Petites réflexions sur « le monde d’après »
Par Bernard Ginisty
Alors que les pouvoirs publics mondiaux sont loin de contrôler la pandémie due au Covid, de nombreuses voix nous invitent à réfléchir au « monde d’après ». Cette réflexion se traduit le plus souvent par la critique des institutions qui constitue en France un sport national. Que ce soit au niveau politique où l’on n’en finit plus de nous expliquer qu’il faut réformer le système ou au niveau éducatif où l’on ne compte plus les projets de réformes suivies immanquablement de déceptions et de manifestations, peu d’organisations trouvent grâce face à notre regard critique.
L’histoire montre qu’il y a comme une sorte de destin des institutions. Dans un premier temps, l’époque de la création, elles se remettent sans cesse en cause au nom des valeurs qui les ont fait naître. Vient le second temps, celui du corporatisme, où ceux qui les font fonctionner adaptent peu à peu les valeurs fondatrices à leur confort. Vient enfin la troisième phase contre-productive : l’obsession de leur fonctionnement et des intérêts de ceux qui y travaillent fait qu’elles deviennent un contre-témoignage par rapport aux valeurs auxquelles elles se réfèrent. Combien d’institutions créées dans la ferveur militante, spirituelle, révolutionnaire ont fini en refuge pour caciques ou prébendes pour fonctionnaires ! Il est donc sain que se développe leur analyse critique. Cependant, celle-ci apparaît trop souvent comme la manifestation d’un dépit d’amoureux déçus qui en attendaient « le salut ». On exècre ce qu’on a adoré.
Il convient donc, si l’on veut promouvoir une authentique réforme, de ne pas s’enfermer dans des pensées binaires, mais aussi de s’interroger sur ses propres motivations comme nous y invite l’écrivain et poète Charles Juliet : « Il est parfois effarant de voir à quel point des personnes qui ont pourtant accès aux livres, à la culture, à une certaine réflexion, vivent dans l’ignorance de ce qui les meut. Mais dans notre société matérialiste, déshumanisée et déshumanisante, rien n‘est conçu pour nous inviter à travailler en nous-même. (…) Il est des êtres surchargés de savoir, mais en qui vécu et pensée ne communiquent pas. C’est à eux que pourrait s’appliquer cette formule : ils savent tout, mais ils n’ont rien compris » [1]. Cet avertissement peut permettre d’éviter de radoter indéfiniment dans les débats stériles, et de mourir ancien combattant de ses propres blocages ou notable décoré d’organisations arthritiques.
Ce qui a mené le Christ à sa jeune mort, c’est d’avoir interrogé les institutions religieuses de son temps au nom des valeurs qu’elles prétendaient incarner. L’histoire montre que, comme tant d’autres, la révolution chrétienne s’est institutionnalisée. Mais, régulièrement, surgissent des croyants, qui, plutôt que de s’obséder sur les tares de l’institution, ouvrent à nouveau un chemin du possible.
Nous pensons trop souvent que les institutions redeviendraient bonnes si elles étaient gouvernées par des gens qui pensent comme nous. Ainsi, le monde pourrait à nouveau marcher vers des lendemains qui, à défaut de chanter, pourrait tout au moins fredonner ! Le développement des sociétés modernes n’a été possible qu’à partir du terreau d’une lente et longue éducation à quelques valeurs éthiques unanimement partagées. La radicalité n’est pas dans le cri, le discours, la diabolisation de l’autre, mais dans le travail spirituel et politique sur nos modes de vie et nos systèmes de pensée et de valeurs.
Note :
[1] Charles JULIET, Ce long périple, éditions Bayard, 2001, p. 47-49.
Il ne s’agit pas d’abolir les institutions mais d’accomplir ce que les institutions nous promettent. « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir.” (Mt 5, 17)