Extraits du livre « De la prêtrise à l’abandon des doctrines » de Roger Sougnez
Les Évangiles
Jésus de Nazareth est à l’origine de la religion chrétienne.
Pour les croyants, selon les évangiles, il est mort sur la croix pour leur apporter le salut, mais il est toujours vivant, car il est ressuscité. Fils de Dieu, deuxième personne de la Sainte Trinité, il reste le personnage fondamental de l’Église.
Les évangiles rapportaient exactement ce que Jésus avait dit et fait. Ils étaient totalement véridiques, car « Parole de Dieu », inspirés par Dieu qui ne peut ni se tromper ni nous tromper. On connaissait les quatre évangélistes auxquels on pouvait se fier : Matthieu le publicain et Jean, le disciple que Jésus aimait, étaient apôtres ; Marc livrait la prédication de Pierre ; Luc, historien sérieux. avait interrogé des témoins oculaires (Le 1. 1-4).
Tout ce que Jésus disait dans l’évangile devait être pris comme vérité qu’il voulait enseigner ; c’est oublier qu’il parlait dans la mentalité de l’époque, un monde pétri de merveilleux, de vocables et de symboles religieux, sans nécessairement vouloir ratifier, enseigner toutes les expressions qu’il employait. Contrairement à ce que les croyants pensaient, il n’est vraiment pas facile de distinguer dans ses paroles ce qui serait vraiment message qu’il voulait communiquer ou pure mentalité de l’époque dans laquelle il vivait. Le dictionnaire Robert définit ainsi le mot mentalité : « Cet ensemble de croyances et d’habitudes d’esprit qui informent ou commandent la pensée d’une collectivité, communes à chaque membre de cette communauté ».
Le Concile déclarait encore en 1965 : Notre sainte Mère l’Église a tenu et tient, fermement et avec la plus grande constance, que ces quatre évangiles dont elle affirme sans hésiter l’historicité, transmettent fidèlement ce que Jésus le fils de Dieu, durant sa vie parmi les hommes a réellement fait et enseigné pour leur salut éternel, jusqu’au jour où il fut enlevé au Ciel. (DV19)
Aujourd’hui, les travaux de la critique historique indépendante nous ont appris que la réalité est toute différente. Les rares sources sur lesquelles nous pouvons nous baser sont d’une telle diversité de genres littéraires, sont tellement lacunaires et comportent si peu d’éléments fiables et tant de contradictions qu’il nous est définitivement impossible de connaître la vie réelle de Jésus.
L’attribution à un personnage déterminé « Évangile selon Saint Marc » ne s’est pas faite dès le début. On ne connaît pas l’identité réelle des évangélistes (La pseudépigraphie).
Voici ce qu’en dit Gérard Mordillat : « Personne ne peut affirmer avec exactitude où les évangiles ont été écrits. Ni quand ni par qui ni pour qui ni contre qui ».
Parmi les nombreux recueils (parfois très fantaisistes) qui parlent de Jésus, l’Église n’a retenu que les quatre évangiles que nous connaissons qu’elle a déclaré inspirés par Dieu et sur lesquels elle se base. Les autres sont appelés apocryphes, ainsi l’évangile de Thomas remis à l’honneur, l’évangile de Pierre, l’évangile de Marie, etc.
Les évangiles rédigés 40 à 65 ans après les événements ne sont pas des récits historiques. Jésus a d’abord été « raconté », transmis oralement avant d’être écrit (civilisation de la parole et non de l’écrit). De petits recueils de ses paroles et de ses actes se sont constitués, amplifiés et modifiés à la lumière de la foi des premiers disciples. Les évangélistes les ont rassemblés, revus selon leur vision théologique. Ainsi l’évangile de Matthieu veut nous montrer que Jésus est bien le Messie qui avait été annoncé par les prophètes de l’Ancien Testament. Leur but est de nous communiquer leurs convictions, comme il est écrit dans l’évangile de Jean : « Jésus a opéré […] bien d’autres signes qui ne sont pas consignés dans ce livre. Ceux-ci l’ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom » (20.30, 31).
Le remarquable exégète protestant Pierre Bonnard écrivait déjà en 1963 dans son gros ouvrage : « l’Évangile selon Saint Matthieu » :
« L’évangile présuppose une longue période de foi, d’enseignement, d’expériences communautaires, il veut montrer comment on peut et on doit être “disciple” de Jésus en ces années 80-90 (…) Comprendre le premier évangile, ce n’est pas comprendre la “personnalité” historique dont il nous parle, c’est comprendre l’interprétation qu’il en donnait dans le milieu historique qui était le sien, quelque cinquante ou soixante ans après la mort de Jésus de Nazareth » (p. 9-11).
Il nous avertit que l’objectif de l’évangéliste n’est pas de nous dresser le portrait précis de Jésus de Nazareth, mais de donner à partir de lui un enseignement utile au développement de l’Église naissante.
Pour les trois évangiles synoptiques : Matthieu. Marc et Luc, les exégètes constatent un regroupement de petits ensembles, de séquences, de passages insérés (appelés péricopes) d’origine, de date, de nature et d’historicité diverses et en ont étudié les particularités.
Nous avons un exemple assez révélateur au chapitre 5 de Matthieu. Alors que Jésus n’hésite pas à s’opposer à la Tradition : « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : tu ne commettras pas de meurtre […] Et moi, je vous dis : quiconque se met en colère contre son frère en répondra au tribunal… » (v. 21, 22, 27,33) ; on trouve juste au passage précédent:
« N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi et les Prophètes, je ne suis pas venu abroger, mais accomplir […], pas un point sur l’i ne passera de la Loi » (v.17,18) ; cette dernière péricope, émanant clairement d’un milieu conservateur, exprime le contraire.
Tout le Nouveau testament et la prédication de Jésus se passent dans un cadre mythologique, les puissances surnaturelles, les anges et les démons et la multiplication des faits extraordinaires. Ainsi l’épisode des démons qui, ayant pris possession d’un homme violent, sont envoyés dans un troupeau de porcs : « II y en avait environ deux mille » Mc (5.1-20. ; Mt8.28-34 ; Lc 8.26-39)
À cette époque, plus on attribuait de miracles à un personnage, plus on augmentait sa notoriété.
On voit tout de suite la différence de genre entre les trois synoptiques qui ont des passages communs et l’évangile de Jean qui est une construction théologique de l’auteur qui livre ses réflexions propres en les mettant dans la bouche de Jésus. Ce dernier et tardif évangile n’est pas l’œuvre de l’apôtre Jean, le disciple que Jésus aimait (Jn. 19.26), mais provient du cercle de ses disciples.
Les problèmes d’historicité abondent : Le caractère vague des transitions chronologiques : « En ces jours-là, alors, en ce temps-là » (Mt 3.1 ; Mc 8.1, etc.). (…)
Voici, par exemple, comment les exégètes peuvent reconnaître que des paroles n’ont pas pu être dites par Jésus. Ainsi, dans la péricope de la correction fraternelle : « Si ton frère vient à pécher…» (Mt 18.15-18). Jésus n’a certainement pas prononcé les paroles suivantes : « S’il refuse de les écouter, dis-le à l’Église » (v.7), car de son vivant il n’y avait pas encore d’Église ni de communauté structurée.
Les évangiles sont tour à tour récits biographiques, fables pieuses, légendes historiées, scènes dialoguées ; sentences morales, conseils pratiques, traités philosophiques.
Qui était Jésus
Contrairement à la croyance habituelle, Jésus ne s’est pas distingué par un comportement spécialement étrange. Sa naissance et son enfance ne furent pas entourées de faits merveilleux. Prédicateur itinérant comme d’autres à son époque, il était un thaumaturge charismatique possédant sans doute des facultés exceptionnelles. Il vivait pleinement de nombreuses valeurs : fraternité, amour, disponibilité, désintéressement, opposition au mensonge, à la mauvaise foi, à l’hypocrisie et à l’orgueil. Ouvert à tous, surtout aux défavorisés, aux méprisés, aux rejetés, extrêmement courageux et fidèle à son idéal, malgré le risque d’une mort violente précoce, il osait prendre bien des distances par rapport à la religion officielle et aux coutumes : « Le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat » (Mc 2.27), « Vous avez annulé la parole de Dieu au nom de votre tradition […] les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes des hommes » (Mt 15. 6-9). Il a suscité l’enthousiasme d’une multitude et engendré un mouvement religieux qui s’est perpétué jusqu’à nos jours. Ses paroles ont inspiré ce qu’il y a de meilleur dans notre civilisation chrétienne.
Marc, au début de son évangile, résume très bien toute la prédication de Jésus dans ce passage : « Il proclamait l’évangile (la bonne nouvelle) de Dieu et disait : “Le temps est accompli, le règne de Dieu s’est approché, faites la metanoia et croyez à l’évangile » (Mc 1. 14,15) c’est-à-dire : le moment favorable est arrivé, le règne, le royaume de Dieu est proche. L’expression importante « Royaume de Dieu » comprend beaucoup de sens dans l’évangile, entre autres : la nouvelle façon de vivre : règne de paix, de justice et d’amour voulu par Dieu. On traduit habituellement « Metanoia » par « Convertissez-vous » ou « Faites pénitence » alors que ce mot grec représente bien plus, il signifie : « Changement radical de mentalité et de comportement ». (…)
La résurrection de Jésus
Nous arrivons maintenant à un sujet capital. La résurrection de Jésus est vraiment le sommet qui authentifie sa mission et sa divinité. Elle constitue aussi le fondement et la supériorité du christianisme. Parmi les grandes religions, elle est la seule à prétendre avoir un fondateur qui soit ressuscité et reconnu comme Dieu. La foi des chrétiens repose aussi sur cette conviction, comme Paul l’exprime dans son épître : « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide et vide aussi notre foi » (1 Cor 15.14).
Pour les chrétiens, celui qui est à l’origine de leur religion est donc toujours vivant d’une existence bien réelle, mais mystérieuse, invisible, non perceptible. Le ressuscité n’a pas repris durablement la forme de vie d’avant, bien visible, indubitable. On comprend que Pâques qui commémore la Résurrection de Jésus soit la fête la plus importante où des croyants se saluent par « Alléluia, le Christ est ressuscité ».
Le catéchisme en parle abondamment : « Nous vous annonçons la Bonne Nouvelle : la promesse faite à nos pères, Dieu l’a accomplie en notre faveur à nous, leurs enfants : Il a ressuscité Jésus » (Ac 13, 32-33) La Résurrection de Jésus est la vérité culminante de notre foi dans le Christ, crue et vécue comme vérité centrale par la première communauté chrétienne, transmise comme fondamentale par la Tradition, établie par les documents du Nouveau Testament, prêchée comme partie essentielle du mystère Pascal en même temps que la Croix. (C638)
En effet, personne n’a été le témoin oculaire de l’événement même de la Résurrection et aucun évangéliste ne le décrit. Personne n’a pu dire comment elle s’est faite physiquement. Moins encore son essence la plus intime, le passage à une autre vie, fut perceptible aux sens. Événement historique constatable par le signe du tombeau vide et par la réalité des rencontres des apôtres avec le Christ ressuscité. (C.647)
Les deux dernières lignes résument les deux arguments sur lesquels les apôtres appuient leur proclamation de la résurrection. Puisque personne n’a été témoin de l’événement, il ne reste que les apparitions de Jésus et l’évocation du tombeau vide pour le garantir.
Sans cette croyance en la résurrection, il n’y aurait peut-être pas eu de religion chrétienne. Tout ce mouvement initié par Jésus n’aurait pas eu de suite notable ; Jésus aurait terminé son existence dans l’échec total : la mort la plus ignominieuse pour celui qu’on croyait le Messie, crucifié comme les esclaves, les criminels. Alors qu’il s’agit d’un événement aussi inouï, s’il s’était réellement passé, les évangélistes auraient dû nous fournir des preuves solides au lieu de ces récits du tombeau vide et des apparitions trop fragmentaires, contradictoires, pour être historiques.
Certains épisodes sont fort suspects : un ange descendu du ciel pour rouler la pierre, (Mt 28. 2-7), un jeune homme (Mc 16.5-7), deux hommes (Le 24.4) expliquent et donnent une mission aux femmes.
On peut encore douter de l’objectivité des évangélistes quand on constate que, Luc, dans son évangile (24.51), situe l’ascension de Jésus directement après la résurrection, mais 40 jours après dans les Actes des Apôtres (1.2-3). (Ce chiffre symbolique : 40 jours pour les tentations de Jésus, 40 années pour l’exode, etc. !). Dans ce dernier cas, pendant ce laps de temps, il aurait été élémentaire que Jésus se manifeste suffisamment et fasse clairement connaître son message et ses recommandations avant de quitter cette Terre. Mais, en réalité, Jésus de Nazareth n’est pas ressuscité.
Quant aux récits d’apparitions, voici un scénario vraisemblable : étant donné les paroles et la vie exceptionnelle de leur rabbi, accompagnées de tous ses hauts faits, vu leur admiration, leur communauté de vie, leur amour intense et toutes les expériences qu’ils avaient vécues, les apôtres et des disciples ont pu arriver à la conviction qu’il n’était pas possible que tout se termine ainsi et espérer que, malgré tout, Jésus soit toujours vivant, en avoir la vision (tant d’humains ont des visions !) puis être convaincus de sa présence. La rumeur s’est répandue, des récits se sont constitués pour matérialiser et expliciter cette certitude et la propager.
Le célèbre épisode de l’apparition de Jésus aux disciples d’Emmaüs (Le 24,13-35) avec l’évocation de l’eucharistie n’est pas un fait historique, mais une remarquable élaboration catéchétique. On y voit Jésus réconforter les disciples démoralisés par sa mort en rappelant que les prophètes avaient annoncé tout ce qui le concernait, à savoir le plan divin qui le conduirait à sa glorification. Cette explication est mise dans la bouche de Jésus lui-même.
Ceux qui croient en l’historicité de la résurrection (j’en faisais partie jadis) s’appuient sur le contraste de deux faits : D’une part, le découragement total des apôtres après la mort de leur Seigneur et, d’autre part, le courage et le dynamisme avec lesquels les apôtres et des disciples, s’engagent dans la proclamation de la résurrection de Jésus et de son message. Conclusion : à leurs yeux, ce changement radical n’est possible que si le fait exceptionnel de la résurrection s’est réellement produit.
De cette croyance en la résurrection découle une conséquence grave pour la crédibilité des évangiles sur laquelle les exégètes attirent notre attention. On l’appelle la foi pascale (pascale venant de Pâques : fête de la résurrection). Persuadés que Jésus est ressuscité, donc qu’il n’est pas un simple homme comme les autres, mais un être d’une nature transcendante, doté de dons divins, les évangélistes n’ont pas hésité à projeter rétrospectivement cette conviction sur le récit de sa vie et à embellir les faits et paroles de Jésus en conséquence. Comme Jésus n’est pas ressuscité, tout ce que les évangélistes lui attribuent après la résurrection n’est pas crédible.
Source : http://librepenseechretienne.over-blog.com/2022/05/jesus-homme-dieu-1.html