L’importance fondamentale de la vie de l’esprit
Leonardo Boff.
Dans un texte posthume « Que faut-il dire aux Hommes ? – Lettre au Général X », écrit en 1943 avant que son avion ne s’écrase en Méditerranée, le célèbre pilote et écrivain Antoine de Saint-Exupéry, auteur du célèbre Petit Prince, affirme avec beaucoup d’emphase : « Il n’y a qu’un problème, un seul : redécouvrir qu’il y a une vie de l’esprit encore plus haute que la vie de l’intelligence, la seule qui puisse satisfaire l’être humain ».
Dans un autre texte, écrit en 1936, alors qu’il était correspondant du journal Paris Soir pendant la guerre civile espagnole, intitulé « Il faut donner un sens à la vie », il revient sur le thème de la vie de l’esprit. Il affirme : « l’être humain ne se réalise qu’avec d’autres êtres humains dans l’amour et l’amitié ; les êtres humains ne s’unissent pas seulement en se rapprochant les uns des autres, mais en se fondant dans la même divinité. Dans un monde devenu désert, nous avons soif de trouver des compagnons avec qui rompre le pain ». À la fin de la « Lettre au Général X », il conclut : « Combien nous avons besoin d’un Dieu ».
En effet, seule la vie de l’esprit donne sa plénitude à l’être humain. Elle représente un beau synonyme de spiritualité, peu identifiée ou confondue avec la religiosité. La vie de l’esprit est une donnée originelle de notre dimension la plus profonde, une donnée anthropologique comme l’intelligence et la volonté, la libido, quelque chose qui fait partie de notre essence. Elle est à la base de la naissance de toutes les religions et des voies spirituelles.
Nous savons prendre soin de la vie du corps. Aujourd’hui, nous en avons une véritable culture avec des salles de sport partout. Des psychanalystes de diverses tendances nous aident à prendre soin de la vie du psychisme, de nos anges et démons intérieurs, à mener une vie relativement équilibrée, sans névroses ni dépressions.
Mais dans notre culture, nous avons pratiquement oublié de cultiver la vie de l’esprit. Les religions, qui par nature devraient remplir cette mission, prêchent le plus souvent leurs doctrines, dogmes et rites endurcis plutôt que d’offrir une initiation à la vie de l’esprit. C’est notre dimension radicale, où l’on héberge les grandes questions, où l’on nourrit les rêves les plus audacieux et où l’on élabore les utopies les plus généreuses.
La vie de l’esprit se nourrit de biens immatériels tels que l’amour, l’amitié, la coexistence amicale avec les autres, la compassion, l’attention et l’ouverture à l’infini. Sans la vie de l’esprit, nous errons, sans sens pour nous guider et rendre la vie désirable et reconnaissante.
Une éthique de la Terre, de la reconnaissance de sa dignité, du respect de sa diversité complexe et riche, ne peut être maintenue longtemps sans ce supplément d’âme qu’est la vie de l’esprit. Il est facile pour l’éthique de tomber dans le moralisme ou les appels spirituels, sans parler au cœur des gens.
La vie de l’esprit, c’est-à-dire la spiritualité, nous fait sentir que nous faisons partie de notre mère la Terre, que nous devons aimer et dont nous devons prendre soin, car c’est la mission que l’univers et Dieu nous ont confiée.
Mais nous ne remplissons pas la mission qui nous a été confiée dans l’acte de création de l’être humain de « garder et soigner le jardin d’Eden » (Gn 2,15) et nous avons donc atteint aujourd’hui la limite extrême où, à cause des guerres nucléaires et terminales, du changement radical de régime climatique et d’autres facteurs qui déséquilibrent la planète, nous pourrions être confrontés à de grandes catastrophes écologiques et sociales. Il n’est pas impossible que nous nous autodétruisions, contrecarrant ainsi le dessein du Créateur.
Nous avons confiance et nous espérons dans la rationalité minimale qui nous reste, imprégnée d’intelligence émotionnelle et cordiale, qui nous obligera à changer de cap et à inaugurer une biocivilisation dans laquelle l’amitié entre tous et les liens d’amour pourront nous sauver. En fin de compte, la vie de l’esprit aura accompli sa mission salvatrice.
https://redescristianas.net/la-importancia-fundamental-de-la-vida-del-espirituleonardo-boff/