L’universalité face au pluralisme
Par Guy Ringwald
Cet article est extrait du dossier : « Pluralité et actualité des religions » du n°102 de la revue Les Réseaux des Parvis.
Beaucoup de monde se bouscule pour se désigner comme l’Église universelle. Un rapide balayage nous le montre. Ils sont innombrables les groupes plus ou moins importants, mais en général à connotation évangélique, qui s’intitulent Église universelle, mais qui ne sont connus que de leurs affidés. Passons. Les Églises protestantes considèrent que l’Église est universelle, en effet, mais que seul Dieu en connaît les contours et les limites. Cela évite au moins le risque d’établir des contraintes sur les consciences au nom de l’institution. Pour les Églises orthodoxes, la catholicité de l’Église se manifeste au moment où des fidèles sont réunis pour célébrer.
Cela est dit ici pour montrer qu’on pourrait disserter sur bien des aspects de la question. Venons-en à l’Église Catholique romaine qui affiche son caractère universel sous la forme la plus institutionnelle dans sa pratique permanente, et qui est celle qui couvre le plus largement « les terres émergées ». Ajoutons que c’est l’institution de référence en France.
Un concept grec
Il nous faut nous demander d’où procède ce souci d’être universelle. Il n’est surement pas d’origine sémitique, c’est une notion inconnue chez nos « prédécesseurs dans la foi » que sont les juifs. Elle est d’origine grecque. Les Grecs se pensent porteurs de valeurs exportables, qui devraient être valables pour tous. Cela repose sur la distinction entre ce qui est grec et ce qui ne l’est pas, et qui est désigné comme « barbare ». Quand la « Grande Église » prend forme, se dote de dogmes et s’organise en institution, il est historiquement reconnu qu’elle le fait dans le cadre culturel de l’Empire romain, mais qu’il faut comprendre comme Empire romain d’Orient : les pays de la méditerranée orientale sont de culture grecque, ce qui est attesté entre autres par les écrits chrétiens des premiers siècles. Donc l’Église reproduit le modèle, sans avoir à se faire violence puisqu’on baigne dans la culture grecque. Au lieu de distinguer Grecs et barbares, on parlera de chrétiens et païens.
Des implications qu’il faut reconnaître
Cette façon de diviser les hommes en « nous » (chrétiens) et « eux » (païens) porte des implications : une connotation qualitative de supériorité et de jugement, l’assurance de détenir une vérité valable pour tous, l’existence d’un organe régulateur qui assurera l’uniformité de la foi et des normes morales. Le cadre dans toute sa rigidité est fixé, c’est celui qui dure encore aujourd’hui, avec des évolutions qui sont toujours allées vers plus de centralisme.
Or, il est une implication un peu moins visible et surtout moins avouée : l’universalisme porte en lui sans le reconnaître un particularisme qui s’impose contre les altérités, et il a intrinsèquement pour vocation de les effacer. C’est ainsi qu’il n’y a pas lieu de se montrer surpris que les conquérants aient détruit les civilisations d’Amérique du Sud, que les mœurs et les religions des Africains aient été jugées « primitives », entendons inférieures et sans valeur. L’Église Catholique romaine, c’est son nom, se dit universelle, elle se dit aussi romaine, ce qui pourrait apparaître comme un oxymore (est-elle universelle ou localisée ?). Il devient significatif s’il s’agit en fait, quand on parle d’universalisme, d’un particularisme qui s’impose aux autres. Comme quoi il faut se méfier des mots.
Dans la pratique
Qu’en est-il dans les faits ? L’Église catholique bute sur un problème quand elle entend procéder à une inculturation qui consisterait à se faire comprendre des peuples en incluant des éléments de culture -voire de religion- locale, alors qu’elle veut dans le même temps maintenir son enseignement et le culte tels qu’elle les conçoit… à Rome. L’exemple de ce qu’a tenté Pedro Casaldáliga au Brésil est assez parlant. Il a voulu reconnaître une valeur aux religions locales, mais a dû en rabattre.
Sans même parler d’un choc avec d’autres spiritualités, si on reste dans la catholicité de chez nous, on constate que le chemin synodal allemand qui ne cherche rien d’autre que de pouvoir vivre sa foi en tenant compte de la situation présente en Allemagne, des spécificités de la culture et de la pluralité des confessions chrétiennes, se heurte à l’opposition de la Curie arc-boutée sur ses formules qu’elle croit universelles et éternelles.
À l’heure où un brassage de populations est en cours et qui ne s’arrêtera pas, à l’heure où on pourrait dialoguer avec d’autres spiritualités pour peu qu’on abandonne l’esprit du colonialisme imbu de sentiment de supériorité, on peut constater que l’Église catholique ne se montre guère prédisposée à entrer dans l’histoire.