Pourquoi, malgré tout, je reste dans l’Église
François Valois.
D’abord bravo et grand merci à Garrigues et Sentiers d’avoir ouvert son dossier « Rester dans l’Église catholique ? » et bien sûr merci à tous les participants qui répondent en penchant vers l’affirmative ou la négative, mais en ressentant les mêmes problèmes que je me pose aussi, plus que d’autres peut-être, car, plus âgé que le pape actuel et en étant à mon 8e pape, j’ai vu et entendu dans l’Église davantage d’absurdités contradictoires et contraires à l’Évangile, et je ne crois plus aux bonnes paroles (ainsi quand François, la tête du cléricalisme, s’en prend au cléricalisme, j’attends toujours qu’il troque sa soutane blanche pour un polo en jean et aille célébrer le repas eucharistique à une table familiale en laissant la présidence à la mère de famille).
Quand les éléments pour rester ou ne pas rester s’accumulent, il y a forcément une appréciation personnelle qui fait choisir ce qui emporte la décision. J’ai personnellement trouvé un élément décisif dans cette histoire qui date de dix ans (seuls les liens justificatifs ont été mis à jour, mais rien hélas n’a changé en dix ans dans les estimations statistiques).
Un portable intempestif
Au moment où le prêtre arrive à l’autel, un portable sonne dans l’assistance. C’était bref, mais sonore : un bon coup de gong aux échos rapidement assourdis. Personne ne bronche et la messe commence. Cinq minutes passent et un nouveau coup de gong fait tourner quelques têtes, mais le prêtre reste impassible. Toutes les cinq minutes, un nouveau coup, que le prêtre n’a toujours pas l’air d’entendre, fait tourner de plus en plus de têtes, puis de moins en moins.
Au moment où le sermon va commencer, un nouveau coup de gong fait enfin réagir le prêtre qui, d’une voix à peine maîtrisée, interpelle le perturbateur :
– « Mais enfin, c’est insupportable. Ça gêne tout le monde. Qu’est-ce que ça signifie ?
– C’est un glas, répond posément le propriétaire du portable. Et ça signifie qu’il y a un martyr de plus.
– Comment un martyr de plus ? Qui est concerné ?
– Ça devrait au moins concerner les chrétiens, mais apparemment pas. Pourtant, depuis le début du siècle, 24h/24 et 7j/7, il y a en moyenne un martyr chrétien toutes les 5 minutes [1], à chaque coup de gong. Heureusement, ce martyre ne gêne vraiment personne. La seule chose gênante, apparemment, c’est le gong du téléphone ». On entend alors dans un coin de l’assistance : « Heureusement que le gong n’est pas pour les morts de faim. Ce serait toutes les 4 secondes ! » [2]. Quand dans l’indifférence pratiquement générale un chrétien quitte l’Église toutes les 5 minutes en étant martyrisé pour sa foi, un sentiment de solidarité l’emporte sur les bonnes raisons de la quitter en catimini [4].
Reste que je suis encore dans l’Église, mais en étant aussi ailleurs. Et j’ai bien sûr relevé ce passage page 264de l’Esprit du Christianisme du Père Moingt (4) : « La seule chose qu’il me reste à dire concerne la manière d’annoncer ce salut en Église et de sa part. Est-ce nécessaire de l’annoncer de cette façon ? Je le crois, puisque le message a été confié à l’Église et que le salut est en elle en tant que corps du Christ. Mais je dois vite ajouter que ce ne sera pas facile, car il faudra bien la quitter de quelque façon pour aller au monde qui ne va plus à l’église. Toutefois, cela s’est déjà fait de manière institutionnelle, puisque les premiers chrétiens n’avaient pas d’églises, de prêtres, ni de culte et qu’ils étaient très conscients de former l’Église corps du Christ quand ils se réunissaient à quelques-uns pour partager “le repas du Seigneur” auquel des juifs ou des païens pouvaient assister ; et cela se fait encore de nos jours quoique de façon non officielle en beaucoup de lieux où des chrétiens se réunissent en dehors des églises et sans prêtre et rencontrent des gens d’alentour non pratiquants ou non baptisés qui se joignent parfois à leur prière [5]. Puisqu’elle s’est déjà faite et se fait encore, l’annonce du salut hors de l’institution religieuse, qui en garde la responsabilité, mais n’en a plus la capacité, n’est pas à inventer de toutes pièces, mais requiert autant de sagesse que de courage, d’innovation que de fidélité, pour atteindre un monde autant éloigné de l’Évangile que d’un vrai humanisme. » L’Église hiérarchique l’acceptera-t-elle ? C’est une autre histoire.
Reste qu’un Français aisé et cultivé sent plus le poids d’un péché collectif que la possibilité d’annoncer à ceux qui meurent de faim au rythme d’un toutes les 4 secondes la bonne Nouvelle d’un Dieu qui les aime.
Notes :
[1] Selon l’organisation de défense des droits de l’homme Christian Freedom International cf. https://www.chretiens.info/religions/christianisme/chretiens-persecutes/un-chretien-meurt-en-martyr-toutes-les-cinq-minutes/2015/09/27/00/00/
[2] Sources statistiques :
Martyrs : par exemple, http ://ncronline.org/blogs/all-things-catholic/playing-politics-global-war-christians (National Catholic Reporter. Nov. 2012) ;
Morts de faim, en majorité des enfants (2009) : par exemple, http ://www.letelegramme.com/ig/dossiers/classespresse29/faim-dans-le-monde-un-mort-toutes-les-quatre-secondes-29-04-06-2009-409002.php ).
Ce texte a été écrit en 2012. Dix ans après, en 2022, rien n’a changé : https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/09/20/une-personne-meurt-de-faim-dans-le-monde-toutes-les-quatre-secondes-denoncent-plus-de-200-ong-dans-une-lettre-ouverte_6142390_3244.html
J’ajoute cette réflexion à méditer : « Je ne dirai pas comme Geng dans Les Mauvaises Pensées d’un travailleur social (1977) que ceux qui s’occupent de la misère en créeraient s’il n’y en avait pas, mais…
• tout se passe comme s’il valait mieux que des hommes et enfants meurent loin de chez nous plutôt que d’amener leur misère chez nous,
• et tout se passe comme si, chez nous, il fallait conserver des zones de misère pour décourager toute la misère du monde de venir chez nous. »
[3] Après coup, je me suis demandé si je n’ai pas été influencé par le Bergson de l’Éloge de la philosophie de M.M-P. Il refuse le baptême pour rester avec les Juifs persécutés.
[4] J’avoue avoir eu du mal à me situer dans le livre dur à lire, car il présuppose la vérité du Christianisme alors que le Christianisme est du domaine de l’interprétation de l’histoire. La vie n’est pas du domaine de la vérité : on n’épouse pas son conjoint parce qu’il est plus vrai qu’un autre. Par ailleurs, Moingt qui s’appuie sur de nombreuses citations de Paul fait commencer trop tard, selon moi, la perturbation de l’esprit évangélique. Elle commence avec les révélations personnelles faites à cet apôtre habilement autoproclamé. On peut suivre l’Évangile et ne pas souscrire à la théorie paulinienne du rachat du Péché originel.
[5] C’est moi qui souligne ce passage qui ne doit pas plaire au Vatican. Quand j’ai lu que le pape François avait demandé qu’on laisse tranquille son frère Jésuite, j’ai d’abord pensé qu’il voulait éviter un nouveau cas Dupuis (dont on disait qu’il n’avait pas survécu à sa condamnation vaticane), mais la réalité est peut-être qu’il a préféré le silence plutôt que faire des vagues et de la publicité.