Par Christine Fontaine
De la douceur à la violence
Ç’aurait pu être une journée pleine de douceur ! Dans ce village très beau de Galilée, voilà le fils de Joseph, l’enfant du pays qui revient. Quelqu’un qu’on connaît, qu’on a vu grandir. Quelqu’un dont on commence à parler, dont la renommée n’est plus à faire. On est fier de lui. Fier de soi ! « Ils étaient dans l’admiration ! »
Mais leur belle unanimité autour de Jésus ne dure pas. Celui qu’on admire remplit son auditoire de fureur. Celui de chez nous est poussé dehors. Celui à qui on tient, on veut le mettre à mort. La douceur de l’entre-soi fait place à une violence mortifère. Le plus étrange est qu’il semble que ce soit Jésus qui suscite volontairement cette violence. C’est lui qui brise leur consensus en refusant leur admiration. Quoi de plus violent que de déclarer « nul n’est prophète en son pays » à ceux « qui s’étonnaient du message de grâce qui sortait de sa bouche » ?
De la violence à la douceur
« Heureux les doux », dira Jésus dans l’Évangile. Dans la synagogue de Nazareth, il semble bien que Jésus se plaise à créer le malheur au sein de cet univers a priori plein de bienveillance et de douceur. En effet Jésus crée de la distance. Il ne se laisse pas réduire à l’enfant du pays dont la renommée retombe sur les siens. Il n’est pas seulement le fils du charpentier de Nazareth. Il est prophète et fils de Dieu. Il fracture volontairement la douceur d’un entre-soi. Il brise les frontières de la terre des hommes pour faire entrer son entourage dans la patrie de Dieu. Seuls ceux qui sont entrés ou qui pressentent ce qu’est cette nouvelle patrie pourront entrevoir ce qu’il en est de la vraie douceur, celle de Dieu.
D’une certaine manière la douceur de Dieu provoque la violence parce qu’elle introduit une blessure dans la douceur d’un entre soi. Cette blessure permet le passage d’un univers à l’autre : d’un monde où pour vivre en paix on chasse l’étrange, l’étranger ou l’inconnu, à un univers où l’on accepte de se faire violence pour consentir à la présence du Tout Autre et des autres parmi nous.
Les gens de Nazareth n’ont pas accepté que Jésus leur fasse violence. Et, parce qu’ils ne supportaient pas la blessure, ils ont déporté, exorcisé la violence sur Jésus. Ils ont préféré que Jésus soit blessé plutôt que d’être eux-mêmes blessés. Ils ont préféré que la violence soit sur l’autre plutôt que de laisser fracturer leur belle unanimité. Ils se sont tous ligués contre Jésus.
Se faire violence
Si nous rêvons de douceur et de paix aujourd’hui, prenons garde. Si c’est la douceur des béatitudes que nous désirons, nous n’y entrerons pas comme dans un bain d’eau tiède. Nous n’y entrerons pas sans que se brise en nous et entre nous quelque chose. « Le royaume des cieux souffre violence et seuls les violents s’en emparent », dit Jésus. La Parole de Dieu est un « fer rouge ». Elle nous marque, elle nous blesse. Elle nous fait violence. Si nous n’acceptons pas d’être blessés, nous devenons violents et nous expulsons Jésus hors de chez nous comme l’ont fait les habitants de Nazareth.
On parle beaucoup de fraternité et de bienveillance mutuelle dans l’Église. Mais cette douceur peut cacher le fait que nous expulsons ceux qui ne sont pas de chez nous, qui ne pensent pas comme nous. On parle aussi beaucoup de bienveillance et de fraternité entre les Gilets jaunes. Mais est-ce la douceur d’un entre soi qui est cherché comme on peut la trouver au sein d’une secte ? Ou bien y a-t-il un réel désir de faire place aux autres, étrangers, SDF, immigrés, quitte à en être blessés ?
Il faut se faire violence pour accueillir les autres ! Il faut se laisser faire violence pour accueillir Dieu vivant au milieu de nous !