantage de brèches dans le mur. La mort n’aura pas le dernier mot : ressuscités, les morts annonceront la Bonne Nouvelle pour montrer que la vie est plus forte que la mort.
La foule s’écrie alors « Un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple. » (Luc 7.16). Un prophète s’est levé, donnant une voix à ceux qui ont été retranchés des vivants. Dieu est vraiment ici avec Son peuple. Le voyons-nous nous visiter ? Nous lèverons-nous ?
Dans sa prison, Jean-Baptiste entend parler de ces événements, mais ne peut pas les voir. Il ne voit pas au-delà des murs de sa prison. Il envoie des messagers à Jésus : un prophète parle à un autre au travers de ces messagers, s’affranchissant des contraintes de la prison, tout comme de nos jours les réseaux sociaux peuvent être utilisés pour donner une voix à ceux qui n’en ont pas.
L’heure est-elle venue de se lever maintenant ? Quelle direction devons-nous prendre ? Comment pouvons-nous interpréter ce que nous entendons ? « Es-tu “Celui qui vient”, ou devons-nous en attendre un autre ? »
Jésus ne répond pas par « oui » ou par « non » aux questions des messagers. Il ne les rassure ni ne les réconforte en leur répondant « oui ». Il les envoie annoncer ce qu’ils ont vu et entendu. Il ne les renvoie pas vérifier les faits par eux-mêmes ; mais Il cite l’Écriture : « Les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres… » (Luc 7.22).
Oui, à travers Jésus, les Écritures trouvent leur accomplissement. Elles sont vivantes parce qu’elles sont enracinées dans des paroles et des actes. Elles sont enracinées dans nos actes, dans notre foi, et notre ouverture à l’« autre ».
« Kumi ! » Dans la jeunesse, dans les fils et les filles, dans les étrangers, dans l’aveugle, dans le boiteux, dans le mort, nous voyons la Bonne Nouvelle se manifester. « Celui qui vient » est parmi nous, dans chacun de ceux que la foi pousse à se lever contre l’oppression de notre prison. L’espérance est la puissance qui nous fera nous lever.
Au Premier Rassemblement international de Sabeel qui s’est tenu au début du mois de décembre 2019 à Bethléem, ont participé un certain nombre d’organisations comme le Centre Al Liqa », l’Université biblique de Bethléem, Kairos Palestine, l’Université Dar al-Kalima, et Musalaha, le Ministère de la Réconciliation. Ces organisations se sont développées à partir du besoin pour les Palestiniens de « se lever » avec une théologie nouvelle. Sabeel est reconnaissant envers les organisations qui ont bien voulu participer à cette nouvelle manière de réunir les gens.
Cette édition de Cornerstone (La Pierre angulaire) est née de ce même sens donné à « Kumi », et participe d’une tentative de rassembler les diverses organisations et théologies présentes chez les chrétiens palestiniens. Sabeel a donc interviewé un certain nombre de théologiens palestiniens et réuni ici les transcriptions de ces entretiens. Cet ensemble d’entretiens vise à donner au lecteur une large vue d’ensemble des différentes théologies développées par les chrétiens palestiniens en Palestine et en Israël.