Le langage religieux est métaphorique
Par José María Vigil
« Tous les énoncés théologiques – à des niveaux différents et de différentes manières – sont des énoncés analogiques. Tous les théologiens catholiques le savent, mais – et cela me fait peur – cela finit toujours par être oublié ».
Karl Rahner. Expériences d’un théologien catholique.
La science parle de la réalité dans son aspect factuel et fonctionnel : elle s’interroge sur ce phénomène, sur son fonctionnement et sur la façon dont nous pourrions y intervenir. La théologie, la religion et la spiritualité parlent de la réalité d’un point de vue évaluatif : que signifie-t-elle pour notre vie et comment nous interpelle-t-elle sur le plan existentiel ? Ce sont deux niveaux, deux champs d’intérêt et deux méthodes très différents. On ne peut peser ou mesurer, on ne peut localiser ou délimiter le religieux ou le spirituel. On ne peut même pas les exprimer directement. Nous ne savons pas ce qu’est le Mystère, personne ne peut le définir. On ne peut que l’évoquer, et pas directement par un langage univoque, mais indirectement par un langage « analogique » : par des images, de la poésie, de la métaphore… Sally McFague dit à juste titre que le langage religieux est principalement de la fiction [1]. Pour simplifier, on pourrait dire que la principale ressource du langage religieux est la métaphore (ou l’intuition poétique au sens large), que nous appelons analogie dans le langage technique de la logique classique.
La métaphore est une figure, une figure de langage par lequel nous parlons d’une réalité en termes propres à une autre. Nous parlons de ceci… en appliquant les termes de quelque chose d’autre. C’est pourquoi le langage métaphorique – et le langage analogique – inclut le « est et n’est pas » : une certaine affirmation immédiatement qualifiée par une négation. C’est comme ça, mais ce n’est pas vraiment cela non plus, mais c’est autre chose : c’est la métaphore.
Ceci étant la condition du langage religieux, il y a deux dangers cachés, qui peuvent conduire à ce que ce langage devienne idolâtre. Le premier est l’oubli de cette nécessaire négation de toute affirmation analogique (ou métaphorique). En 1984 (quelques semaines avant sa mort), honoré par l’Action catholique de Fribourg, Karl Rahner a insisté : « nous oublions presque toujours la nécessité du déni, du retrait de l’affirmation théologique que nous avons faite ». Avec nos affirmations, nous croyons que nous avons atteint le but, que nous avons déjà trouvé ce que nous voulions dire sur Dieu. Eh bien, lorsque nous croyons avoir parlé de Dieu avec exactitude, c’est une idole que nous avons décrite : nous ne parlons pas du Dieu inconnaissable, mais d’une idole parfaitement connue. [2]
Le second danger est complémentaire : en oubliant le déni, nous oublions aussi la distance entre nos représentations mentales ou linguistiques et la réalité divine qu’elles désignent. On finit par considérer l’analogie ou la métaphore comme un langage dénotatif ou descriptif : Dieu est tel que nous le décrivons. L’image que nous évoquons pour parler métaphoriquement de lui perd de sa distance, puis la métaphore s’effondre, et on finit simplement par l’identifier à l’objectif vers lequel elle pointe : Dieu est identifié à cette image, ou à ce « nom » qui le décrit… Le langage religieux devient ainsi idolâtre : il nomme des réalités mystérieuses, les décrit littéralement et les « définit », les domine et les met à son service.
Le nom de « Père » donné à Dieu en est un exemple. Le mystère innommable a été autrefois comparé de façon métaphorique à l’image du Père, même si on savait qu’on ne pouvait lui attribuer ce concept qu’en étant conscients de ses limites et de son inconvenance. Mais avec le temps – et avec l’absence de conscience critique – la conscience de la distance se perd, l’image se fond avec le mystère « imaginé », jusqu’à ce qu’elle s’y identifie et devienne finalement simplement sa description, son « nom » : « le Père » devient entièrement synonyme de Dieu, et finalement Dieu est compris directement et sans aucun doute comme théos, comme masculin, « à l’image et à la ressemblance » de la paternité humaine : une conception idolâtre de Dieu. [3]
Notes :
[1] Sally McFague, Modelos de Dios. Teología para una era ecológica y nuclear, Sal Terrae, 1987, p 13.
[2] Saint Augustin l’a dit de la même façon : « Si comprendis, non est Deus ».
[3] « Le nom de Dieu n’est pas Père, bien que de nombreux chrétiens utilisent les deux mots de façon interchangeable, comme si “Père” était une description littérale de ce qu’est Dieu. Si nous disons “Dieu est Père”, c’est vrai et faux, et même dans ce qui est vrai, c’est différent de la perspective patriarcale conventionnelle de la parentalité » : Sally McFague, Metaphorical Theology, chapitre 1.
Source : « Pueblo de Dios, Luz de las Gentes ». Revista Spiritus, Año 56/3 • Nº 220 sept.2015, p.87
Il y a une multitude d’images ; aucune ne doit être absolutisée et toutes sont menacées de déconversion.