Par Gilles Herlédan
« Tu l’as dit ! » Ainsi répondait le Galiléen à un fonctionnaire de la foi qui lui demandait son attestation de Messie. Écho à travers le temps chez le psychanalyste : « La structure de la parole, c’est que le sujet reçoit de l’autre son message sous une forme inversée. » Cela donnera-t-il à l’épiscopat français et autres hiérarques d’églises tremblantes de quoi comprendre que la lutte supposée nécessaire contre les « séparatismes » leur revient en boomerang, tandis qu’ils jugeaient que seuls les musulmans devaient en être l’objet. Les voilà donc « inquiets », ils le font savoir dans leur style inimitable, mais hélas, révélateur.

« Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, le pasteur François Clavairoly de la Fédération protestante de France et le métropolite Emmanuel Adamakis, de la Métropole orthodoxe de France (Patriarcat œcuménique), ont rédigé un texte commun à propos du projet de la loi séparatisme. » Dans cet opus publié sur FigaroVox, le 9 mars, les auteurs déclarent parler au nom de tous « les chrétiens inquiets du projet de loi “séparatisme”. » C’est surprenant, puisque parmi les lecteurs du Figaro se trouve une bonne part de ceux qui réclament à cors et à cris des dispositions légales entravant l’expression publique de la foi musulmane sous le prétexte de restaurer la laïcité ! C’est ainsi qu’ils nomment depuis peu, la part due à la prééminence du pouvoir catholique sur les lois et les mœurs.
Hélas… Depuis bien des années, la Conférence des évêques de France, en de multiples occasions, laisse ses phalanges, les plus portées au séparatisme religieux hostile à la République, parler à sa place, et vient temporiser, in extremis, les outrances sans y mettre un grand cœur. Ce texte de la Conférence est encore une fois étrange dans sa construction, où la révision de l’histoire peine à dissimuler des préjugés équivoques. Les évêques – ils sont les promoteurs du texte – proclament leur attachement à la République et à la laïcité. « La République est l’ambition et la promesse de faire vivre ensemble à égalité de droits et de devoirs des hommes et des femmes indépendamment de leurs appartenances familiales, ethniques, culturelles, religieuses. Cette ambition a rejoint bien des aspirations portées par les chrétiens de la Réforme ; elle a inquiété un bon nombre de chrétiens catholiques ; elle a requis et permis l’intégration des chrétiens orthodoxes. Tous nous avons appris à vivre en elle et à nous y trouver bien. » Disons que c’est un scoop !
Le premier paragraphe – en somme la position de principe – éclaire la suite de la déclaration. On y mentionne « l’égalité des droits et devoirs des hommes et des femmes indépendamment de leurs appartenances familiales, ethniques, culturelles, religieuses ». Il est certain que la lutte des Églises contre toute forme de racisme est désormais acquise et souvent accompagnée de faits avérés (mais chez certains lecteurs du Figaro ou de Valeurs actuelles, la chose est moins certaine). Pour ce qui concerne les autres branches du bouquet républicain, le compte n’y est vraiment pas ! Tant de faits le montrent…
Ainsi, les vitupérations contre les nouvelles façons de construire des familles « différentes » établissent que certaines d’entre elles sont moins légitimes que d’autres puisqu’elles résultent seulement de la loi de la République. Est-ce bien là le respect de la laïcité ? C’est en fonction de ce désaveu qu’une pression politique et idéologique constante est activement exercée contre l’adoption de lois qui, il faut le rappeler, ne contraignent personne et n’entravent en aucune manière la liberté des individus. Voilà bien une prétention à exercer un contrôle social, voire de la stigmatisation dont on ne voit pas la dimension fraternelle à l’égard, par exemple, des enfants nés par GPA. Les tenants de ces points de vue se veulent officiellement laïcs, et ne les défendent plus au nom de leur foi, mais en se référant à la psychologie, à leur supposée « expertise en humanité ». Ils vont glosant avec émotion sur la « vraie nature » des femmes, les « besoins » des enfants, la défense de la paternité dont, par ailleurs et depuis longtemps, ils ont renoncé à assumer les engagements et les responsabilités.
Pour ce qui concerne les appartenances culturelles, l’Église ne peut plus interdire les expressions littéraires ou artistiques qui ne correspondent pas à ses canons, mais on trouve certains de ses membres et de ses ministres assez volontiers unis pour s’opposer, éventuellement par la violence, qui a un film, qui à une exposition ou une pièce de théâtre et porter plainte parfois encore contre des supposés blasphèmes ou agressions morales contre leur croyance.
Dans un récent Golias Hebdo (n° 663), Alexandre Ballario a relevé que Mgr Bätzing, en Allemagne, continuerait à donner la Communion aux protestants qui la lui demanderaient… Il s’oppose ainsi à la Congrégation pour la doctrine de la foi qui réaffirme s’y opposer au nom « de différences doctrinales extrêmement importantes » ! Or voilà que les catholiques signent un texte commun avec ceux dont ils ne peuvent partager la communion. C’est très fort. Est-ce au nom du dépassement des appartenances religieuses, ou bien faut-il supposer que, dans ce cas, la cuillère est devenue assez longue pour dîner avec le diable ? Mais alors pourquoi, s’ils entendent défendre la liberté de croyance et de culte, ne le font-ils que pour les chrétiens ?
Pour aller plus loin : 665. Golias Hebdo n° 665 (Fichier pdf)
Source : https://www.golias-editions.fr/2021/03/25/loi-separatisme-de-quoi-ont-ils-peur/