Habemus papam
Par Patrice Dunois-Canette
Qu’il démissionne de sa charge ou décède, François aura un successeur.
Dans les coulisses de l’Église, réseaux, groupes et coteries s’agitent pour promouvoir leur candidat. Des noms circulent, des profils sont retenus. Ceux-ci veulent un pape capable de porter une vision de ce qu’est et de ce que doit être l’Église, une herméneutique du Concile vu comme un état d’esprit, un commencement. Ils s’inscrivent dans les pas de François. Les autres regardent le concile comme un aboutissement voire comme une entreprise qui aurait échappé à ses initiateurs et serait responsable de tous les maux dont souffre l’Église.
Le prochain conclave sera décisif pour l’avenir de l’Église et son unité. C’est pourquoi sous couvert d’un abandon au souffle de l’Esprit, les tractations déjà vont bon train l’Église d’après, ouverte ou refermée, solidaire ou conquérante, est déjà dans les cartons comme programme pour le prochain pape.
Mais l’élection du pape, répète-on, à l’envie dans l’institution ne saurait s’apparenter à un scrutin politique. C’est un acte religieux, spirituel, religieux, surnaturel ! Il n’y a pas de candidat déclaré, et pas davantage de campagne ouverte.
Chacun pourtant s’approche, négocie, défini une feuille de route et sélectionne son ou ses compétiteurs ou encore se dit prêt à désigner, sur promesses faites, le mieux disant.
Ce qui est plus étonnant en tout cas, c’est que tous, y compris les partisans de la continuité, de l’ouverture, s’apprêtent à élire sans état d’âme un nouveau Pape qui sera comme ses prédécesseurs un monarque de droit divin, issu du sérail ecclésiastique, promu par les ecclésiastiques et choisi sans que le peuple ait pu formuler un quelconque avis ou souhait.
Étonnamment encore aujourd’hui, seul l’ordre sacré peut choisir le monarque sacré. Seul le clergé peur désigner qui sera la plus haute représentation de l’Église, la tête du corps de l’Église, l’élu, le lieutenant de Dieu qui coopérera à l’exercice d’une puissance que seul détient Celui est au-dessus de lui et la possède en propre.
Cet ordre, divisé, ne veut pas le même pape, mais espère que son candidat ou celui à qui il se ralliera appliquera le programme qu’on lui aura suggéré avant qu’il ne soit déclaré papabile dans les habits et avec les prérogatives d’un souverain de droit divin.
Le pape n’est plus un monarque temporel, mais il demeure un monarque spirituel auquel les catholiques de toutes les Églises et de tout rang sont subordonnés hiérarchiquement et doivent obéissance non seulement dans les questions qui concernent la foi et les mœurs mais aussi dans celles qui touchent à la discipline et au gouvernement de l’Église.
Le pape qui succédera à François continuera à avoir un pouvoir doctrinal, moral et intellectuel considérable et une couverture médiatique qui en fera un une sorte de Dieu ou de représentant particulier de Dieu habilité à dire pour tous et à tous le bien, le mal, le vrai, le faux ou à lancer ses troupes dans la dénonciation d’un monde moderne sans Dieu forcément égaré.
Qu’importe si la démultiplication de la présence médiatique du pape sur la scène mondiale ne donne pas toujours une grande cohérence à son discours (il lui arrivera comme pour son prédécesseur de se contredire), il continuera avec plus ou moins de charisme, d’affect et de modernité à vouloir être un protagoniste permanent et singulier du débat public et le conseiller personnel de tous et de chacun.
Il exercera ainsi, à défaut d’un pouvoir politique direct, un pouvoir d’influence dont pourtant dans les affaires d’Église (synode amazonien, synode allemand) ou dans les affaires du monde (agression de l’Ukraine, rapport à la Russie orthodoxe ou relations avec la Chine) on voit les limites, les absences de clarté et les arrières pensées.
Mais les catholiques plus que jamais papophiles ou papolâtres, certains que le pape posséderait une expertise en tout, persuadés que s’inscrire dans une histoire qui ne bouge pas, est une preuve de fidélité, ont d’ores et déjà choisis d’assister, spectateurs, à une élection environnée de symboles et de références, scandée par une liturgie particulière, obéissant à des règles procédurales complexes, environnée de secret et de mystère.
Totalement en décalage avec les modèles séculiers, les demandes de plus de transparence et de participation de tous, la papauté comme monarchie élective et viagère, et ses modalités d’élection ne sont guère questionnées.
Le conclave, relique médiévale ayant survécu à la fin de l’Ancien Régime et du pouvoir temporel, continue de nourrir les curiosités et les attentes et faire la « une » des journaux « people ». On aime la beauté surannée de l’évènement et son suspens.
Les plus critiques se contenteront demain de vraies , fausses confidences ou fuites « politiques » sur les délibérations qui auront permis la fumée blanche, pour signifier qu’ils ne sont pas totalement dupes des procédés.
Rien dans les modes de désignation et d’exercice de la papauté ne semble donc être questionné.
François en dépit de ses coups de butoir n’est pas parvenu vraiment à s’imposer à la Curie et la Curie, qui n’oublie rien, attend son successeur pour sonner la fin de la récréation, réaffirmer son pouvoir et réinstaller un monarque que François est et est resté, mais que son attitude latino-américaine chaleureuse a fait oublier ou dissimulée.
Il n’a du reste pas ouvert le dossier des modalités de l’élection d’un pape.
Un débat sur la désignation du pape, les modalités de l’élection du pape est-il possible ? Une réforme des règles du conclave qui installe sur le siège de Pierre un monarque de droit divin, fut-il libéral, aimable, ouvert, miséricordieux est-elle seulement envisageable ? Poser la question relève-t-il du blasphème, de la remise en cause du message évangélique ?
Illustration : Francesca Fioretti 1, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons