Effondrement des indemnités, reprise d’emploi découragée : les aberrations de la réforme de l’assurance chômage
Par Nolwenn Weiler (Bastamag)
La réforme de l’assurance chômage a été remise sur les rails, et devrait s’appliquer à partir du 1er juillet. Des dizaines de milliers de personnes vont perdre une grande partie de leur allocation chômage. D’autres n’y auront plus accès.
En dépit des oppositions syndicales, le gouvernement a décidé de mener au bout sa réforme de l’assurance chômage, amorcée à l’automne 2019. Tenu de revoir quelques aspects, suite à une décision du Conseil d’État concernant le calcul des indemnités, le gouvernement persiste dans le durcissement des conditions d’accès aux droits. Le décret publié le 30 mars va entraîner un effondrement des droits de plus d’un million de chômeurs, jeunes et travailleurs intermittents en tête. Sévère pour les plus précaires, cette réforme comprend diverses aberrations et incohérences. Revue non exhaustive.
Des calculs alambiqués pour un résultat simple : l’effondrement des droits au chômage
Pour pouvoir s’inscrire comme demandeur d’emploi, il faudra avoir travaillé six mois au lieu de quatre (soit 910 heures, ou 130 jours). Cela pourrait entraîner, selon l’étude d’impact de l’Unédic publiée au début de ce mois d’avril, un retard de l’ouverture des droits pour près de 500 000 chômeurs. Quant à la période de référence, celle sur laquelle l’Unédic se base pour comptabiliser les heures passées à travailler, elle baisse de 28 à 24 mois (36 mois pour les plus âgés). Autre changement : pour calculer le salaire journalier de référence (SJR), on ne tient plus compte des seuls jours travaillés. On y ajoute les périodes chômées – donc avec un revenu moindre voire nul. Le résultat est mathématique : la moyenne du SJR s’effondre, de même que celle des indemnités chômage.
Dans la première mouture de la réforme, présentée en juin 2019, l’ampleur de la baisse n’était pas prise en compte. Prenons l’exemple d’une personne effectuant un CDD de six mois dans une entreprise faisant appel à des renforts provisoires, et qui perçoit un salaire de 1521 euros bruts par mois, soit 50 euros par jour. Une fois son CDD terminé, elle touche actuellement une allocation chômage de 940 euros par mois pendant six mois – soit 30 euros par jour, la période de référence pour calculer ses indemnités étant la même que la période travaillée. Imaginons maintenant que cette même personne fasse deux CDD de trois mois ; l’un en début et l’autre en fin d’année. Avec le mode de calcul prévu par la réforme de 2019, elle ne percevrait que 15 euros par jour, soit 470 euros par mois. Moitié moins !
Pourquoi ? Parce que la période de référence prise en compte ne sera plus la période travaillée – deux CDD de 6 mois en tout – mais la période sur laquelle s’étalent les contrats, soit une année entière. Pour obtenir l’indemnité journalière, on va donc diviser six mois de revenus par 12 ! Cette clause de calcul était si absurde que le 25 novembre 2020, le Conseil d’État, saisi par plusieurs syndicats, l’a censurée. L’indemnisation pourrait « varier du simple au quadruple en fonction de la répartition des périodes d’emploi au cours de la période de référence », a relevé le Conseil d’État, ce qui entraînerait « une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard du motif d’intérêt général poursuivi ».
Lire 1 : Justine, au chômage après un CDD de six mois perdra un tiers de ses allocations
Lire 3 : Pourquoi Eléonore, malgré un CDD de 10 mois payé 1900 euros bruts, ne percevra que 680 euros de chômage mensuel…
« On va se retrouver à dire aux gens : si vous retravaillez maintenant, vous allez être pénalisé. C’est incroyable »
Reprenons l’exemple de Justine (Lire 1). Elle connaît un épisode de chômage de 6 mois après un emploi de 6 mois, rémunéré au SMIC. Un an plus tôt, elle avait effectué un contrat court (dûment déclaré) d’une journée de travail rémunérée 70 euros. La période de référence est donc d’un an. Et son indemnité chômage s’élève à 650 euros par mois (contre 980 avant la réforme). « Sa journée de travail rémunérée 70 euros se traduit par une perte de près de 2000 euros, calcule Mathieu Grégoire. Un économiste conséquent peut-il défendre un système dans lequel une heure de travail en plus peut générer une perte massive de revenus ? » Le sociologue s’interroge : « Punir le travail n’est-il pas contradictoire avec la logique d’incitation au travail qui motive l’ensemble des réformes de l’assurance chômage depuis le début des années 1980 ? »
« On va se retrouver à dire aux gens : si vous retravaillez maintenant, vous allez être pénalisé. C’est incroyable, pense Daniel. C’est totalement contradictoire. Comment les gens vont-ils s’y retrouver ? » « Ce sera impossible, ajoute Catherine. Cela voudra dire qu’il faudra refuser tous les contrats courts que l’on propose, en se projetant sur 24 mois ? » Prendre le temps d’expliquer sera d’autant plus compliqué que les conseillers indemnisations, les plus à même de comprendre les calculs alambiqués, vont crouler sous le boulot. « Chaque conseiller indemnisation aura la gestion d’un portefeuille à l’identique des conseillers placement actuellement, précise Catherine. C’est-à-dire, qu’il aura à gérer et à suivre des centaines de dossiers, des mails, des courriers… C’est un projet très anxiogène pour les collègues. »
Cette nouvelle organisation du travail promet aussi pas mal de stress du côté des demandeurs d’emploi, confrontés à des conseillers qui peinent eux-mêmes à comprendre ce qu’ils sont censés expliquer. « On est censé anticiper sur les évolutions du SJR au 1er juillet alors que nos collègues “expert” en indemnisation s’arrachent les cheveux pour simplement comprendre comment la nouvelle règle va s’appliquer. » Peu importe, semble-t-il. L’important, c’est de faire passer le message qu’il faut se remettre au boulot le plus vite possible. « Je suis conseiller, je n’ai pas encore toutes les informations, mais j’informe l’usager. Je peux d’ores et déjà lui conseiller d’éviter les périodes d’interruption et l’inciter au retour à l’emploi à la fin d’un contrat », stipule un support interne de formation des agents Pôle emploi.
« Une fois qu’un demandeur d’emploi aura mis le doigt dans l’engrenage des contrats courts, il sera à nouveau très incité à travailler plus, à accepter n’importe quel emploi pour éviter au maximum les périodes non travaillées entre deux emplois », dit Mathieu Grégoire. « Les plus impactés, ce sont les moins organisés. Ils ne vont rien dire, se désole Daniel. Nous les connaissons. Ce sont ceux qui acceptent déjà les pires boulots. » Catherine, et plusieurs autres collègues se montrent plus optimistes : « Nous restons persuadés qu’il est impossible que cette réforme s’applique. Les effets sont trop forts. Les gens vont forcément se révolter. » De leur côté les syndicats prévoient de déposer un nouveau recours devant le Conseil d’État.
Notes :
[1] (Lire 1) Selon les travaux du chercheur Mathieu Grégoire, qui s’appuient sur une méthodologie de calculs de droits construite dans le cadre d’une recherche sur l’évolution des droits à indemnisation depuis 1979 et mise à jour en prenant en compte les dispositions prévues dans le projet de décret transmis le 16 mars 2021.
[2] (Lire 2) Assemblée Nationale, questions au gouvernement, 2 avril 2021. Voir cette vidéo.