Thomas fait son difficile
Par Michel Deheunynck
Et c’est ainsi que se termine cet Évangile de Jean. Il y a bien encore un chapitre 21, mais on sait qu’il n’est pas de Saint-Jean lui-même. Jean termine donc avec cet épisode de Thomas. Thomas, le capricieux ; Thomas qui fait son difficile… mais, sympathique quand même.
Bien sûr, pour nous deux mille ans après, c’est quand même un peu différent. Après deux mille Vendredis saints et deux mille jours de Pâques, il faudrait être bien naïfs pour se faire encore avoir. Il y a longtemps que l’on a compris qu’il n’y en avait que pour trois jours… On l’a peut-être appris au catéchisme et chaque année, en Église, on nous en remet une couche pour être sûrs qu’on l’a bien compris dans notre vie de croyants. C’est programmé ainsi et, cette année encore, on a fait ça bien comme il faut : des rameaux, des croix, des bougies, des fleurs et tout le reste… Peut-être même que, pendant le Carême, on avait réfléchi aux dépassements, aux libérations, aux partages dont nous voulons être solidaires et même acteurs. Oui, avec Jésus, nous voulons, nous aussi, passer de la mort à la vie. Alors, la résurrection, nous, on est d’accord ! Et il y a de quoi réjouir nos cœurs de croyants.
Mais ce jour-là, dans cette maison bien fermée à Jérusalem, on n’a pas vraiment le cœur à rire. Alors, mettons-nous un peu à la place de Thomas et de ses amis. On ferme les portes de la maison, les portes de nous-mêmes et on reste là avec nos peurs, nos angoisses, nos désarrois, notre honte d’avoir peut-être renié ou trahi Jésus ou simplement de l’avoir abandonné, de l’avoir laissé finir comme ça… sur la croix ! Alors, bien sûr, pour ce pauvre Thomas, lui qui n’en était pas à son deux millième Vendredi saint ni à son deux millième jour de Pâques, lui qui n’avait pas encore eu l’occasion de se sentir impliqué dans la perspective d’une vie nouvelle, transformée, d’un monde nouveau enfin heureux, pour lui, encore moins que pour nous, il ne pouvait être question d’un miracle comme celui-là : que Jésus reprenne vie ! Et Jésus vient lui dire que si, c’est bien lui ! Mais aussi et surtout que c’est maintenant à lui, et à nous, de faire aussi reprendre vie aux autres et au monde. Et voilà que Thomas, il y croit ! Il a compris qu’il n’a plus besoin de toucher Jésus et de voir la marque des clous. Et nous aussi, on veut y croire. On veut y croire à tout ce qui peut redonner à chacun une vie digne, épanouie, confiante. Parce que c’est avec tout cela que Jésus reprend vie, qu’il ressuscite aujourd’hui encore. Et c’est à tout cela qu’il nous demande, comme à Thomas, de croire.
Mais cette foi-là, elle n’est jamais acquise une fois pour toutes, même deux mille ans après. Et il ne s’agit pas pour cela ni d’avoir des réponses toutes faites ni d’épater les autres à grand renfort de prestige religieux, ni de chercher à convaincre qui que ce soit, mais de marcher ensemble, croyants et non croyants, vers une humanité réconciliée où la valeur de chacune, chacun sera le seul enjeu, la seule cause qui compte. Et c’est vrai que ce n’est pas toujours simple, quand un conflit se prolonge, quand les solidarités se fragilisent, quand on s’est donné avec le meilleur de soi-même pour… pas grand-chose et qu’on se dit, comme Thomas qu’on a peut-être été un peu fou de croire à tout ça et qu’on ferait mieux de rester enfermé sur soi, de verrouiller les portes, et bien, c’est justement là que Jésus vient nous rejoindre, non pas pour nous consoler ou nous bénir, mais pour nous relancer au-delà de tous nos essoufflements.
Alors, Jésus, si parfois, nous non plus, on n’est pas prêts à te reconnaître, si on n’est pas très en forme, si tu nous trouves fatigués ou découragés ou si, comme Thomas, on n’est pas là quand tu viens jusque chez nous, continue à franchir nos murs, à déverrouiller nos portes pour faire de notre vie une vie vraiment nouvelle, vraiment ressuscitée.
Et tous ces signes que saint Jean n’a pas eu la place de mettre dans son livre, apprends-nous à les écrire aujourd’hui avec nos mots, nos gestes, nos rêves et notre foi à nous !
Source : « La périphérie : un boulevard pour l’Évangile ? », p. 211