Le pape François a un problème avec Taïwan
Par Michael Sainsbury
Pékin veut que le Vatican retire sa reconnaissance de la République de Chine, mais la voie à suivre pour Rome est semée d’embûches
Tout juste sorti de sa conquête effective de Hong Kong, le leader chinois Xi Jinping agite plus fort son sabre à propos de Taïwan.
Alors que progressent les pourparlers entre le Vatican et Pékin sur un nouvel accord sur la nomination des évêques, ou l’extension de l’accord existant signé en septembre 2018, le Vatican est confronté à un problème de plus en plus épineux avec Taïwan dont Pékin voudrait qu’il lui retire sa reconnaissance diplomatique de nation effectivement indépendante.
En effet, le Vatican fait désormais partie de la douzaine de petits pays d’Amérique latine, du Pacifique et d’Afrique qui reconnaissent officiellement Taïwan – dont le nom officiel est la République de Chine – et non la République populaire de Chine. Au cours des dernières décennies, Pékin a mené une campagne, utilisant principalement des pressions économiques et sans doute des menaces secrètes, pour faire entrer dans la colonne de la République populaire de Chine le nombre de plus en plus réduit de pays qui reconnaissent la République de Chine.
Le Vatican est aujourd’hui la seule nation européenne, certes minuscule, à reconnaître la République populaire de Chine. Les raisons historiques de cette situation sont claires : les représentants du Saint-Siège ont été chassés de la République populaire de Chine en 1951 par le Parti communiste chinois, au pouvoir ouvertement athée, puis par son despotique dirigeant à vie, Mao Zedong.
Rome n’a donc pas eu d’autre choix que de soutenir la « Chine » restante, croupion du Parti nationaliste du Kuomintang de Tchang Kaï-chek qui s’était réfugié à Taïwan après avoir perdu la guerre civile de 1945-49 au profit du Parti communiste chinois.
En effet, ce n’est qu’au bout de trois décennies, sous le programme de réforme et d’ouverture de Deng Xiaoping, que la religion organisée a enfin pu commencer à se reconstruire puis à s’épanouir, au point que plusieurs dizaines de millions de chrétiens (les estimations varient entre 60 et 100 millions) pratiquent aujourd’hui en Chine.
Mais alors que le christianisme s’épanouissait et que l’Église catholique se reconstruisait par l’intermédiaire de l’Association patriotique catholique chinoise dirigée par le Parti communiste chinois et de l’Église dite clandestine ou non officielle fidèle à Rome, le Vatican n’a pas réussi à établir une forme de relation officielle avec Pékin.
Il y a deux ans, cela a changé dans un premier temps pour normaliser la nomination des évêques afin de mettre un terme à une situation où des prélats étaient nommés par Pékin sans le consentement du pape, ce qui rendait cette nomination illégitime. L’accord a permis à Rome de reconnaître officiellement le Parti communiste chinois, mais pas explicitement la Conférence des évêques de l’Église catholique en Chine (CEECC), contrôlée par le Parti communiste chinois.
L’accord provisoire a toujours été présenté comme le début d’une relation plus large et l’une des prochaines étapes logiques serait la reconnaissance de la CEECC. C’est là un autre problème pour le Vatican, qui reconnaît déjà officiellement la Conférence régionale chinoise des évêques de Taïwan. Pékin insiste pour que les pays qui traitent avec elle à quelque niveau diplomatique que ce soit reconnaissent la « politique d’une seule Chine », ce qui signifie en fait qu’ils choisissent entre Pékin et Taipei. On peut difficilement imaginer que Pékin fasse une exception pour le Vatican.
La reconnaissance de la République de Chine place le Vatican dans une situation délicate. Bien qu’il n’ait pas caché publiquement et avec ardeur son désir d’établir une sorte de relation de travail avec Pékin, ce qu’il a maintenant fait, il doit être prudent dans ses prochaines démarches.
C’est peut-être peu, mais la puissance du nom du Vatican et le fait qu’il représente également le milliard et plus de catholiques dans le monde signifient que Pékin aura envie de sa reconnaissance et de l’auréole qui l’accompagnerait, surtout avec le pape François comme chef d’État.
Il n’aura pas échappé au Parti communiste chinois au pouvoir que le pape a une aura particulière à travers le monde, y compris dans un Occident de plus en plus sécularisé.
Il semble qu’il y ait des deux côtés une volonté de rapprochement, mais la méthode semble pour l’instant insaisissable.
Il serait même dangereux pour le Saint-Siège d’envisager de retirer sa reconnaissance diplomatique à Taïwan, car l’île est menacée par Pékin.
Le pape François a déjà été critiqué au sein de l’Église pour son silence sur les violations des droits de l’homme en Chine, en particulier par l’aile droite qui travaille contre sa papauté.
En effet, même un rafraîchissement de l’accord de 2018 sera controversé cette fois-ci, avec la révélation du génocide perpétré par Pékin sur le peuple ouïgour au Xinjiang, son écrasement de la liberté à Hong Kong et sa persécution des catholiques, des autres chrétiens et des musulmans sur le continent.
Toute allusion à l’abandon de Taïwan par le Vatican provoquerait certainement un tollé que même François ne pourrait ignorer.
Source : https://www.ucanews.com/news/pope-francis-has-a-taiwan-problem/89308?utm_source=SS&utm_campaign=_SpiceSend&utm_medium=email
Traduction : Lucienne Gouguenheim
Illustration : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:RP_Chine_administrative.svg