
Le 12 avril 2021, pour sa quatrième édition dématérialisée, la soirée Grand témoin du Réseau Chrétien Immigrés a réuni près de soixante personnes pour échanger avec Pascal Brice, directeur général de l’OFPRA de 2012 à 2018, et depuis septembre 2020 président élu de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS).
Jean-Jacques Lambert, président du Réseau Chrétien Immigrés (RCI), rappelle les deux activités du Réseau, qui se nourrissent mutuellement : d’une part, une présence et un travail sur le terrain à travers les cours de FLE (Français langue étrangère), la permanence juridique avec la Cimade et les Dîners du goût de l’autre, d’autre part, une réflexion et sensibilisation aux questions liées aux migrations (https://reseau-chretien-immigres.fr ). C’est dans ce cadre que le RCI est heureux d’accueillir Pascal Brice.
L’expérience passée et présente de Pascal Brice
En quittant l’OFPRA en 2018 après avoir été durant six ans son directeur général, Pascal Brice pensait laisser professionnellement derrière lui les problèmes liés au traitement de la situation des étrangers, il n’en est rien. C’est même le contraire. Si tout fonctionnait normalement, les structures adhérentes de la FAS ne devraient s’occuper que du droit commun des personnes en précarité et à la rue. En tant que président de la FAS, qui regroupe plus de 800 associations, il rencontre au cours de toutes ses visites – que ce soit dans des accueils de jour, des centres d’hébergement ou auprès des équipes de rue – des personnes de nationalité étrangère dans une impasse, livrées à elles-mêmes. Cet état de fait est préoccupant ; non seulement il porte atteinte à la dignité d’hommes, de femmes et d’enfants, mais il nous met tous dans ces impasses.
La société française est actuellement fragile, la question des étrangers n’y est pas prise en compte, or l’on sait à quoi cela peut mener. Pascal Brice aurait aimé constater que son combat à la tête de l’OFPRA était fini, mais de nombreuses structures de la FAS font de l’accueil des étrangers, car il n’y a pas d’autres places prévues pour eux. Il précise que son point de vue est désormais celui d’un dirigeant associatif, non plus celui du responsable de l’administration chargée des demandes d’asile.
L’accès au séjour est de plus en plus bloqué, il conduit à des impasses juridiques et humaines, alors qu’il n’y a pas d’arrivées massives, leur nombre a même baissé en 2020. Durant le premier confinement, l’accès à la demande d’asile, qui est un droit de nature constitutionnelle, comme l’a rappelé le Conseil d’État il y a peu, a été suspendu.
Ce blocage, déjà dénoncé quand il dirigeait l’OFPRA, ne fait que s’aggraver. Les règles de Dublin qui prévoient l’accès à la demande d’asile dans un délai raisonnable ne sont pas respectées. C’est un labyrinthe dans lequel sont embarqués les demandeurs, les bénévoles les accompagnant et les fonctionnaires des préfectures qui gèrent la constitution de dossiers dont ils savent que seulement 10 % ne seront pas rejetés.
La présidente de la Commission européenne a fait ce même constat sur la nécessaire réforme du règlement de Dublin [examen de la demande de réfugié dans le premier pays d’arrivée], mais il n’y a eu aucune avancée, l’Allemagne restant dans ce cadre.
Un véritable danger pour la société tout entière
Un demandeur d’asile sur deux est à la rue, le problème de l’hébergement se poursuit une fois le statut de réfugié acquis. Depuis les premiers camps de réfugiés en 2015, la situation s’est aggravée, en lien avec les difficultés du logement social. L’accès au séjour est de fait bloqué. Il n’y a pas un seul des centres d’hébergement qu’il visite où Pascal Brice ne rencontre des personnes titulaires d’un titre de séjour, voire qui ont perdu le droit au renouvellement de leur titre faute d’accès aux services administratifs.
Ce qui est évidemment facteur de difficultés pour les personnes concernées et leurs accompagnants est aussi facteur de désordre social, avec des gens à la rue, des campements. Cela résulte d’un choix politique, arguant qu’un mauvais accueil dissuadera les candidats au séjour. Cette faute pour les personnes concernées, pour les riverains, pour les quartiers met en jeu la cohésion sociale du pays.
Un dialogue existe avec la plupart des ministères, sauf avec l’Intérieur. Les échanges polis avec les ministères se heurtent à la porte fermée de ce dernier, chargé de l’intégralité des questions d’asile.Il existe des solutions telles que celles préconisées dans « Pour des politiques migratoires conformes à toutes les exigences de la République. Faire reculer les situations de non-droit ». Ce rapport, initié notamment par Pascal Brice, rédigé par un collège de praticiens du droit des étrangers (préfet, historien, syndicaliste, membre d’association, chef d’entreprise…), a été rendu public le 21 janvier 2020 ; téléchargeable par exemple sur https://arreco.hypotheses.org/725 et ici dans la forme résumée de ses 25 propositions : Lire le rapport
Ses rédacteurs insistaient sur la nécessité de changer d’approche, d’abandonner les stratégies dissuasives. Si le droit au séjour est reconnu, il doit être donné sans faire traîner la procédure indéfiniment. Il convient également d’ouvrir les critères de droit au séjour en prenant en compte les détresses humanitaires, les déplacés environnementaux, l’accès au travail.
Pascal Brice ne cache pas son inquiétude : dans la situation de crise sociale actuelle (fragilisation des jeunes, affaiblissement des territoires, décrochages sociaux, incertitude identitaire, doute culturel), laisser volontairement la question des étrangers sans réponse constitue un véritable danger pour la société tout entière.
Lire l‘Échange avec les participants
Source : https://saintmerry-hors-les-murs.com/2021/05/01/soiree-grand-temoin-rci-pascal-brice/