« Quelques mots avant l’apocalypse »
Par Guy Aurenche
J’emprunte ce titre au livre fécond d’Adrien Candiard (éd. Cerf), qui y ajoute un sous-titre : « Lire l’Évangile en temps de crise ». Nous avons bien besoin de cette fraternelle invitation quand la catastrophe écologique devient réalité ; la guerre, qui n’a jamais quitté la planète, est à notre porte ; certains dans l’Église catholique révèlent un visage d’hypocrisie et de mensonge qui nous ferait douter de la Bonne nouvelle d’un amour vivant plus fort que la mort.
Les signes des temps
À quoi les écrits apocalyptiques peuvent-ils nous servir ? Sûrement pas à fixer une date pour la fin du monde et encore moins une recette pour y échapper. « Il ne faut pas traiter le discours apocalyptique comme une gigantesque énigme à déchiffrer ». Encore moins comme une devinette. Plutôt le recevoir comme un dévoilement, une révélation, une attention aux signes des temps, ainsi qu’une invitation : « Accepter de parler plus de la fin du monde pour retrouver, dans ce monde même, un soupçon d’espérance ». Non pour nous rassurer par un optimisme qui n’a pas de sens, mais pour rejoindre celles et ceux qui incarnent l’aurore dans les nuits aujourd’hui.
Fini, le monde d’après
Le contexte actuel m’incite à ne plus croire au « monde d’après ». Celui dont les meilleurs analystes nous ont rebattu les oreilles lors de l’apparition de la Covid 19. Celui qu’affichent les politiciens annonçant la fin de la guerre en Ukraine. Celui que certains écolos nous promettent si nous nous serrons la ceinture. Celui que les évêques catholiques s’engageaient à construire au lendemain du rapport de la Ciase (sur les abus sexuels commis par des clercs). Bercer nos contemporains de promesses d’un monde de demain où « l’on raserait gratis », et l’on vivrait une éternité de délices, est une tromperie qui nous fait déserter l’aujourd’hui de l’aurore. L’éternité a déjà commencé.
Je crois en l’aurore
Je crois en l’aurore du regard de Sonia, Brésilienne rencontrée il y a quarante ans dans le Nord-Est et qui me décrivait, à la porte de sa cabane au toit de paille, comment les grandes entreprises lui avaient volé sa terre au point de ne plus pouvoir y faire pousser les haricots nécessaires à la survie. Avec bien d’autres paysans, elle résistait. Sa famille résiste encore aujourd’hui. Je crois en l’aurore dont témoignent nombre de femmes et d’hommes, aujourd’hui, qui, dans un contexte hostile, accueillent l’étranger en mal de survie. Qui agissent sur les autorités et les populations pour nous ouvrir les yeux sur un drame destructeur : le refus de l’hospitalité. Nos convictions, nos moyens financiers, notre bulletin de vote, pourquoi pas nos manifestations non violentes, peuvent incarner une aurore. Je crois en la capacité des artistes qui, sans rien cacher de la nuit, tentent d’y inscrire une lueur de vie. À la manière du noir lumineux du peintre Pierre Soulages ou des textes du poète Christian Bobin. Dans son dernier livre, Le muguet rouge (éd. Gallimard), il nous aide à approcher l’invisible.
« Il y a une sorte de mort dont il est difficile de sortir une fois (choisie
la nécessité non expliquée de penser et d’agir de plus en plus vite,
d’aimer de moins en moins… J’écris pour qu’on puisse à nouveau
ressentir le frôlement de l’invisible dans le visible ici-bas…
pour tenter un pas de côté… Je suis un petit soldat au service de l’invisible ».
C. Bobin
Comme un appel à la confiance
Le message apocalyptique souligne le devoir de lucidité, de responsabilité et d’engagement. Il est appel à la confiance. La venue de Jésus est apocalyptique en ce qu’elle dévoile ce qui est le meilleur dans le cœur de l’homme (à côté du pire) : l’amour du père offert gratuitement aux hommes. « Il n’est pas si facile d’accepter d’être aimé… Notre vie est tragique parce que (au cœur des grandes épreuves incontournables), elle est traversée par le refus d’être aimé… Es-tu prêt à te laisser aimer ? » interpelle Adrien Candiard qui nous invite à vivre pleinement cette certitude tâtonnante d’être aimés. Comme le fait la pauvre veuve qui donne à Dieu le peu qui lui reste, sa propre indigence. Au cœur des tempêtes actuelles, bien loin de rêver aux mondes d’après ou de nous enfermer dans une démission désespérée, nous voici invités à percevoir, à travers nos failles et nos faiblesses, une aurore qui nous invite à nous lever.