Quand la crise sanitaire est catéchèse
Par Patrice Dunois-Canette
Qui est Dieu et où est Dieu ?
Auprès de qui Dieu envoie-t-il son Fils ?
À qui celui-ci se donne-t-il en nourriture ?
Où fait-il son Église ?
Qui es-tu Toi qui envois aujourd’hui ton Fils dans les rues où vivent des pauvres toujours plus pauvres, des sans-abris et des sans titres et des sans papiers toujours plus vulnérables ? Qui es-tu Toi qui envois ton Fils dans les Ehpads où dépérissent des esseulés toujours plus seuls, des fragiles plus fragiles encore ? Qui es-tu Toi qui envois ton Fils dans les hôpitaux où respirent difficilement des malades, dans les maisons où pleurent, sans la consolation d’une présence familiale ou amicale, celles et ceux qui ont perdu un père, une mère, un fils… ?
Qui es-tu Toi qui regardes comme semblables à ton Fils celles et ceux qui tout simplement, tout humainement, nuit et jour, sont soignants, bénévoles des maraudes et des soins, visiteurs de voisins âgés et passeurs de coups de téléphone chez qui le téléphone ne sonne pas ?
Qui es-tu toi qui choisis d’habiter les lieux de détresse, de misère, les lieux sans terre ni ciel ? Qui es-tu Toi qui envois ton Fils faire de ces lieux son Église ?
Qui es-tu Toi qui, par ton Fils, te rends présent réellement, t’offres en nourriture, en eucharistie, pas seulement là où il y a autel et ambon.
Tu es un Dieu qui n’est jamais là où on l’attend, là où nous voudrions qu’il soit, là où souvent nous voudrions le confiner;
Tu es un Dieu qui ne veut pas de troupes, de courtisans zélés, de factotums empressés, de service de com qui lui disent là où il doit être présent et où sont rassemblés ceux qui lui font la claque ;
Tu es un Dieu qui a pris chair humaine, sait ce qu’est la peur de la mort et ce qu’est la souffrance de la mort de ceux que l’on aime ;
Tu es un Dieu qui dit qu’il ne répugne pas à descendre dans les enfers des désarrois, des fragilités et déséquilibres psychologiques que cause la pandémie ;
Tu es un Dieu qui dit à ceux qui pétitionnent sous le slogan « nous voulons la messe », qu’ils ne le rencontreront pas d’abord, en ce temps de pandémie, dans une messe que l’on croit mériter, que l’on croit posséder et qu’on dit être un droit alors quelle est offrande, don ;
Un Dieu qui appelle les fidèles impatients de pouvoir enfin célébrer le sacrement des sacrements, à le rejoindre autrement : dans la prière, la méditation, l’écoute de sa Parole, le soin du frère ; qui appelle à voir ce qui nous « manque » vraiment durant ce jeûne eucharistique, ce que nous désirons vivre quand nous célébrerons ensemble à nouveau la messe ;
Tu es un Dieu qui nous dit que nous sommes, nous ensemble, le corps de son Fils, sacrement de vie, pain de vie, Présence de Lui, Acte de Lui.
Ce Dieu-là n’est pas « religieux ». Il dérange et surprend. Il interroge nos désirs « religieux ». Il nous veut davantage chrétiens.
Des évêques, et non des moindres par leurs sièges ou fonctions, se sont égarés dans des démarches qu’ils n’auraient pas dû faire, et des soutiens douteux à des groupuscules qui tentaient d’emmener des fidèles sur les terrains glissants d’un catholicisme identitaire, fondamentaliste, politique qui n’a rien de chrétien. Ils ont donné une image de l’Église, centrée sur elle-même, préoccupée d’elle-même, ne pouvant vivre que par et pour le culte, et peu soucieuse de l’intérêt général, du bien commun. Pire, par leurs « fake news » sur l’État « persécuteur », ils ont contribué à maintenir celles et ceux parmi les fidèles qui se pensent en héros d’un retour à un ordre moral, politique et religieux du passé, dans une position victimaire nuisible pour eux-mêmes, dangereuse pour notre société.
Pourquoi n’ont-ils pas soutenu courageusement et publiquement que la messe n’est pas dite lorsqu’elle tourne le dos à celles et ceux qui dans cette crise sanitaire, attendent un réconfort, un soutien ou au moins qu’on ne leur fasse pas tort ?
Pourquoi encore une fois, n’ont-ils pas su ou pas voulu dire aux fidèles qui souffrent de ne pas pouvoir encore se rassembler, ce qu’un « jeûne » de la messe pouvait leur apporter, ce que cette « attente », ce désir de la messe pouvait leur faire comprendre du repas du Seigneur ?
Pourquoi, adossés de manière cléricale à l’institution, ont-ils ainsi, aux yeux de tous, marginalisé ceux d’entre eux – et nous leur en sommes profondément reconnaissants – qui ne leur ont pas emboîté le pas, mieux ont dit que la vie de l’Église n’avait jamais été interrompue, qu’elle se poursuivait ? Pourquoi ont-ils été sourds aux appels des fidèles, nombreux, qui les suppliaient de ne pas s’égarer, se perdre ? Tout ceci laissera de profondes et douloureuses traces.
Ils ont commis une faute pastorale et une faute théologique invraisemblable. Ils ont divisé, blessé.
Ils auraient pu faire une catéchèse des temps de covid et de confinement.