
C’est ce à quoi nous invite le théologien Jean-Pol Gallez dans une intervention passionnante au cours de la seconde des 2 conférences en direct présentées le 5 novembre dernier par la CCBF, sur le thème « Confinement, Célébrations, Communautés ». Elle est accessible ci-après (début de son intervention vers 24 min.), et nous en retranscrivons par ailleurs ces extraits.
Mise en contexte à partir d’une double analogie
Première analogie : le parallélisme de la crise socio-économique et environnementale et de la crise de l’Église.
La crise du covid est révélatrice d’un système politico-économique à bout de souffle. Elle a exacerbé ce qu’on savait déjà, à savoir la nécessité de changer de paradigme socio-économique dans la société. De nombreux scientifiques, lanceurs d’alerte agissaient déjà dans le « monde d’après ».
Il en va de même pour l’Église, même si nous en avons moins conscience : le système catholique est à bout de souffle et il est nécessaire de le refonder dans l’Évangile. Il y a eu des lanceurs d’alerte, théologiens et acteurs de terrain depuis au moins les années 60.
Des deux côtés, les lanceurs d’alerte savent que les décisions qu’on prend trop tard sont coûteuses ; les appels des deux côtés auraient pu épargner en grande partie les crises actuelles : financières, sociales et environnementales d’un côté, crise systémique de l’exercice de l’autorité dans l’Église.
Des deux côtés, s’annonce la fin d’une histoire : fin d’un capitalisme financier vorace et destructeur de la planète et de la vie ; fin de l’ère d’un christianisme de religion, rebelle à toute refondation.
Quelles capacités de résilience face aux effondrements qui s’annoncent des deux côtés ?
Seconde analogie : le fonctionnement sociétal, comme celui de l’Église, a besoin de réponses hors cadre à des questions elles-mêmes renouvelées.
Il faut apprendre à questionner les questions que nous nous posons. Dans le domaine ecclésial, à partir de quelles conceptions du christianisme posons-nous les questions ? Faut-il améliorer la formation des prêtres, ordonner des femmes… ou bien : le christianisme a-t-il besoin d’un clergé pour exercer sa mission ? La pertinence des questions que nous nous posons doit être elle-même mise en doute, dans la mesure où elles se meuvent dans un cadre de religion que l’on n’interroge pas.
Le christianisme est-il une religion ?
C’est notre pensée qui doit se déconfiner.
Analyse du cas de la messe : « source et sommet de toute la vie chrétienne »
De façon révélatrice, la messe a occupé le débat ecclésial et médiatique. Sommes-nous chrétiens sans sa célébration ?
Deux options.
Dans l’option religieuse et sacralisante, la messe a besoin d’un expert consacré et d’une assemblée rassemblée. Parmi ses tenants, certains ont eu recours à la messe par internet, évacuant l’assemblée sans difficulté ; d’autres ont évité l’incohérence soit en se privant de messe, soit en revendiquant un droit à la messe.
Pour les tenants de l’option fraternelle, la charité prévaut sur le rite.
La question « dans le cadre » est : faut-il choisir entre le frère et la messe ? Comment garantir en toutes circonstances le lien entre le frère et le rite – l’eucharistie que je distingue bien de la messe – pour que celui-ci reste « source et sommet de la vie chrétienne » ? Si l’eucharistie et l’amour du frère sont bien un même devoir pour le chrétien, c’est que l’eucharistie n’est pas un droit – un droit contrecarré par les conditions sanitaires et compensé par la messe virtuelle – et que de l’autre côté l’amour du frère est toujours praticable, même à distance, et qu’il doit toujours pouvoir se prolonger pour chaque chrétien à travers le geste de fraction du pain.
Sortir du cadre et passer à la réflexion fondamentale sur le sens profond de l’eucharistie, sous la forme d’une nouvelle alternative. Est-elle la présence réelle chosifiée, obtenue à travers la manipulation des rites par un expert consacré ou est-elle la mémoire célébrée de notre réelle présence à nos frères à l’imitation de Jésus Christ ?
De la fausse alternative du départ, déconfiner notre pensée nous permet d’en sortir par un double sursaut. Découvrir le caractère essentiellement profane et domestique du christianisme pour les uns ; découvrir pour les seconds comment faire mémoire de Jésus par la puissance symbolique d’un geste humain.
Questions à se poser en sortant du cadre :
- Voulons-nous sauver le capitalisme malgré la destruction de la planète en cours ?
- Voulons-nous sauver le sacerdoce ministériel malgré l’évidence du cléricalisme et la fin de la religion dans la société ?
Quelles leçons à tirer pour l’Église ?
Combien de temps va-t-elle tenir en faisant le grand écart entre son positionnement pastoral ad extra aux accents humanistes (discours des périphéries) et à l’inverse à l’intérieur un conservatisme fonctionnel sacralisant tant au plan dogmatique que pratique ?
Le changement de société semble obstrué par la persistance des « ultraforces », incarnées par les multinationales, les géants du numérique, la finance, l’agrobusiness…
De manière analogue, la révolution nécessaire à l’Église est entravée par l’ultraforce de la sacralisation et de l’attachement à la religion.
Tout comme le monde politique ne se résout pas facilement à entendre les justes prévisions des scientifiques sur l’état de nos écosystèmes, davantage encore l’autorité ecclésiale sera restée assez sourde à ses théologiens lanceurs d’alerte et autres chrétiens acteurs de terrain qui indiquaient les limites bientôt atteintes du système catholique.
Lire les « signes des temps », au-delà des discours…
Discerner et analyser les causes systémiques du désamour entre la culture occidentale et l’Église, qui est le véritable point d’attention. Il nous faudrait :
- un laudato si’ appliqué à l’Église, qui ferait apparaitre un « tout est lié » du problème ecclésiologique, comme le même texte le met remarquablement en œuvre s’agissant des crises sociétales multiples que nous vivons ;
- en finir enfin avec le cléricalisme, qui n’est pas le résultat d’une déviance dans l’exercice de l’autorité, mais le fait d’un système : tout est lié.
Le cléricalisme est le symptôme le plus avancé de l’attachement à la religion et au sacré. Et ces deux aspects expliquent l’exculturation du christianisme : nos contemporains ont une double raison de ne pas se reconnaître en l’Église.
Le système catholique s’est construit sur la messe et risque bien de disparaître avec les derniers chrétiens qui la fréquentent : l’Église doit renaître ailleurs.
Le christianisme n’est pas une religion, mais un puissant appel à en sortir par la foi, par la seule voie que Jésus a ouverte.
merci pour cette belle intervention de Jean-pol Gallez (disciple de Joseph Moingt) que j’avais transmise déjà à mon équipe en audio ! Tellement mieux en texte lisible partout… même si pour le papier ce n’est pas génial ???