Par Michel Gigand [1]
Si nous appelons les premiers chrétiens « adeptes de la Voie », c’est parce qu’ils étaient appelés ainsi dans les débuts du christianisme, le mot « chrétien » n’apparaissant que plus tard vers les années 40. « C’est à Antioche que, pour la première fois, le nom de “chrétiens” fut donné aux disciples. » (Actes 11/26)
Être passionnés d’Évangile nous renvoie obligatoirement aux sources, aux raisons qui ont poussé les adeptes de la Voie dans une aventure collective. Pourquoi sont-ils devenus accros du message de Jésus de Nazareth, alors qu’en ce temps-là il y eut tant d’échecs de « prophètes » ?
Une aventure qui va faire son trou
C’est l’historien Enrico Norelli qui, dans La Naissance du christianisme, écrit : « La mission de Jésus aurait pu se terminer avec sa mort. Ce fut le cas d’autres personnages qui, avant et après lui, se présentèrent comme les sauveurs d’Israël : Simon de Pérée à la mort d’Hérode le Grand (4 av. JC) ; à la même époque, Athrongès, prophète samaritain anonyme vers 36 de l’ère chrétienne ; Theudas, vers 44-46 ; Jacques et Simon, fils de Judas le Galiléen vers 46 ; un prophète égyptien (qui semble s’en être tiré, mais en disparaissant) autour des années 50 ; Jésus, fils d’Ananias en 62… Il a donc fallu que le message de Jésus de Nazareth soit puissant et captivant pour entraîner à sa suite le groupe qui l’a côtoyé, et ce malgré bien des risques. »
Une aventure sans religion
Au moment de la crucifixion et dans les années qui suivent, les adeptes de la Voie sont orphelins. Ils ont perdu leur maître qui est mort à la demande des autorités de leur propre religion juive… Ils n’ont pas de lieux propres pour partager leur vécu avec Jésus hormis leurs propres maisons. Ils n’ont pas non plus de textes de références, ils doivent faire une réinterprétation de l’histoire de leur peuple, relire l’histoire de Jésus de Nazareth avec l’éclairage de l’Ancien Testament… Vaste chantier ! Comme l’écrit Joseph Moingt dans son livre L’Esprit du christianisme : « Le christianisme est né hors religion, car Jésus avait été chassé de la sienne et n’avait pas tenté de l’imposer au reste du monde, sans avoir eu le temps et vraisemblablement l’intention d’en inventer une autre, au point que ses apôtres, au lendemain de sa mort, apparaissent démunis de tout signe, de tout lieu et de tout discours religieux. »
Une aventure au message libérateur
Le laïc Jésus de Nazareth a profondément marqué les adeptes de la Voie, tant par ce qu’il a fait que par ce qu’il a dit dans sa vie de tous les jours, vie qu’ils ont partagée avec lui. C’est ce que nous ressentons fortement à la lecture de chaque évangile. Faisons-en l’expérience en reprenant quelques grandes lignes de la Bonne Nouvelle dans l’évangile de Matthieu, ce que chacun peut aussi faire avec les autres évangélistes.
• Le choix des pauvres : « Heureux les pauvres de cœur, le royaume des cieux est à eux » (5,3)
• L’entraide : « Heureux les miséricordieux, il leur sera fait miséricorde » (5,7).
• La paix : « Heureux ceux qui feront œuvre de paix, ils seront appelés fils de Dieu » (5,9).
• La justice : « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le royaume des cieux est à eux » (5,10).
• Le pardon : « Si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi… va d’abord te réconcilier avec ton frère… » (5, 21-26) ; « Combien de fois lui pardonnerai-je ? Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois… » (18, 21-22)
• L’amour des ennemis : « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent… Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense allez-vous en avoir ? Vous donc vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (5, 43-48).
•L’humilité : « Quand donc tu fais l’aumône, ne le fais pas claironner devant toi, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues » (6, 1-3).
• Le choix du cœur : « Ne vous amassez pas de trésors sur la terre » (6, 19-21) ; « Vous ne pouvez servir Dieu et de l’Argent » (6, 24).
• Le respect de l’autre : « Qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? » (7, 1-5).
• La pureté : « Écartez-vous de moi vous qui commettez l’iniquité » (7, 23) ; « Du cœur proviennent intentions mauvaises, meurtres, adultères, inconduites, vols, faux témoignages, injures » (15, 10-18).
• L’accueil des exclus : lépreux, prostituées, handicapés, malades mentaux… « Beaucoup de collecteurs d’impôts et de pécheurs étaient venus prendre place avec Jésus et ses disciples… Pourquoi votre maître mange-t-il avec les collecteurs d’impôts et les pécheurs ? » (9, 10 et 11) ; « Collecteurs d’impôts et prostituées vous précédent dans le Royaume de Dieu » (21, 31).
• La libération : « Les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres » (11, 5).
• Le refus de se laisser enfermer par la religion : « Le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat » (12, 1-8).
• L’accueil des enfants (très important quand on sait qu’ils comptaient pour rien) : « Laissez faire ces enfants ; ne les empêchez pas de venir à moi » (19, 14).
• Le refus de la richesse : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux » (19, 21) ; « Un riche entrera difficilement dans le Royaume des cieux » (19, 23).
• L’amour : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. C’est là le grand, le premier commandement. Un second est aussi important : Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (22, 37-40).
• L’universalité : « Cette Bonne Nouvelle du Royaume sera proclamée dans le monde entier ; tous les païens auront là un témoignage » (24,14).
Impressionnant ce court inventaire du programme !
Un message libérateur pour nous aussi aujourd’hui
Le message des adeptes de la Voie est révolutionnaire en leur temps. Nous imaginons aisément qu’il est en contradiction avec le poids de la domination de l’Empire romain dans tous les territoires qu’il occupe, de même que nous pouvons imaginer aussi la contradiction avec tout ce qu’imposent les autorités de la religion juive. Dans nos sociétés capitalistes, aux religions très ancrées dans leurs traditions, nous savons tout le poids qui est mis sur les épaules des populations… Et nous aspirons à un monde autre. C’est pourquoi le message libérateur que nous proposent les adeptes de la Voie nous parle autant à nous aujourd’hui qu’à eux hier. Mais est-ce bien ce qui transparaît dans le discours chrétien de la hiérarchie de l’Église, diffusé en particulier par les médias ? Nous affirmons que non. Nous pourrons y revenir…
Note :
[1] Auteur du livre :Source : https://www.golias-editions.fr/2022/05/11/lavenir-de-levangile/