Après les élections : des inquiétudes et des espoirs
Par Yann des Entommeures (Golias)
Le décryptage de l’actualité politique (« Législatives : ni surpris, ni déçu… inquiet ! » [1]), que propose René Poujol dans le numéro 726 de Golias Hebdo au lendemain des élections, m’a vivement interpellé sur deux points.
Je ne trouve rien de fondamental à redire sur la première moitié de la contribution, qui démontre notamment la faiblesse de l’assise électorale d’Emmanuel Macron. René Poujol évalue à « 23,1 % seulement des Français » la proportion de nos compatriotes qui, au second tour de l’élection présidentielle, ont « exprimé à cette occasion leur soutien réel à sa personne et à son programme » : 23,1%, compte tenu de l’abstention, mais aussi du fait que « deux[électeurs] sur cinq » ont voté pour le président sortant afin de « barrer la route à Marine Le Pen ». 23,1 % est simplement un peu trop généreux… Si l’on prend en compte les non-inscrits en plus des abstentionnistes, on tombe encore plus bas.
Cette analyse effectuée, René Poujol exprime plusieurs « inquiétudes ». Il se demande notamment comment va s’effectuer la « recomposition politique » pendant les cinq prochaines années, et quelles alternances seront possibles en 2027 après dix années de macronisme. Il s’inquiète à la fois d’une « alternative de droite » polarisée par le RN et d’une « alternative de gauche » sous la houlette de LFI : il y voit un risque que triomphent « des “extrêmes” » contre « le désir d’une majorité de Français ». Le discours qui consiste à placer, dans le même sac « extrémiste », les blocs actuellement dirigés par les deux principales figures d’opposition fait certes actuellement florès ! Le Pointn’a-t-il pas titré cette semaine, sur une photographie d’un petit Macron entouré des visages menaçants de ses deux concurrents les plus influents : « la tragédie française : dans l’étau lepéno-mélenchoniste » ? Que les médias et les forces favorables au président en place renvoient dos à dos le RN et la NUPES pour essayer de donner une image de modération à leur champion peut encore se comprendre, mais cela étonne beaucoup plus que des analystes réfléchis issus d’un christianisme progressiste reprennent ces éléments de langage et de propagande, fût-ce avec des guillemets.
L’assignation du RN à l’extrême droite est incontestable, la prétendue « dédiabolisation » de l’ancien FN masquant très mal la continuité abjecte des fondamentaux racistes, à base de « préférence nationale » et de rejet de l’autre. À l’inverse, l’assimilation de LFI (et plus encore de la NUPES) à l’extrémisme a-t-elle un sens ? Qu’un Laurent Wauquiez associe LFI et EELV à « l’extrême gauche » dans ses déclarations publiques (ou sur les tracts des candidats de son parti aux législatives dans des circonscriptions d’Auvergne-Rhône-Alpes) n’est dénué ni d’intérêt ni d’une certaine logique : qu’il tienne un tel discours révèle assurément sa propre dérive vers l’extrême droite. En revanche, sur le plan de l’histoire, de la philosophie ou de la sociologie politique, l’identification de la galaxie mélenchoniste à l’extrême gauche est absurde. Extrémiste, un mouvement qui prône depuis des années une « révolution citoyenne » par la voie des urnes ? Extrémiste, un leader qui a fait l’essentiel de sa carrière au PS tout en se réclamant, avec une belle continuité jusqu’à aujourd’hui, de Mitterrand ? Extrémiste, LFI qui s’allie avec EELV et avec ce qu’il reste du PS, quitte à présenter parfois des candidats qui soutenaient Macron il y a cinq ans ? Ce n’est pas sans raison que bien des courants d’extrême gauche – la vraie ! qu’elle soit anarchiste ou trotskiste – trouvent Mélenchon bien trop intégré dans le jeu des institutions… Comment croire par ailleurs que le projet porté par Emmanuel Macron serait frappé d’une quelconque manière du sceau de la modération ? Modéré, l’insondable mépris social dont témoigne la volonté de subordonner le RSA à des heures de travail contraint ? Modérée, la casse continue des services publics et des protections collectives ? Modérée, la fuite en avant dans le nucléaire ?
René Poujol craint par ailleurs que beaucoup de Français ne soient tentés, dès lors que la « représentation nationale » n’est « plus conforme à la réalité du pays », « de vouloir obtenir ou soutenir dans la rue » ce qu’ils ne pourraient « faire voter à l’assemblée ». Mais qu’est-ce donc que « la rue » ? Si l’auteur craint une multiplication des agressions commises sur la voie publique par des nervis identitaires, agressions dont le nombre est déjà fort préoccupant, je partage pleinement son inquiétude. Si « la rue » désigne le mouvement social organisé, les manifestations des jeunes pour le climat, l’activisme féministe ou antiraciste, quelle inquiétude y a-t-il au contraire à avoir ? La seule chose qui devrait inquiéter serait que cette « rue »-là reste atone dans un contexte de droitisation généralisée, droitisation qu’attestent aussi bien la course mondialisée aux armements que la puissance des courants religieux extrémistes, la remise en cause du droit à l’avortement aux États-Unis ou l’aggravation des inégalités sociales, le tout sur fond de canicules et de dérèglement climatique.
René Poujol estime qu’Emmanuel Macron « restera dans l’histoire » à condition d’être « capable de s’oublier et d’incarner réellement le pays ». Je ne me fais pour ma part, comme la plupart des Français, absolument aucune illusion. Le président continuera d’incarner le capitalisme et le productivisme les plus plats, en essayant de nous bercer de discours creux. À nous de faire échec à son projet par des mobilisations pacifiques, mais déterminées, dans la conscience qu’une démocratie vivante ne se réduit pas à la démocratie « représentative » – surtout par les temps qui courent ! Ce qui n’empêche pas de souhaiter que les députés de gauche de la NUPES poussent au maximum leurs propositions à l’assemblée…
Note : https://www.renepoujol.fr/legislatives-ni-surpris-ni-decu-inquiet/
Source : https://www.golias-editions.fr/2022/06/29/apres-les-elections-des-inquietudes-et-des-espoirs/