L’ordination n’est pas synonyme de compétence pour diriger
Par James F. Keenan
La semaine dernière, La Croix et The Tablet ont tous deux fait état d’une interview du président de la Conférence épiscopale française, Mgr Éric de Moulins-Beaufort. Au cours de l’interview, il a envisagé que « le Saint-Siège soit un jour dirigé par le Pape entouré d’un collège de cardinaux dans lequel il y aurait des femmes ».

Les réflexions de l’archevêque de Reims m’ont rappelé les temps anciens, où j’étais beaucoup plus jeune et où les catholiques plus âgés ont commencé à oser discuter de l’ordination des femmes.
Invariablement, les débats sur la probabilité d’ordonner des femmes aboutissaient à la question de savoir si une telle ordination était possible. Des arguments contre cette possibilité étaient alors soulevés, invoquant la misogynie omniprésente, les cultures locales, la théologie, le droit canonique, la Bible et même l’intentionnalité de Jésus lors du dernier repas !
Après avoir épuisé une foule d’objections à cette possibilité, invariablement, un senior dans la salle suggérait : « Pourquoi ne pas faire cardinaux des femmes ? » Cela suscitait souvent des regards perplexes de la part de tout le monde, mais l’astucieux partisan leur rappelait qu’il y avait effectivement eu des cardinaux laïcs jusque récemment. « Ils n’avaient pas besoin d’être ordonnés », concluait-il d’une manière experte.
Ce n’est qu’il y a cent ans que le « nouveau » Code de droit canonique (1917) a décrété que les cardinaux devaient être ordonnés. Avant cela, ils étaient soit laïcs, soit ordonnés, bien qu’il soit clair que la majorité d’entre eux étaient ordonnés.
L’ordination a été introduite, en partie, pour corriger les abus dans la nomination des cardinaux. Par exemple, en 1735, le pape Clément XII a fait cardinal Luis Antonio de Borbón, fils du roi Philippe V d’Espagne, alors qu’il avait 8 ans. L’ordination donnait une certaine garantie que la personne était adulte et avait reçu une éducation théologique.
En 1983, le code a exigé que les cardinaux soient évêques.
Il ne faut cependant pas penser que ces lois nient la possibilité pour les papes de faire cardinaux des laïcs. Bien que nous puissions rarement savoir ce qu’un pape a l’intention de faire, jusqu’à ce qu’il le révèle, il y a eu des rapports assez cohérents selon lesquels le pape Paul VI voulait ou se proposait effectivement de faire cardinal le philosophe français Jacques Maritain, et plus tard, le pape Jean-Paul II a proposé cette nomination à Mère Teresa. Les deux personnes auraient décliné l’offre.
De plus, en 2013, le père jésuite Frederico Lombardi, directeur du bureau de presse du Saint-Siège, a déclaré dans ces pages que les femmes cardinales étaient « théologiquement et théoriquement possibles ». Comme mes aînés il y a 50 ans, il a ajouté : « Être cardinal est un de ces rôles dans l’Église pour lesquels, théoriquement, vous n’avez pas besoin d’être ordonné ». Il a cependant dit cela pour étouffer les spéculations selon lesquelles une femme serait parmi les personnes nommées pour le prochain consistoire.
Comme les discussions d’il y a 50 ans, les commentaires de l’archevêque de Reims nous rappellent les différentes façons dont les laïcs en général et les femmes en particulier peuvent et doivent exercer l’autorité et le leadership dans l’Église. Il a abordé la question des femmes diacres, mais il s’est intéressé beaucoup plus à la diversité des rôles de leadership dans l’Église qui n’étaient pas occupés par les laïcs ni surtout par les femmes, qu’elles soient religieuses ou laïques. Ainsi, il a noté qu’il était « complètement sidéré » que des frères religieux non ordonnés puissent voter lors des réunions du Synode des évêques, mais que les femmes ne le puissent pas.
Rappelant que les ordonnés « ne sont en principe ni plus savants ni plus proches de Dieu que les laïcs », il a ajouté : « La voix de tous les laïcs baptisés, dès qu’ils essaient d’embrasser le christianisme, devrait pouvoir compter autant que celle du clergé ».
Puis il a abordé la question de la compétence : « Rien ne les empêche d’exercer des fonctions beaucoup plus importantes dans le fonctionnement de l’institution, tout étant une question de compétence. »
Ah, la compétence ! La question du leadership dans l’Église est ramenée trop souvent par défaut à la question de l’ordination, une erreur stupéfiante dans la mesure où l’ordination ne confère tout simplement pas cette compétence pour le leadership, bien qu’elle reconnaisse et confirme la capacité de présider à certains sacrements. L’insistance du pape François sur un sacerdoce de serviteur est un ajout utile : L’Ordre est fondamentalement un sacrement pour une vocation de service.
Pour ce qu’il s’agit de la compétence à diriger, le sacrement ne la donne pas à ceux qui ne l’ont pas. Par le sacrement de l’ordre, un prêtre ou un évêque ne devient pas plus apte à diriger un bureau, une paroisse, un département de conférence épiscopale, une conférence d’État ou nationale, une confrérie, une organisation catholique non gouvernementale, un dicastère ou une congrégation. Le clergé n’acquiert pas cette compétence par l’accès aux ordres.
L’appel à avoir des femmes cardinales est donc un cas d’espèce. Peu après son élection, le pape a créé un cabinet de huit cardinaux dont il voulait convoquer régulièrement le jugement. S’il cherche à obtenir un jugement compétent, ne pourrait-il pas y avoir des femmes dans ce groupe ? Si des femmes peuvent être cardinales, ne devraient-elles pas faire partie de son cercle restreint de confidents et de conseillers ?
Je trouve toujours le sujet des femmes cardinales dynamisant. Comme il l’a fait il y a 50 ans et comme l’a illustré récemment Moulins-Beaufort, le sujet nous incite à dissocier la question de la compétence de celle des ordres et nous permet de voir, comme Paul nous l’a dit, la variété des dons au sein de l’Église.
On attend cette dissociation depuis longtemps.
Source : https://www.ncronline.org/news/opinion/church-needs-women-cardinals
Traduction : Lucienne Gouguenheim