Commençons par ce « Petit memento », peut-être utile pour suivre le rôle des instances et la position des personnes impliquées dans l’article qui suit.

24 septembre 2020 : le cardinal Angelo Becciu pénètre dans le bureau de François avec un dossier concernant les enquêtes en cours, en vue des béatifications et canonisations. Le Cardinal Becciu est en effet Préfet de la Congrégation pour la Cause des Saints. Vingt minutes après, il en ressort, il porte toujours le titre de cardinal, mais a perdu tous les attributs et privilèges de cette haute distinction. Un cas unique. Le pape lui aurait dit : « tu as trahi ma confiance ». Cette brutale décision de François n’est l’objet d’aucune explication. Mais elle n’a rien à voir avec la cause des saints. Laissons-les donc dormir en paix et ouvrons la boite de Pandore. Nous avons cherché à comprendre ce que recouvre l’affaire de l’immeuble de Londres.
En deux articles, Régine et Guy Ringwald nous aident à décrypter les dessous d’un procès déjà passablement médiatisé. Voici le premier.
Le Clan des mafieux

L’Espresso détaille les accusations. Il s’attarde quelque temps sur des aides « douteuses » accordées à ses frères par Becciu, mais une broutille (on parle de 600 000 euros) comparée à ce qui va suivre. Très vite, tout le monde fait le rapprochement avec une affaire financière pour le moins malheureuse liée à un investissement immobilier à Londres. Le cardinal qui présidait donc le dicastère de la cause des saints avait été nommé à ce poste le 31 août 2018, alors qu’il venait d’être créé cardinal. Il avait été auparavant substitut pour les Affaires générales de la secrétairerie d’État, c’est-à-dire n°3 de la curie, jusqu’au 29 juin 2018. C’est à ce poste qu’il aurait procédé à des manœuvres risquées, puis à des arrangements pour le moins discutables. Le cardinal Becciu tient conférence de presse, il affirme qu’il est parfaitement clair et innocent. Il qualifie la situation de « surréaliste », et il attaque en diffamation l’Espresso. Il réclame dix millions d’euros pour les dommages qu’il subit, notamment la perte de toute chance de devenir pape ! Le vaticaniste Marco Politi [1] décrit la mise à l’écart de Becciu comme un « geste napoléonien : avec sa poigne de fer, François a voulu montrer que les sanctuaires n’existent pas, qu’aucun fief n’est à l’abri ».
3 juillet 2021 : le Vatican annonce l’ouverture, le 27 juillet, d’un procès visant dix personnalités, dont le cardinal, un « Monsignor» de la curie, Mgr Mauro Carlino, ancien Secrétaire de Becciu, et divers protagonistes des montages financiers relatifs à l’investissement de Londres. C’est la première fois qu’un cardinal est poursuivi en justice au Vatican [2], ce qui est devenu possible du fait d’un motu proprio promulgué par François le 30 avril. Promulgué à dessein, évidemment, pour pouvoir juger Becciu. Celui-ci se dit « victime d’un complot », « cloué au pilori médiatique ».
Cette affaire va révéler des réseaux de corruption pas même discrets, un amateurisme incroyable, et la dilapidation du denier de Saint-Pierre. Et elle ne fait que commencer.
Sur fond de réforme
L’affaire est à replacer sur le fond de la réforme que François a voulu mettre en place sur les finances du Vatican. C’était un des buts affichés lors de son élection. Il y avait fort à faire, tant l’organisation et son fonctionnement étaient opaques. La mafia était dans la place, certains comptes pesaient si lourd qu’un mouvement important sur les comptes pouvait emporter l’édifice, le gouvernement de l’IOR [3], qu’on appelle la banque du Vatican, n’était plus maîtrisé en haut lieu. Si l’on remonte en arrière, cela va assez loin, à Jean-Paul II qui avait besoin d’argent pour ses menées politiques, et même déjà bien avant.
Dès 2013, François s’attaque à la question. Il réorganise l’ensemble selon les principes préconisés par le cardinal Pell, et inspiré des usages anglo-saxons : une organisation centralisée qui contrôle l’ensemble des opérations financières. L’Autorité d’Information Financière (AIF) [4] reçoit un rôle de régulation et de surveillance sur toutes les institutions du Vatican, et donc de facto sur l’IOR. Depuis cette époque et jusqu’aujourd’hui, des efforts, apparemment douloureux, sont faits pour aligner les pratiques sur celles qui prévalent en Europe sous le contrôle de Moneyval [5]. Par un motu proprio du 24 février 2014, le pape crée une structure nouvelle dont les organismes font une place plus large à des laïcs compétents : un Conseil pour l’Économie est coordonné par le cardinal Marx, un Secrétariat pour l’Économie est confié au cardinal Pell. Il relève directement du pape, a compétence pour contrôler toutes les questions économiques et les organismes concernés. Le cardinal Pell va montrer beaucoup de détermination, quitte à avoir quelques difficultés avec la Secrétairerie d’État, et très directement avec le cardinal Becciu. En effet, lui en est encore à un système d’autonomie totale, fonctionnant hors toute règle.
Guerre interne
Est créé aussi le poste de Réviseur général. Et là, nous nous arrêtons un instant. Il s’agit d’un service d’audit financier devant superviser les procédures de contrôle interne de tous les dicastères. À ce poste est nommé, en juin 2015, Libero Milone. Il a une longue expérience de l’audit, acquise notamment au cabinet Deloitte où il a passé plus de trente ans. Dans son rôle, qu’il assume comme un professionnel, il requiert de la Secrétairerie d’État, entre autres, la communication de contrats, mais n’obtient pas de réponse. Il a aussi demandé des explications sur des centaines de millions de dollars détenus par le Vatican en Suisse, mais qui n’apparaissent pas dans les comptes. Voilà l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire au Vatican : son ordinateur est piraté, on limite ses contacts avec le pape. Il a des soupçons et porte plainte auprès de la gendarmerie du Vatican. Mais les choses tournent mal pour lui. En 2017, il est accusé d’espionnage sur la vie des personnes et de détournements, et amené à démissionner. L’accusateur s’appelle Becciu selon qui Milone « allait contre toutes les règles. Il espionnait la vie privée de ses supérieurs, y compris moi. S’il n’avait pas démissionné, nous aurions dû le poursuivre en justice ». Milone apporte une autre version : « Le chef de la gendarmerie m’a forcé à signer une lettre de démission qu’ils avaient préparée plusieurs semaines à l’avance ». Cela à la demande de Becciu. Curieusement, toutes les charges contre lui ont ensuite été abandonnées.
En 2016, le Secrétariat pour l’Économie commande à la société de conseil Price Waterhouse Cooper un audit sur tous les départements du Vatican. Mais Becciu le fait annuler. Les difficultés à mettre en place un dispositif de contrôle des finances ne s’arrêtent pas là, la volonté du pape François non plus. Le 1er juin 2020, un nouveau motu proprio institue un code de gestion des contrats et des marchés publics, dans le but d’aligner les pratiques sur les standards internationaux. Il s’agit de lutter contre la corruption, et de centraliser la planification des achats, de coordonner les besoins. Le 25 août 2020, François écrit au Secrétaire d’État, Pietro Parolin, pour ordonner un changement dans l’administration des finances. Constatant que rien n’a été fait, il convoque le 4 novembre une réunion au sommet : participent Pietro Parolin, Edgar Peña Parra (qui a succédé à Becciu), Fernando Verges, Secrétaire Général de la Cité du Vatican, Nunzio Galantino Président de l’APSA, Antonio Guerrero Alves [6], qui a succédé au cardinal Pell en 2017 [7]. Il est décidé que les fonds gérés par la Secrétairerie d’État sont transférés à l’APSA, une vieille demande du cardinal Pell. Ainsi la Secrétairerie d’État est-elle dépouillée de toutes ses attributions en matière financière : un formidable désaveu, mais aussi une perte cruelle de pouvoir et d’influence.

L’affaire éclate
En mars 2019, la banque du Vatican est saisie d’une demande de prêt émanant de la Secrétairerie d’État : 150 millions d’euros, officiellement sous le motif pour le moins vague de « raisons institutionnelles », en fait pour couvrir un investissement dans un immeuble situé à Londres. Or, depuis les réformes de 2014, l’IOR n’accorde plus aucun prêt. S’ensuivent des pressions qui poussent la banque à ouvrir quand même le dossier. Mais les documents justificatifs fournis à l’appui de la demande sont si faibles (quatre feuilles photocopiées) que la banque se méfie et refuse le prêt. La Secrétairerie d’État s’insurge : Parolin et le Substitut, Edgar Peña Parra, convoquent les dirigeants de l’IOR. René Brülhart, président de l’AIF, écrit à la banque dans le même sens. Les pressions sont si fortes que les dirigeants de la banque en appellent au pape qui saisit la justice du Vatican : c’est le début d’une enquête qui va durer deux ans, jusqu’à l’annonce du procès qui vient de s’ouvrir le 27 juillet dernier. Dans sa lettre à l’IOR, Parolin qualifiait l’opération londonienne d’« investissement valable ». C’est ce que nous allons voir maintenant.
Des investissements hasardeux

L’affaire remonte à l’année 2014. La Secrétairerie d’État, en l’occurrence sous la responsabilité directe de Becciu pour ce qui concerne les finances, passe un accord avec un homme d’affaires italien résidant à Londres, Raffaele Mincione qui gère de multiples fonds dont l’imbrication défie l’entendement. Elle investit dans le fonds luxembourgeois Athena Capital, qui appartient à Mincione, quelques 200 millions de dollars [8], empruntés au Crédit Suisse. Une moitié est destinée à l’achat d’une part minoritaire (45%) d’un immeuble situé dans le quartier chic de Chelsea à Londres, par ailleurs grevé d’une hypothèque de 125 millions de livres. L’autre moitié est placée dans des investissements mobiliers, investissements dans lesquels le Vatican n’a aucun moyen de savoir à quoi ils sont affectés. On découvrira plus tard que cet argent a été utilisé en partie pour renflouer la banque italienne Carige, en mauvaise posture. Mais ce qui est présenté comme un prêt du Crédit Suisse est en fait adossé au nantissement d’un actif de 454 millions d’euros qui provient de sommes discrétionnaires détenues par la Secrétairerie d’État, comprenons, entre autres, du denier de Saint-Pierre. L’immeuble de Chelsea (17 000 m2) est l’ancien entrepôt des magasins Harrods, et il est destiné à être transformé en appartements de luxe. Précisons encore que la valeur attribuée à cet investissement est environ le double du prix d’acquisition par Mincione en 2012, et on commencera à avoir une idée de la pertinence de l’opération menée par Becciu. La gendarmerie du Vatican avait d’ailleurs déconseillé (après enquête) de se fier à Mincione dont la spécialité est de réaliser des gains en faisant travailler l’argent de tiers, parfois à leur détriment.
Ensuite, la valeur de l’immobilier londonien a chuté, le cours de la livre sterling aussi, du fait du Brexit. En 2018, Edgar Peña Parra a remplacé Becciu. Devant l’ampleur des pertes, le Vatican décide de racheter la totalité de la propriété de l’immeuble et de céder ses parts mobilières (en perte de 18 millions d’euros et hors de son contrôle). La Secrétairerie d’État doit contracter un prêt de 120 millions de livres sterling auprès de deux sociétés luxembourgeoises, et pour sortir du fonds Athena, doit payer 40 millions de livres à Mincione. C’est pour couvrir ces opérations que la Secrétairerie d’État demande un prêt à l’IOR, dont on a vu qu’il ne viendrait jamais.
Une perquisition a lieu à la Secrétairerie d’État et à l’AIF, le 1er octobre 2019. Les magistrats du Vatican Gian Piero Milano et Alessandro Diddi relèvent « des indices sérieux de détournement de fonds, de fraude, d’abus de pouvoir, de blanchiment d’argent et d’autoblanchiment, tandis que l’audit décèle des « crimes très graves tels que détournement de fonds, corruption et complicité ».
La valse des millions
C’est là qu’entre en scène un homme-clé de l’affaire : Gianluigi Torzi. Il est connu de plusieurs intervenants et dans l’entourage du pape. Le pape lui-même le reçoit d’ailleurs le 26 décembre 2018, à Sainte-Marthe. François dit alors qu’il fallait régler la question et tourner la page et que Torzi reçoive un juste salaire.

Il est missionné pour sortir Raffaele Mincione de l’histoire de Chelsea, Raffaele Mincione… avec qui il est en affaires par ailleurs. Un contrat-cadre triangulaire est conclu entre Torzi, Mincione et le Vatican. Torzi rachète la totalité de l’immeuble, dans le cadre d’une société GUTT qu’il dirige, mais dont il est dit qu’elle opère pour le compte du Vatican : pas très clair, tout cela. Même Vatican News se demande pourquoi on a eu recours à un tel montage. Le même Vatican News rapporte que le total du prix payé se monte alors à 350 millions de livres, pour une propriété achetée en 2012 (par Mincione) 129 millions. Intervient alors ce que l’acte d’accusation qualifie d’escroquerie : la Secrétairerie d’État achète à Torzi 30 000 actions de GUTT S.A. pour un euro symbolique et se croit propriétaire de Chelsea. Mais à l’insu du Vatican (toujours selon l’accusation), Torzi aurait modifié le capital, s’adjugeant 1000 actions avec droit de vote alors que les actions du Vatican n’ont pas ce droit. Ainsi continue-t-il à avoir le contrôle de la propriété. Au terme d’une longue négociation, le Vatican a finalement admis de payer à Torzi 15 millions d’euros, en mai 2019, pour récupérer la pleine propriété. Les experts du Vatican estiment alors à 450 millions d’euros [9] le total du coût de l’opération.
Le 5 juin 2020, Torzi est arrêté par la gendarmerie du Vatican et passe dix jours en prison. Il fut libéré sous caution déposée dans une banque suisse, caution que le Vatican ne pourra jamais toucher. En mars 2021, le Vatican a demandé à la Grande-Bretagne de saisir les avoirs de Torzi. Ce fut un cinglant revers. Dans un jugement en appel du 10 mars, le juge Tony Baumgartner a déclaré qu’il révoquait une décision antérieure de saisir certains des fonds de Torzi à Londres, notamment du fait de « non-présentation de documents et d’épouvantables fausses déclarations (de la part) du Vatican » : « non disclosure and misrepresentation », des charges très graves devant une juridiction anglaise. Il déclare n’avoir trouvé aucune preuve suffisante d’acte criminel, aucune fraude, mais un accord régulier entre les parties. Le Vatican avait demandé que les motifs du jugement soient gardés secrets, mais ce fut refusé et le jugement a été publié le 24 mars 2021. Dans ce jugement, on note incidemment une version différente de l’affaire des 1000 actions avec droit de vote, et la mention par Torzi de menaces contre sa famille.
Lors de son voyage de retour de son voyage au Japon, en novembre 2019, le pape avait été invité à s’exprimer après les perquisitions à la Secrétairerie d’État. Il avait reconnu : « on a fait des choses qui n’étaient pas propres ». Il se félicitait, cependant, que le scandale de corruption ait été mis au jour par des mécanismes internes procédant des réformes engagées, et non par des enquêtes extérieures.
Le système Becciu
Nous n’inventons pas l’expression, il existe bien un système Becciu. Il repose d’abord sur la disponibilité discrétionnaire de fonds par la Secrétairerie d’État, dont en particulier le denier de Saint-Pierre. L’argent donne du pouvoir surtout quand on peut l’utiliser sans contrôle. Le système Becciu s’appuie sur la faculté qu’a le cardinal Becciu de se concilier les bonnes grâces par de menues attentions : on dit même que cela aurait été une manière d’influencer le pape lui-même. Becciu s’était ainsi constitué un réseau, d’autant plus solide qu’il n’hésitait pas à laisser diffuser des indiscrétions (fondées ou non) sur tel ou tel. Les journalistes sont bien traités, ils reçoivent les informations, façon Becciu évidemment. Il sait utiliser ses liens avec les journalistes pour discréditer ses adversaires et contrer ses accusateurs. Une « revenante » qui a un vieux compte à régler, Francesca Chaouqui [10], s’est abondamment répandue en amabilités sur les façons de faire du cardinal, l’accusant même d’agir dans le dos du pape. Elle se retrouve poursuivie en diffamation par Becciu.
Lors d’une conférence de presse tenue le 20 février 202O, Becciu qualifiait encore l’opération de Londres comme « une belle opportunité que beaucoup de gens nous envient aujourd’hui », ajoutant « L’immeuble appartient désormais au pape, et le pape, qui est au courant de tout, décidera quoi en faire ». Il dédouane aussi le denier de Saint-Pierre : « Le denier de Saint-Pierre n’est pas né pour les pauvres, a-t-il insisté. Le but de cet argent donné par les fidèles est d’aider le pape dans la gestion de la structure centrale de l’Église et dans son activité caritative. » Jouant sur les mots, il affirme encore que l’argent du denier n’a pas servi à des investissements. En effet, il n’a servi qu’à garantir un emprunt, mais cela empêche de le dépenser à autre chose.

Revenons à l’argent. Dans son entourage immédiat figurent Enrico Crasso, un ancien du Crédit Suisse, et Fabrizio Tirabassi, un fonctionnaire de la Secrétairerie d’État. Les deux auraient touché des pots-de-vin, dénommés « commissions occultes », pas si occultes que cela, car on en connaît certaines modalités, selon l’acte d’accusation.
Crasso a été jusqu’en 2019 directeur financier de la Secrétairerie d’État dont il gérait le patrimoine réservé. Il orientait les investissements du Vatican vers des fonds spéculatifs dans des paradis fiscaux, qui plus est pour des opérations parfois « déplacées » [11]. Il est aujourd’hui accusé de détournement et extorsion de fonds, corruption, blanchiment d’argent, fraude. Quant à Tirabassi, fonctionnaire de la Secrétairerie d’État, il est accusé de corruption, extorsion et détournements de fonds. Ses supérieurs l’accusent de leur avoir caché le contenu exact de l’accord avec Torzi, en vue (selon les magistrats) de convenir avec lui d’un pot-de-vin. Il a aussi une réputation : Torzi a pu dire, lors de son procès à Londres, que tout le monde le craignait, car il savait, et diffusait si besoin, des informations d’ordre privé. Ils ont été de tous les arrangements avec Torzi et ce sont eux qui, selon l’acte d’accusation, auraient négocié l’accord sur les 15 millions, avec Torzi, à Londres, et poussé Alberto Perlasca (alors responsable des investissements à la Secrétairerie d’État) à le signer.
Becciu a-t-il entraîné dans sa chute son ancien adjoint, Mgr Mauro Carlino, dont les juges estiment qu’il était conscient de l’illégalité des demandes de G. Torzi lorsqu’il a ordonné le versement de 15M€ ?
On ne s’étonnera pas que Becciu ait pu aider un peu ses frères. Quoi de plus naturel que d’aider ses frères ? L’un s’est vu attribuer de gré à gré des prestations d’aménagement lorsque Becciu était nonce à Cuba, l’autre s’est vu octroyer une aide pour une coopérative, évidemment à but caritatif. Coût pour le Vatican, et le denier de Saint-Pierre, environ 600 000 euros.
On ne s’étonnera pas non plus qu’il ait pu s’attacher les services de Cecilia Marogna, que tout le monde appelle « la dame du cardinal », présentée par Becciu comme sa nièce, puis comme sa confidente par d’autres, mais avec qui il affirme n’avoir jamais eu de « relations autres qu’institutionnelles », et dont il dit maintenant qu’elle l’a abusé. Elle a été engagée pour une mission diplomatique parallèle, en principe pour aider à la libération d’otages, et notamment d’une religieuse colombienne, sans qu’on en ait vu les effets. Coût pour le Vatican : 575 000 euros, dont une moitié s’est transformée en sacs à main, vêtements de luxe et hôtels de charme. Pour les besoins d’action discrète, il va sans dire. Elle aussi se trouve parmi les accusés.
L’idée que Becciu se faisait de son influence l’a même porté à intervenir encore alors qu’il n’était plus à la Secrétairerie d’État pour présenter des offres à quelque 300 millions d’euros, concernant la reprise de l’immeuble de Londres. Cette intervention a été du plus mauvais effet.
L’opposition avec le cardinal Pell est totale. Elle porte évidemment sur la politique financière, mais prend aussi un tour personnel. Ainsi, lors de la « démission » de Becciu, Pell s’en est félicité publiquement : « j’espère que le nettoyage des écuries va continuer au Vatican ». Il faut dire qu’il a quelque raison d’en vouloir à Becciu. Un virement de 700 000 € est parti de la Secrétairerie d’État vers l’Australie à l’époque du procès de Pell [12]. Le montant n’a pas pu être « tracé » à l’arrivée, mais il reste une sérieuse suspicion (et la Repubblica rapporte même les aveux d’un des accusateurs) que l’argent ait été utilisé contre Pell, et celui-ci a son idée sur la question.

Dans le second article, nous verrons à quel point le « nettoyage des écuries » dont parle le cardinal Pell met en cause les structures et les mentalités. Car l’affaire de l’immeuble de Londres n’est pas un accident de parcours, pas seulement l’œuvre d’un pervers ambitieux. On pourra aussi apercevoir que la gabegie financière touche la Secrétairerie d’État, l’échelon le plus élevé du gouvernement de l’Église catholique, constater les graves insuffisances -peut-être l’incompétence- des hommes qui sont aux commandes. On touchera à l’anomalie que constitue une monarchie absolue, où le droit revêt une coloration particulière, et où la finance a longtemps été laissée sans contrôle, sciemment. Les réformes voulues par le pape François font face à un test qui pourrait être décisif.
Prochain article : Un test décisif
Notes :
[1} Auteur de « La solitude de François », Ed. Philippe Rey
[2] Jusqu’ici, il était jugé par ses pairs.
[3] Institut des Œuvres de Religion.
[4] Organisme créé par Bemoiît XVI. L’AIF a pris ensuite le nom d’AISF : Autorité d’Information et de [5] Comité d’experts pour l’évaluation des mesures contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
[5] Moneyval est un corps de surveillance du Conseil de l’Europe.
[6] Guerrero Alves est jésuite. Il a remplacé Pell. Il a été nommé par François pour sa formation en économie
[7] On se souvient que le cardinal Pell a été l’objet de poursuites en Australie. Finalement acquitté, il est revenu au Vatican, mais n’exerce plus de fonction.
[8] Les chiffres qui sont annoncés y compris dans les documents officieux sont tantôt en dollars, tantôt en euros et tantôt en livres sterling. Parfois même en millions, sans préciser. Il est à peu près impossible de reconstituer l’exacte vérité.
[9] La Croix rapporte que selon certains, ce serait bien plus, peut-être 800 millions. Mais là, on est pris de vertige !
[10] Francesca Chaouqui avait été poursuivie et condamnée par la justice du Vatican pour les fuites dans le cadre de l’affaire Vatileaks 2.
[11] Telle la participation du Vatican à la réalisation, à Malte, d’un biopic sur Elton Jones .
[12] https://www.cath.ch/newsf/le-cardinal-becciu-a-t-il-finance-les-adversaires-du-cardinal-pell/
Source : Golias Hebdo n° 684
