Pour vous, qui suis-je ?
Par Paul Fleuret
24e dimanche ordinaire – B – 12 septembre 2021
Le regretté Joseph Moingt a parlé de « la rumeur de Jésus qui voltigeait autour de lui, mélange d’interrogation, de suspicion et de confiance » [1]. La rumeur va dans tous les sens et chacun l’entend dans son univers culturel personnel : Jésus est Jean-Baptiste revenu à la vie, ou Élie, le précurseur de la Fin, ou un des prophètes revenu à la vie. Rumeur insensée, mais qui dit ceci : Jésus pose la question par sa pratique et ses paroles. Qui suis-je ? Fausse question ayant pour but réel d’amener les disciples à exprimer leur foi ? Ou vraie question de celui qui finit par douter de lui-même, qui ne sait plus où il en est devant les manifestations diverses de ceux qui l’entourent : Réponses diverses : « Et vous ? ». La réponse de Pierre est nette : le Messie. Jésus, connaissant l’ambiguïté du terme – un messie combattant politique, glorieux et puissant — ordonne le silence.
Vient alors ce qu’on nomme la première annonce de la passion. La plupart des lecteurs y voient une prophétie, une prédiction. Or, comme tout homme, Jésus ne pouvait avoir connaissance de son avenir : sa mort suivie de sa résurrection. Cependant, comme tout homme engagé et militant, il devait bien se douter que ses paroles et ses actes le mettaient en danger, y compris le danger de mort. N’imaginons pas qu’il est allé consciemment et volontairement vers la mort « pour sauver le monde par le sang de la croix » comme on l’entend dire. Ou écrire comme l’auteur de la Lettre aux Hébreux : « Sa mort est intervenue pour le rachat des transgressions commises » (He 9).
En fait, une lecture attentive, entre autres de l’Évangile de Jean, montre que Jésus a fui, s’est caché pour échapper à la mort. Ce fut sans doute même une tentation : tout laisser et reprendre une vie tranquille au village – mais « Passe derrière moi, Satan ! ». Cette annonce de la mort-résurrection doit alors être comprise comme une relecture post-pascale pour trouver un sens à la mort pitoyable de celui que l’on croyait messie. Relecture qui utilise le Premier Testament comme prophétie : « Après deux jours il nous fera revivre, le troisième jour, il nous relèvera et nous vivrons en sa présence » (Osée 6). Reste pour nous cette question : Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ?
Note :
[1] In L’homme qui venait de Dieu, éditions du Cerf
Source : Golias Hebdo n° 586
Je suis d’accord pour ne pas continuer à imaginer comme on l’entend dire ou écrire et je retrouve la même lecture faite par Arnaud Alibert, religieux assomptionniste dans le journal La Croix du vendredi 10 septembre 2021 : “Petit à petit Jésus se laisse investir par la plénitude de son identité dans laquelle se dessine la suite de son histoire. Cette scène est magnifique. Elle montre la fragilité du Christ et son humilité par lesquelles il laisse ses doutes affleurer et être dissipés par la parole de l’un de ses disciples. Discerner la parole de l’ami, en laisser pénétrer en nous la lumière ou lui fermer la porte quand elle trahit ses peurs, ses rêves ou ses plans . . .” Marie-Laure Durand, bibliste, dans Prions en Église, écrit : “Nous pouvons, grâce au silence du texte, avoir cet instant d’intimité avec Jésus pour lui dire combien ce qu’il propose est compliqué, nous fait peur, nous angoisse.”