Fête de la Pentecôte – Quelques réflexions pour la « vie d’après »
Par Jean Joseph Stenger
Encore à demi confinés au Cénacle, après le départ de Jésus, les apôtres, entourés de Marie et de quelques femmes, étaient réunis dans la prière, et se demandaient : « de quoi sera fait demain ? »
C’est aussi notre question aujourd’hui, même si nous sommes heureux de pouvoir à nouveau célébrer l’Eucharistie dans nos églises, après ce long temps de « retraite », du début du carême jusqu’à la Pentecôte. La semaine dernière, une paroissienne de Mutzig m’écrivait : « Nous avons fait tout ce chemin, expérimenté d’autres façons d’être en communion, pris davantage de temps pour la prière et la réflexion, découvert pour certains combien la vie chrétienne débordait largement la seule célébration de la messe. De combien de chrétiens dans le monde cette situation représente-t-elle l’ordinaire ? Au plus près de nous, dans la France rurale, et dans tous ces pays où la messe n’est célébrée que rarement, ou dans les endroits où ils sont menacés et ne peuvent vivre qu’une foi cachée, ces chrétiens le sont pourtant à part entière ! Nous avons à apprendre d’eux… l’Eucharistie, “source et sommet de la vie chrétienne”, ne signifie pas “hors la messe point de salut”. J’ai peur que cette sorte de focalisation sur la célébration de la messe au plus vite nous fasse revenir en arrière, comme si nous n’avions rien appris de cette épreuve… Parce que si les préoccupations sanitaires doivent être une préoccupation permanente, quelle place laisserons-nous disponible à la Présence Réelle du Seigneur ? »
Le grand théologien Bernard Sesboué écrit dans son dernier livre sur l’Eucharistie : « la visée ultime de l’Eucharistie n’est pas le changement du pain et du vin en Corps et Sang du Christ, mais l’accès de toute l’assemblée au Corps du Christ par le don de l’Esprit. »
Comme aux apôtres, Jésus nous donne l’Esprit saint pour nous envoyer au-dehors, au milieu de notre peuple. Écoutons le Père de l’Église, Jean Chrysostome (bouche d’or), évêque de Constantinople en 397 : « Veux-tu honorer le Corps du Christ, alors honore-le dans le corps de celui qui a faim, de celui qui est nu. L’autel qui reçoit le Corps du Christ, il est dans les rues et les places. Partout tu peux y célébrer ta liturgie. »
En cette fête de la Pentecôte, l’Esprit Saint nous est présenté dans le Livre des Actes des Apôtres comme un grand coup de vent, comme une tempête et aussi comme un feu. Des images qui évoquent cette pandémie qui nous a secoués, bousculés, et pour certains brûlés comme un feu dévorant, mais aussi comme le feu d’amour qui a brûlé dans le cœur des soignants dans les hôpitaux, les EHPAD et à domicile, et de tous les invisibles qui ont pris soin de nous.
La crise n’est pas finie. Un chef d’entreprise disait l’autre jour à la télé : « le Covid 19 est aussi dévastateur qu’un tsunami. »
Dans l’hebdomadaire chrétien La Vie, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT disait le 21 mai : « Le plus dur est devant nous. Les menaces sur le quotidien de nos concitoyens se multiplient. Le non-recours aux soins ou la rupture des soins, les difficultés pour se nourrir, pour payer son loyer, les pertes d’emploi. Le tissu économique est largement fragilisé, le risque de faillites et de drames sociaux se confirme ».
Il nous faut donc « sortir », comme aime le dire le pape François, pour panser les plaies de notre monde gravement malade et pour bâtir une société nouvelle. Et cela avec la force de l’Eucharistie, et la force de l’Esprit Saint.
« Je vous enverrai l’Esprit Saint, dit Jésus à ses apôtres. Il vous fera comprendre tout ce que je vous ai dit. ». L’Esprit Saint il est dans l’amour du Père et dans la Parole de son Fils. Avant de quitter ses disciples, Jésus ressuscité leur a dit : « Allez dans le monde entier, proclamer l’Évangile à toutes les créatures ». (Marc 16,15)
Oui, la Bonne Nouvelle est pour toutes les Créatures, les hommes, mais aussi les plantes, les arbres les oiseaux, les animaux sauvages et les animaux domestiques. Tout est lié, c’est ce que nous avons appris de cette pandémie.
Il nous faut faire le choix de la vie, le choix de l’humain, avant la croissance économique, avant la rentabilité, le profit, l’argent. Et cela passe par la responsabilité individuelle, personnelle, et par la solidarité collective, la construction d’une société plus juste, plus fraternelle.
À chacun de voir personnellement, dans sa famille ce qu’il peut changer pour plus de respect de la nature, de l’environnement, pour plus de solidarité.
Mais à nous chrétiens, ensemble, dans nos villes et villages, de chercher ensemble comment bâtir une société plus fraternelle. Je vous renvoie aux analyses des organisations syndicales et politiques qui veulent un monde plus juste et plus solidaire, je pense aussi en particulier au « pacte du pouvoir de vivre », signé par 50 organisations (comme la CFDT, le CCFD, Emmaüs, le Secours catholique, ATD Quart Monde, etc. [1] Il nous faut aussi la lumière de l’Esprit Saint.
Je me réfère au Père Antoine Chevrier, le fondateur du Prado en 1860. Il nous dit comment recevoir l’Esprit Saint :
- L’Esprit Saint est dans l’Évangile. « Qu’avons-nous à faire : étudier Notre Seigneur Jésus dans l’Évangile, écouter sa parole, examiner ses actions, afin de nous conformer à lui et nous remplir du Saint Esprit. Celui qui veut remplir sa vie de l’Esprit de Dieu doit beaucoup s’imprégner des paroles de Jésus, ses actes, son exemple, sa vie. »
- L’Esprit Saint est dans les pauvres et dans les petits, les enfants. Dieu a mis dans certaines âmes un sens spirituel et pratique qui renferme plus de bon sens et d’esprit de Dieu qu’il y en a dans la tête des plus grands savants. Témoins, certains bons paysans, quelques bons ouvriers, quelques bonnes ouvrières, femmes qui comprennent de suite les choses de Dieu. La preuve que l’Esprit saint n’est pas dans la science nécessairement ni dans les savants, c’est que Jésus a choisi ses apôtres parmi les pauvres et les humbles. Jésus priait ainsi : « Je te rends grâce, Père, d’avoir caché cela aux sages et aux savants et de l’avoir révélé aux petits.’ »
Ce sont bien les enfants de l’ACE et du MEJ qui, le 8 février, lors d’une « messe autrement », nous disaient ce qui est important : manger une bonne soupe, s’aimer en famille, et prendre soin de la nature, de la Création… C’était avant le coronavirus… - L’Esprit Saint est dans l’Église et dans le pape. Il est temps d’écouter le pape François et de le prendre pour guide pour les prochaines années. Le 24 mai, à l’occasion du 5ème anniversaire de l’encyclique Laudato Si, une encyclique prophétique, le pape François a lancé une année Laudato Si, pour « une écologie intégrale » : combattre la pauvreté, rendre la dignité aux exclus, et préserver notre maison commune, la nature, notre environnement. »
Je pense aussi à son exhortation apostolique : « la joie de l’Évangile » (2014), où il nous dit que l’important est que chaque homme puisse vivre dignement, manger, avoir de l’eau potable, se loger, se cultiver, mais que la vraie joie n’est pas dans l’argent et l’accumulation des richesses : « Je peux dire que les joies les plus belles et les plus spontanées que j’ai vues au cours de ma vie sont celles de personnes très pauvres qui ont peu de choses auxquelles s’accrocher. »
« Que ma joie soit en vous, que vous soyez comblés de joie », nous dit Jésus (Jean, 15, 11)
Puissions-nous connaitre la vraie joie, et en vivre.
Note :
[1] https://www.pactedupouvoirdevivre.fr/