Les évêques espagnols se préparent à une « guerre civile » autour de leur collaboration aux enquêtes sur les abus commis par l’Église espagnole.
Par Jesús Bastante (Religion Digital)
Ce lundi, les évêques espagnols vont se réunir à nouveau, lors de leur première plénière sans masque obligatoire (bien que celui-ci soit recommandé, car ce sont des personnes âgées) depuis l’élection du cardinal Omella à la présidence, il y a deux ans. Une plénière qui, loin de la paix qui règne habituellement en ces occasions, présente le risque d’une véritable « guerre civile » autour des enquêtes sur les abus, et de la volonté, ou non, des prélats de collaborer tant à l’audit commandé par la Conférence épiscopale espagnole (CEE) au cabinet Cremades & Calvo Sotelo qu’à celui qui sera mené par le médiateur mandaté par la chambre des députés.
Juste avant d’entrer dans la salle de réunion, les évêques prendront connaissance de la lettre que différents groupes d’Église (dont Religion Digital) enregistreront au siège d’Añastro [celui de Luis Javier Argüello García, porte-parole de l’épiscopat, ndlr], pour exiger « que l’Église espagnole passe définitivement de l’obscurité à la lumière sur la question des abus et que sa volonté de faire éclater la vérité, de rendre justice et de réparer les victimes soit sans équivoque ».
Pression politique et médiatique
En attendant ce que dira le cardinal Omella dans son discours d’ouverture, il est certain que plus d’un évêque est agacé par la manière dont a été traitée l’embauche du cabinet d’avocats, ainsi que par le fait même de l’enquête, qu’ils comprennent comme résultant de pressions politiques et médiatiques, et non d’une réelle volonté de mettre fin à ce fléau. Curieusement, ce même groupe est celui qui refuse toute collaboration avec les autorités, et se limite à continuer à laver le linge sale « en famille » (c.-à-d. dans les commissions diocésaines, dont l’inefficacité, à quelques exceptions près, a déjà été plus que démontrée).
En fait, ils l’ont, dit-on, appris « par la presse », bien que le porte-parole de la CEE, Luis Argüello (dont la nomination en tant qu’archevêque de Valladolid pourrait même être officialisée au cours de cette plénière, suscitant des rumeurs sur son possible départ anticipé d’Añastro), ait écrit une lettre à l’ensemble de l’épiscopat expliquant brièvement en quoi consistait l’accord. Cependant, de nombreux prélats ont découvert le contrat avec Cremades par le biais de leur site web, ainsi que la rencontre d’Omella avec les victimes et la demande ultérieure de rencontre avec le Saint-Père.
Il y aura une bataille, et de taille, sur la question de l’ouverture des archives. Plus d’un prélat a déjà annoncé en privé qu’il ne remettrait pas les archives diocésaines « à n’importe qui » (en référence à Cremades, mais aussi, et surtout, au médiateur Gabilondo [1]). À cela s’ajoute le fait que la grande majorité des questions « scandaleuses » sont rassemblées dans une autre archive, dite « secrète », connue seulement des évêques et de certains chanceliers diocésains, et qui contient les cas les plus graves, protégés par le secret de la confession et donc doublement inviolables : par les accords Église-État et par les règlements ecclésiastiques eux-mêmes.
Si la collaboration avec Cremades semble difficile, la participation de l’épiscopat à la commission du Médiateur sera encore plus difficile, car quasiment aucun évêque n’est convaincu. Actuellement, la thèse principale est que – comme le stipule le contrat – le cabinet d’avocats doit être l’interlocuteur entre la « commission Gabilondo » et l’Église, ce qui irrite profondément une grande partie des victimes, qui continuent à se sentir ignorées et sans pouvoir participer directement (avec prise de décision) à l’audit ecclésiastique.
Signer la paix et travailler pour le bien commun
Parallèlement à la question des abus, la plénière d’avril permettra de vérifier si la rencontre d’Osoro [l’archevêque de Madrid, ndlr], d’Omella et d’Argüello avec le Pape a permis de faire revenir les responsables épiscopaux à un « travail en commun ». Au-delà du fait que le porte-parole va bientôt quitter son poste, ce qui est certain, c’est que François veut que ses deux hommes en Espagne travaillent côte à côte, et ce qu’on constate, c’est que l’Église espagnole, risque de rater, une fois de plus, le train des réformes.
À cela s’ajoute un renouvellement plus que nécessaire de l’épiscopat qui pourrait se faire dans les prochaines semaines. Valladolid, Valence, San Sebastián, Grenade, Pampelune… ne sont que quelques-uns des principaux « sièges » qui pourraient bientôt changer de titulaire. Tant qu’il y a la paix parmi les justes – ce qui devrait être le cas – les « ennemis », même ceux de l’intérieur, sont autres. Il est temps de s’en rendre compte et de se mettre au travail.
Note de la rédaction
[1] Ángel Gabilondo, homme politique membre du PSOE, a la fonction de « défenseur du peuple » (Defensor del Pueblo), dont la mission principale est de protéger et défendre les droits et libertés des citoyens espagnols par rapport aux abus que pourrait commettre l’administration de l’État.