Vie, mort et résurrection de la morale sexuelle
Par José Arregi
En l’an 30 de notre ère, plus connue encore dans le « monde occidental » comme « après Jésus-Christ », quand la première pleine lune de printemps illuminait la nuit de Palestine, un jeune prophète appelé Jésus de Nazareth fut arrêté, jugé sommairement et condamné à la croix par le procureur romain, sur la requête et avec la connivence du Sanhédrin religieux.
Son délit : avoir proclamé en parole et en acte que « le samedi est pour la vie et non la vie pour le samedi », à savoir, que la loi la plus absolue de n’importe quel État ou quelle société et de n’importe quelle Église ou quelle religion est subordonnée au bien de la vie, non le bien de la vie subordonné à n’importe quelle loi, aussi divine ou impériale soit-elle. Les uns et les autres décidèrent que le prophète était une menace pour l’ordre établi, et tous ensemble l’éliminèrent à la veille de la Pâque, à la première heure de l’après-midi. Et aujourd’hui ils recommenceraient – je veux dire nous recommencerions – à le faire.
Mais Marie de Magdala, qui aimait Jésus qui l’aimait aussi, le regard purifié par les larmes du deuil, vit clairement que le crucifié vivait pour ne plus recommencer à mourir et elle l’aima plus encore corps et âme. Et elle ouvrit les yeux de Pierre et d’autres compagnons et compagnes, et ils recommencèrent à être le mouvement itinérant, créatif, réformateur de Jésus qu’ils avaient été sans autre doctrine ni autorité que leur mémoire librement relue à la lumière de la vie. Sans autre loi que le bien de la vie toujours nouvelle.
Une génération après, la mémoire commença à se transformer en doctrine, la présence en culte ordonné, l’égalité fraterno-sororale en hiérarchie cléricale, la vie en code moral. Au IVe siècle, le siècle de Constantin, le mouvement de Jésus se convertit en religion établie. Jusqu’à nos jours. Et aujourd’hui nous nous trouvons face à une alternative historique : ou bien nous récupérons le souffle de Jésus, la flamme pascale de la vie qui ressuscite sans cesse en tout, ou bien nous continuons enfermés dans un système religieux obsolète depuis au moins 300 ans, et nous commençons à laisser le temps et les nouvelles générations oublier (avec raison) nos crédos, nos cultes et nos codes, et peut-être aussi (malheureusement) la mémoire subversive de Jésus, son souffle rénovateur de la vie.
Mais qu’a à voir tout ce préambule avec la « vie, mort et résurrection de la morale sexuelle », titre que l’on m’a proposé pour cette réflexion pascale ? Cela a à voir avec le fait que la « morale sexuelle » en vigueur ne vit plus, ne fait plus vivre, qu’elle est morte et fait mourir, et le mieux sera qu’elle demeure morte dans sa tombe millénaire à moins qu’elle ne ressuscite totalement transformée par l’esprit pascal de la vie. Et cela a à voir avec le fait que le vie et la mort pascale de Jésus devraient être, pour les églises chrétiennes, le critère de base de la transformation pascale de toutes leurs croyances, de tous leurs rites et leurs codes, et de leur enseignement tout entier sur la sexualité. Je me demande, donc ; quels seraient les signes et les conditions pour pouvoir dire que la morale sexuelle – dénomination bien établie qu’il vaudrait mieux remplacer par « éthique sexuelle » a « véritablement ressuscité » ? Je vais en indiquer quelques unes fondamentales :
• Quand les Églises dans leur ensemble, et leurs gouvernants et « magistère » en particulier, assumeront les connaissances acquises par l’histoire, l’anthropologie, la biologie, la médecine et les sciences en général sur ce qui, dans le champ du comportement sexuel, est bon et sain pour la vie personnelle et interpersonnelle, et qu’ils n’enseigneront jamais rien qui soit en contradiction avec les données scientifiques ;
• Quand ils admireront et célèbreront que l’évolution de la vie ait sélectionné, il y a au moins 1 milliard 200 millions d’années, la reproduction sexuelle – depuis les algues jusqu’à toutes sortes d’animaux – parce qu’elle fait que la vie soit plus diverse et créative, et qu’ils reconnaitront que la sexualité est un chant à la diversité – de la pollinisation entre les plantes jusqu’à des rituels complexes, danses et cortèges d’accouplement – et qu’ils cesseront définitivement de croire qu’un « Dieu » aurait dicté une forme unique de pratique sexuelle comme bonne et licite ;
• Quand ils pourront lire avec une admiration contemplative le livre biblique du Cantique des Cantiques, qui s’ouvre par ces mots : « Qu’il me donne les baisers de sa bouche : meilleures que le vin sont tes amours ! », et il continue sur ce ton jusqu’à la fin, parlant sans pudeur ni attirance perverse de poitrines et de sexe, de corps qui s’enflamment et se fondent, de « liqueur de grenade », et sans jamais nommer le mot « Dieu », bien qu’il ne parle pas d’autre chose ;
• Quand ils reconnaîtront l’immense mutation que connait, pour la première fois dans les 300 000 ans de l’histoire de l’Homo Sapiens, notre génération, à savoir : que la reproduction s’est séparée de la relation sexuelle et que, par conséquent, la relation sexuelle a du sens en soi indépendamment du fait qu’elle soit ou ne soit pas destinée à la reproduction ; quand, par conséquent, le Vatican abrogera totalement la malheureuse Encyclique Humanae Vitae de 1968 de Paul VI, qui a infligé tant de souffrances inutiles et injustes à toute cette génération de femmes et d’hommes catholiques.
• Quand ils savoureront profondément le fait que la mystérieuse et sage énergie de la vie, dans son évolution impressionnante, ait doté le sexe d’une extase de plaisir, et qu’ils s’en réjouiront, et qu’ils ne se contenteront pas seulement de ne pas le censurer, mais qu’ils le béniront comme quelque chose de bon, sain et saint en soi, aussi sain et saint que le plaisir de manger et de boire, de s’allonger au soleil du printemps ou d’écouter le chant paisible du merle sur sa branche, sans autre limite que le fait de ne pas se faire de mal à soi-même ni à d’autres personnes, et qu’ils le contempleront comme épiphanie de la sainte Créativité de la vie qui est Dieu ;
• Quand l’Église catholique, en consonance avec la plupart des religions et des autres religions chrétiennes, en conformité avec le silence de toute la Bible et d’une bonne partie de la propre histoire de l’Église catholique, déculpabilisera entièrement la masturbation, et en accord avec la biologie et la psychologie et l’observation du comportement humain en la matière de toutes les cultures humaines et dans d’autres espèces animales, acceptera le caractère naturel et totalement inoffensif de cette pratique sexuelle, et reconnaîtra son erreur et regrettera profondément l’immense, l’oppressante angoisse de culpabilité qu’elle a provoquée, surtout dans les derniers siècles, pour l’avoir considérée comme un péché, et mortel qui plus est, méritant l’enfer éternel… ;
• Quand ils s’en voudront de l’énorme douleur, de la honte, et jusqu’au dégoût d’eux-mêmes, qu’ils ont fait ressentir aux personnes LGBTQî+, les obligeant à se voir comme des malades, des coupables, des perverses ou des inverties et qu’ils demanderont sincèrement pardon, et qu’ils reconnaîtront à l’amour et à la relation sexuelle des personnes LGBTQî+ la même dignité qu’à l’amour et aux relations sexuelles de personnes hétérosexuelles canoniquement mariées, et béniront celles-là autant que celles-ci, et les admettront à égalité comme sacrement de l’Amour, de la Vie, de Dieu ;
• Quand, en résumé, les hiérarchies et le dit « magistère » – que Jésus n’a pas voulu – se libèreront des préjugés, des répressions et des obsessions liées à la sexualité – qui ne proviennent ni de la Bible ni de Jésus, mais de philosophies comme le manichéisme et le platonisme, surtout à travers Saint-Augustin et Saint-Jérôme –, des préjugés et des répressions dont ils ont été eux-mêmes les premières victimes et qu’ils ont imposés à tous les autres au nom de « Dieu », et quand ils ouvriront enfin les yeux pour regarder le corps humain et le sexe, avec toute sa merveilleuse diversité, comme symbole de la beauté et de la fragilité de la vie et comme appel à prendre soin et à bénir ladite diversité, jamais à la condamner ni à la blesser et qu’ils corrigeront en long, en large et en travers le Catéchisme et le Code du Droit canonique…
… alors ce sera la Pâque de la morale sexuelle dans la Pâque de Jésus, qui est ma façon de célébrer la Pâque permanente et universelle de la vie.
Je crois que nous devrons continuer à attendre encore beaucoup de premières lunes de printemps avant que n’ait lieu la résurrection de la morale sexuelle dans l’Église catholique, mais nous continuerons à célébrer chaque année et chaque jour la Pâque de Jésus. Et nous continuerons à espérer, c’est-à-dire, nous laisser encourager par l’esprit du crucifié vivant et à anticiper dans nos vies un peu de sa Pâque, en faisant que l’amour prenne corps, se fasse chair.
Source : https://josearregi.com/es/vida-muerte-y-resurreccion-de-la-moral-sexual/
Traduit de l’espagnol par Dominique Pontier