Quitter l’Église catholique ou y rester…
René Poujol.
Rarement la question aura été aussi présente dans les conversations privées ou les échanges sur les réseaux sociaux.
Il y a eu le tsunami du rapport Sauvé puis le doute grandissant sur la capacité de l’Église à se réformer elle-même ; il y a eu les deux rapports sur les frères Philippe, Jean Vanier et les complaisances institutionnelles qui ont entouré leurs dérives ; il y a eu la mise en cause d‘évêques français dans des affaires d’abus… Pour certains ces épisodes ont été déterminants dans leur décision de rompre avec l’Église ou de s’éloigner durablement. On sait aussi que le confinement lié au Covid19 a durablement éloigné des fidèles de la messe dominicale. Enfin, il suffit de lire ce qui s’exprime et se débat de plus en plus librement, pour comprendre que la crise de confiance est profonde, radicale. Elle touche tout à la fois à la gouvernance, à la pastorale, à la doctrine voire pour certains au contenu même de la foi. Et les critiques de Rome sur le chemin synodal allemand font craindre que le synode en cours, convoqué par le pape François, ne soit pas à la hauteur de l’ébranlement qui secoue l’Église. Dès lors la tentation est forte, pour telles ou tels, de partir au désert…
Longtemps ces « départs » me sont restés une idée un peu abstraite
Le contrat moral qui me lie aux lecteurs de ce blog contient une exigence de vérité. « Dites-nous, monsieur Poujol, ce qu’est votre expérience. C’est cela qui nous intéresse. » Longtemps ces « départs » de l’Église catholique me sont restés une idée un peu abstraite, même si je percevais bien chez quelques proches – ou soupçonnais chez d’anciens camarades de fac – une prise de distance discrète, mais résolue. Et soudain, me voilà pris à témoin ! Des amis me confient s’être fait protestants dont l’un par « haine » d’une Église qui, voici soixante ans, n’a pas su le protéger d’un prédateur, dans une manécanterie. Voici trois jours, je recevais cette confidence : « Je me souviens de la manière dont ma conversion, il y a presque 30 ans, a changé ma vie. J’ai suivi alors une démarche de foi, de formation, accompagné par un homme qui m’a fait aimer l‘Église, cet homme était… Michel Santier. Un autre homme a beaucoup compté pour moi, m’a donné une sacrée espérance dans ma mission de baptisé, cet homme était… Emmanuel Lafont. (1) Alors, maintenant ? Il y a de la colère en moi. Certes. MaIs surtout une forme de confiance qui n’est plus là. Disparue. Éteinte. Morte. Et une part de ce que j’étais n’existe plus. Je n’en suis même pas nostalgique. Je ne serai plus jamais le jeune homme que j’ai été, enthousiaste et candide. Je travaille le vieil homme que je vais devenir en ne l’espérant ni aigri, ni désespéré. »
Lorsque des amis proches m’annoncent leur conversion à l’athéisme…
D’un couple d’amis de longue date, je recevais, le 5 mars dernier, une longue lettre d’où je tire cet extrait : « Nous nous sommes éloignés (de l’Église catholique) sur la pointe des pieds. Non que toutes ces affaires de pédophilie et autre abus sexuels nous aient perturbés : elles ne sont que la manifestation épidermique d’un cancer qui affecte le corps ecclésial tout entier dans la profondeur de ses tissus et de ses viscères qui constituent son âme. Le corps pourrit de l’intérieur ; son mal se nomme le cléricalisme avec son corollaire : le mensonge. C’est une vieille infection qui ne date pas d’hier… Il y aurait tant à dire, mais nous avons choisi l’exil et le silence tant la question ecclésiale est vaste et plus encore celle de la “Religion” avec sa raison d’être le théisme et son fonds de commerce le sacré. Nous ne pouvions plus rester dans les bancs d’une Église qui confesse un Credo devenu pour nous insensé et d’un autre âge, et dont les sacrements (à commencer par celui de l’Eucharistie) sont plus aptes à entretenir le pouvoir spirituel d’une caste cléricale qu’à communiquer le souffle christique aux hommes de notre temps…
D’aucuns diront que nous sommes devenus “Protestants”. Ce n’est pas exact. D’une part parce que nous ne protestons contre rien – ni structure cléricale, ni pape, ni curie incurable (!) – d’autre part et surtout parce que nous ne vivons plus dans l’univers du religieux qui fut le nôtre durant plus de cinquante ans. Nous avons abandonné, comme en une nouvelle naissance, le vieil homme “théiste” pour revêtir celui de “l’a-théiste”. Expérience de régénération, certes tardive et évidemment déstabilisante, mais ô combien libératrice et rajeunissante ! Je n’en écris pas plus, car l’intime est indescriptible ! »
Accusé d’être complice des bourreaux alors que je prétends hypocritement défendre les victimes
Faut-il écrire, ici, le choc qui fut le mien, me souvenant du nombre de repas partagés chez eux où une flamme brûlait toujours devant une icône et où aucun repas ne fut pris, jamais, sans bénédicité ni chant des grâces… Je repensai à cette phrase d’Emmanuel Carrère dans Le Royaume : « Je trouve terrible l’idée que la foi puisse passer et qu’on ne s’en porte pas plus mal. » Dans les jours qui ont suivi, au hasard des rencontres, je me suis ouvert de mon trouble à d’autres amis avec, souvent, cette réponse : « Tu sais, je crois que je pense un peu la même chose ».
Et je n’évoque pas ici celles et ceux, victimes d’abus en tout genre – pour faire bref – dont j’ai fait la connaissance au cours de ces dernières années, et qui commentent parfois, sur mon blog, leur rupture définitive avec une Église à laquelle ils avaient choisi de donner leur vie et qui les a trahis. Ainsi, de questionnement ou d’éloignement pour les uns, en rupture radicale voire en rejet de la foi pour d’autres, c’est véritablement un phénomène d’ampleur qui apparaît. On imagine mal que les évêques n’en soient pas conscients même s’ils l’éludent ou l’euphémisent au moins publiquement.
Le plus dur, pour ce qui me concerne, est sans doute l’accumulation d’appels récurrents et publics, sur les réseaux sociaux, à être cohérent avec moi-même et à quitter une Église irréformable. Ou à cesser, déjà, de cautionner par ma présence l’eucharistie dominicale qui, en magnifiant la personne « sacrée » du prêtre, présenté comme unique médiateur entre Dieu et les hommes, fait le lit du cléricalisme. Me voilà accusé d’être le complice objectif des bourreaux alors qu’hypocritement je prétends défendre les victimes. J’ai lu, dès la sortie de Catholique en liberté (Ed. Salvator) à l’automne 2019, que le titre du livre était un oxymore ; qu’il me fallait choisir entre l’Église et la liberté. Qu’abjurer ma foi serait seul à même de mettre un terme à ma « servitude volontaire » pour emprunter son titre à l’essai de la Boétie.
Pourquoi d’autres restent…
Ce qui, à ce jour, m’a préservé de la désespérance est sans doute de n’avoir jamais divinisé l’Église que je savais faite, comme moi, de pâte humaine. J’entends encore mon père, bon catholique, engagé à bien des niveaux de la vie associative, paroissiale, diocésaine dans mon Aveyron natal, proche de plusieurs de ses évêques successifs, me confier un jour, il y a de cela trente ou quarante ans : « tu sais, à Rodez le Saint-Esprit fait le trottoir. » Phrase au contexte incertain et à l’exégèse difficile qui m’a toujours porté à la vigilance !
Il faut croire que la tentation du « hors de l’Église, le salut » n’échappe pas à tout le monde. Parallèlement aux récits de départs ont surgi, en réponse, presque autant de confessions sur le registre : « Pourquoi je reste ».
Dans une chronique, le jésuite Paul Valadier dit revendiquer son appartenance à une Église qu’il sait être de pécheurs, même si y fréquenter des criminels – et à des postes d’autorité – nourrit en lui le malaise. Mais enfin, est-ce le moment de quitter le navire, interroge-t-il ? « On doit se demander si la solidarité avec un peuple de pécheurs, tout en cherchant à une conversion nécessaire en permanence, n’est pas signe de notre condition humaine et chrétienne en vérité. En des temps récents, beaucoup ont ainsi pris leur distance, estimant que l’Église n’évoluait pas assez vite. Mais en fait, ils ont laissé toute la place aux plus traditionalistes… » (2) De son côté mon ami et éditeur Michel Cool en appelle plutôt à la conversion de chacun, faisant sienne cette pensée de Carlo Carretto (3) « Non, ce n’est pas mal de critiquer l’Église quand on l’aime. C’est mal de la contester quand on se tient sur la touche comme des purs. Non, ce n’est pas mal de dénoncer le péché et les dépravations, mais c’est mal de les attribuer aux autres seulement et de se croire innocents, pauvres, bons. Voilà le mal ! »
Ne plus vouloir s’épuiser à transformer l’institution, parce que l’essentiel est ailleurs
D’autres encore expriment avec leurs mots propres leur détermination à « rester » malgré leur souffrance. Mais c’est sans doute le long texte publié par Antoine Duprez sur le site Garrigues et Sentiers (4) qui entre le mieux en résonance avec mon ressenti personnel. Il n’ignore rien des causes objectives de la crise. Et pourtant il dit se sentir « profondément solidaire de l’Église Catholique » parce qu’aucun mouvement ne peut vivre sans institution quelles que puissent en être, à certains moments de l’Histoire, les lâchetés et trahisons, parce que c’est par cette Église qu’il nous a été donné de connaître le visage de Jésus-Christ et que nul ne peut honnêtement réduire vingt-siècles de catholicisme à une accumulation de crimes odieux. Aujourd’hui il avoue ne plus vouloir s’épuiser à transformer l’institution – ce qu’il ne croit guère possible – alors que l’essentiel, pour lui, est ailleurs.
Il conclut en ces termes : « Je souhaite participer à l’avenir de l’Église, là où je suis, par des communautés vivantes qui témoignent concrètement de cet Amour révélé par la bonne nouvelle de l’Évangile. Car je pense que cela a un sens, dans un monde de plus en plus individualiste où le Dieu suprême risque de devenir l’argent avec le pouvoir qu’il donne, d’être témoin de ce que la vie véritable est d’abord dans la relation au frère, notamment le plus démuni. Dans ce sacrement du “frère” et dans des célébrations eucharistiques toujours plus conviviales, les croyants se ressourcent au geste fondateur de Jésus-Christ donnant sa vie pour que le monde vive et que dans cet amour partagé se trouve la signature d’un Amour qui vient de plus haut, que mon Église m’a appris à nommer avec les mots de sa culture, Dieu Père, Fils, Esprit. »
Des catholiques « en périphérie » que les évêques paraissent ne pas entendre
Sans doute y a-t-il là l’expression d’une conviction partagée par beaucoup dans ce qui tend à apparaître comme une « périphérie » de l’Église que nos évêques ne semblent pas pressés de reconnaître, de rejoindre ou d’entendre. Même si le débat n’est pas tranché parmi ces baptisés entre ceux qui plaident pour substituer un partage fraternel de la parole et du pain à l’eucharistie traditionnelle et ceux qui aspirent à une complémentarité entre les deux. Le 22 mars dernier, dans les locaux historiques des éditions Temps Présent (5) se trouvaient réunis pour une journée de réflexion et d’échanges : des représentants de La Fédération des Réseaux du Parvis, Nous sommes aussi l’Église, la Conférence catholique des baptisé.e.s francophones (CCBF), Saint-Merry Hors-les-murs, mais également Témoignage chrétien et Golias ainsi qu’à titre personnel, quelques journalistes et sociologues connus de la cathosphère. Pour dire leur détermination à approfondir leur réflexion sur l’Église, faire entendre leur voix et ouvrir de nouveaux espaces de liberté.
La thérapie de la dernière chance… selon Hans Küng
Alors : quitter, rester ? En 2012, commentant la situation dramatique que connaissait l’Église de son pays, l’Allemagne, le théologien Hans Küng publiait un ouvrage qui n’a rien perdu de sa pertinence. Son titre : Peut-on encore sauver l’Église ? En voici la dernière phrase que certains trouveront bien immodeste au regard de la promesse faite par Le Christ lui-même : « Je n’ai pas perdu l’espoir qu’elle (l’Église) va survivre ». (6) Dans une dernière partie du livre, il développe ce qu’il appelle « une thérapie de la dernière chance ». On peut, écrit-il, dans le contexte de crise aigüe que nous connaissons : décider de n’adhérer à aucune Église, en changer ou en sortir, refuser de payer l’impôt ecclésiastique (ou chez nous le Denier de l’Église). On peut aussi, à l’inverse, s’engager activement pour des réformes. C’est, dit-il, l’option qu’il a choisie. Puis il précise, à l’usage de chaque croyant, les cinq prescriptions de sa thérapie : ne pas se taire, car chaque baptisé est légitime à participer à la réflexion ; agir soi-même, car il n’est pas de petites améliorations à portée de mains qui ne soient porteuses de changements plus profonds ; agir de concert pour échapper aux risque de l’impuissance ou du sectarisme ; rechercher des solutions provisoires comme moyen de dépasser plus vite les blocages que l’on réprouve ; enfin : ne pas abandonner, ce qui serait la plus forte tentation. « C’est justement lors d’une phase de restauration et de stagnation dans l’Église, qu’il importe de poursuivre avec sérénité, dans une foi confiante, et de ne pas s’essouffler. » C’était, il est vrai, il y a dix ans…
- Michel Santier, ancien évêque de Créteil déjà sanctionné par Rome en 2021 pour abus fait l’objet d’une nouvelle enquête ; Emmanuel Lafont, ancien évêque de Cayenne, est assigné à résidence par le Vatican, le temps d’une enquête préalable également pour abus.
- Paul Valadier, Quitter le navire ? Revue Vie chrétienne n°82.
- Carlo Carretto (1910-1988), dirigeant de la puissante Action catholique italienne
- Garrigues et sentiers a ouvert un grand débat autour du thème : faut-il quitter l’Église ou rester ? La lecture en est passionnante.
- Créées en 2009, elles sont l’héritière de l’hebdomadaire du même nom porté sur les fonts baptismaux en 1937 par François Mauriac et Jacques Maritain. Dans ce vivier se trouvent les futurs fondateurs du Monde et de la Vie catholique…
- Hans Küng, Peut-on encore sauver l’Église ? Ed. du Seuil 2012, p.230 à 238.
ADDENDUM
Le 11 mars dernier, la Conférence catholique des baptisé.e.s francophones (CCBF) présentait les résultats d’une enquête (voir vidéo ici) réalisée auprès de 1 600 baptisés hommes et femmes « éloignés de l’Église » (1) Une majorité (58 %) d’entre eux évoquait là une évolution récente remontant à ces dernières années. Les causes étaient à chercher du côté d’un traumatisme personnel, d’un sentiment de rejet pour eux-mêmes ou leurs enfants « c’est l’Église qui s’est éloignée de nous », de la montée du cléricalisme dans leur paroisse ou leur diocèse, de l’absence de tout débat dans l’Église… Et pourtant, 55 % se disaient prêts à reprendre du service pour peu qu’on les y invite… De quoi repenser à cette phrase du pape François dans son entretien pour les revues jésuites, à l’été 2013 : « Parfois celui qui s’en est allé l’a fait pour des raisons qui, bien comprises et évaluées, peuvent le conduire à revenir. Mais il y faut de l’audace, du courage. » (2)
(1) CCBF. Les baptisés éloignés de l’Église, Enquête sociologue, Jean-François Barbier-Bouvet et Claudine Bénard, mars 2023.
(2) Pape François, L’Église que j’espère Ed. Flammarion/Études, 2013, p.70.
https://www.renepoujol.fr/quitter-leglise-catholique-ou-y-rester/