Par Donald Snyder
Sombres prévisions pour l’Église catholique polonaise.
« Je dis que c’est une nuit sombre pour l’Église », a déclaré Zbigniew Nosowski, l’un des plus éminents intellectuels polonais. « C’est une période de crise difficile. »
Nosowski, sociologue et journaliste, est le rédacteur en chef du trimestriel scientifique Wiez (Bond). Lors d’une interview téléphonique, il a déclaré que la hiérarchie de l’église et son adhésion inébranlable au parti autoritaire de droite au pouvoir, Droit et Justice, dirigé par Jaroslaw Kaczynski, suscitent un mécontentement généralisé.
L’Église a joué un rôle crucial dans la transition du communisme à la démocratie, a déclaré Dariusz Stola, professeur d’histoire à l’Institut d’études politiques de l’Académie polonaise des sciences. En conséquence, l’Église s’est empêtrée dans les affaires politiques de la nation.
« Au cours des 20 dernières années, nous avons assisté à une alliance entre l’Église et la droite populiste, ce qui a aliéné les Polonais à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église », a déclaré Stola. « Et maintenant, l’Église va payer pour cette alliance douteuse. »
Les Polonais qui ont la quarantaine et la cinquantaine ne ressentent pas une perte de foi, mais plutôt une profonde perte d’identité avec l’Église en tant qu’institution, a déclaré Nosowski. L’Église perd également le soutien des jeunes qui sont de plus en plus sécularisés.
« L’Église est une institution très conservatrice et archaïque qui est fortement impliquée dans la politique et qui essaie d’imposer ses vues à tous et de monter les gens les uns contre les autres, en les divisant en bons et en mauvais », a déclaré une étudiante de 27 ans, Agnieszka.

L’étudiante, qui a demandé que son nom de famille ne soit pas cité par crainte d’être critiquée pour avoir participé aux manifestations, illustre la pensée de nombreuses jeunes femmes polonaises qui ont protesté en novembre contre le projet du gouvernement, soutenu par l’Église, de restreindre davantage les avortements.
La communauté LGBTQ est une autre cible des attaques de l’Église. Paulina Gorska, professeure adjointe de psychologie à l’université de Varsovie, a déclaré que le mois dernier, l’archevêque de Cracovie Marek Jedraszewski avait averti qu’une « peste arc-en-ciel » enveloppait l’Europe comme un virus qui se répand rapidement.

« Les féministes, les gays, les lesbiennes et… les trans sont devenus l’ennemi national n° 1, une cible essentielle pour les régimes autocratiques et totalitaires du monde entier », a déclaré Maciej Czajkowski, producteur de télévision polonais basé à Varsovie qui a travaillé auparavant pour la BBC à Londres.
Czajkowski, qui est homosexuel, a déclaré que l’extrême-droite considère les gens comme lui comme porteurs d’une maladie qui menace les valeurs traditionnelles polonaises. « Ils veulent que nous rentrions chez nous », a-t-il dit. « Où est mon chez-moi ? Je pensais qu’il était ici en Pologne. »
Les abus sexuels commis par des prêtres font également que les Polonais se sentent étrangers à l’Église, comme l’illustre le documentaire « Tell No One ». Il s’agit de l’histoire d’une femme adulte qui traque un prêtre âgé qui a commencé à la maltraiter à l’âge de 7 ans. Elle pose une question simple : Pourquoi ?
Le documentaire a été vu par plus de 24 millions de personnes sur YouTube [1].
Selon les résultats de l’IBRiS, l’un des plus grands instituts de sondage en Pologne, le niveau de confiance envers l’Église a chuté de 58 % des catholiques polonais en septembre 2016 à 40 % en novembre dernier, tandis que le niveau de méfiance est passé de 24 % à 42 %.
S’ajoute à cela la publication, le 10 novembre dernier, du rapport du Vatican qui constate que le pape Jean-Paul II a nommé l’ex-cardinal Theodore McCarrick comme archevêque de Washington en 2000, malgré les avertissements d’un éminent cardinal américain concernant le harcèlement sexuel de McCarrick à l’encontre de séminaristes. [2]
Le rapport McCarrick de 449 pages, qui ternit la papauté et remet en question la sainteté de Jean-Paul II, a porté un coup sévère à un pays catholique qui tirait une grande fierté nationale de son pape polonais. Ses visites dans les villes de Pologne tout au long de ses 27 ans de papauté ont attiré de grandes foules.
Stanislaw Obirek, professeur au Centre d’études américaines de l’Université de Varsovie, a déclaré que le rapport McCarrick avait un effet polarisant sur l’Église polonaise. Il a déclaré dans un courriel que les évêques polonais et les journalistes de droite considèrent le rapport comme une attaque contre « l’éternelle sainteté du Pape ».
Obirek, qui a quitté le sacerdoce en 2005 après avoir été prêtre jésuite pendant neuf ans, adopte un point de vue opposé. Il se range du côté des libéraux qui voient dans cette affaire un exemple de la nécessité de s’écarter du culte de la personne centré sur le pape polonais et qui est pratiqué par le clergé polonais.
« C’est une histoire extrêmement bien documentée de la dissimulation de la pédophilie dans l’Église dans laquelle Jean-Paul II a été activement impliqué depuis 1985 », a-t-il déclaré à propos du rapport.
Obirek a déclaré que le cardinal Stanislaw Dziwisz, ancien secrétaire du pape Jean-Paul II, a été le principal architecte de l’alliance entre l’Église et le parti au pouvoir en Pologne, le parti Droit et Justice. Il affirme que Dziwisz a un côté autoritaire qui a la sympathie du gouvernement et a contribué à miner la démocratie.
Dans une déclaration au nom des évêques polonais, l’archevêque Stanislaw Gadecki a défendu le pontificat de Jean-Paul II, et a loué le rôle du pape dans l’accélération de l’effondrement du communisme et la préservation de la foi et des valeurs nationales.
Quelque 1 500 universitaires polonais ont signé la semaine dernière une déclaration affirmant que, si le pape Jean-Paul a fait preuve d’un mauvais jugement en ignorant les abus sexuels signalés, cela n’en faisait pas un coupable.
Le père John Pawlikowski, professeur retraité d’éthique sociale de l’Union théologique catholique de Chicago, a dénoncé cette minimisation du manque d’action de Jean-Paul contre McCarrick.
« Il s’agit d’une défaillance majeure du pape Jean-Paul II, qui a eu un impact significatif sur la crédibilité de l’Église et a soulevé des questions sur l’ensemble du fonctionnement du Vatican », a déclaré Pawlikowski.
Notes :
[1] https://www.youtube.com/watch?v=BrUvQ3W3nV4&t=1051s
[2] Voir : https://nsae.fr/2020/11/15/le-seisme-mccarrick/
Source : https://www.ncronline.org/news/accountability/time-crisis-polands-catholic-church
Traduction : Lucienne Gouguenheim