« Dire Dieu, Jésus, la foi aujourd’hui » : qui est Jésus pour nous ?
Par Lucienne Gouguenheim
Dans cette deuxième étape du travail de l’atelier de Parvis : « Dire Dieu, Jésus, la foi aujourd’hui » [1], chacun(e) était invité(e) à répondre aux questions : Quel est, pour nous ou pour notre groupe, le message central de Jésus – « Qui dites-vous que je suis ? » – En quoi croyons-nous aujourd’hui ? – Qu’est-ce qui nous fait vivre ?
Voilà un aperçu des contributions partagées ; les citations sont en italiques.
« Et vous, qui dites-vous que je suis ? »
La question, prêtée à Jésus dans les évangiles, est plus probablement celle que les premières communautés se sont posée. Qu’elle soit présente dans les 3 synoptiques, atteste qu’elle était centrale pour ces communautés : elle l’est aussi pour nous, qui nous situons à la fois dans leur sillage et dans la nécessité de penser par nous-mêmes.
La réponse de chacun, chacune, repose sur un travail et dans un cheminement personnels, nourris des textes évangéliques, de l’appropriation des travaux d’exégèse, de recherche historique, des réflexions théologiques, des liens avec la façon de penser le monde, ainsi que des témoignages de vie.
Des références bibliographiques parfois travaillées en groupes sont citées : des publications récentes (ou récemment connues de nous) de Spong, Bruno Mori, Arregi, ou antérieures (Marcel Légaut, Teilhard de Chardin, Drewermann, Joseph Moingt…), des travaux historiques de Meier (vulgarisés par Pagola) ou encore la théologie du process balisent des cheminements.
Dans la continuité du « ce qui n’est plus crédible pour nous aujourd’hui », analysé dans l’étape précédente, et de façon plus ou moins marquée (donc avec des nuances) on ne se reconnait pas dans tout ce que l’institution affirme comme vérité de foi (et nous demande de croire) sur Jésus et sur Dieu.
Plusieurs témoignages redisent que nous avons du mal à « nous débarrasser du poids ou du fatras des dogmes du IVe siècle et de ceux qui ont suivi. »
« La christologie de Chalcédoine, qui nous fait imaginer un Dieu tout puissant s’incarnant dans un être humain, fait violence à notre intelligence et à l’idée que nous pouvons nous faire de Dieu et de l’homme. »
D’autres s’interrogent sur la divinité de Jésus
« Jésus, je ne le vois pas comme fils d’un Dieu qui n’est pas un être comparable à nous. Un voyage en Égypte m’a fait prendre conscience que les pharaons se pensaient tous comme fils de Dieu, lequel aurait fécondé leur mère. La Palestine et l’Égypte, proches dans l’espace, véhiculaient des croyances communes et ce n’est donc pas étonnant que pour les évangélistes, la conscience qu’ils avaient de Jésus, homme exceptionnel, leur ait fait dire qu’il était fils de Dieu. »
« Jésus n’est pas de substance divine, il n’est pas une part de Dieu comme l’ont martelé les conciles grecs du IVe siècle et après eux nos catéchismes. »
Jésus profondément humain et voie vers Dieu
L’humanité de Jésus est reconnue et soulignée par tous comme centrale : « L’un de nous, mais avec une intensité d’exception ».
« Sur les chemins d’humanité, Jésus nous précède. » « Un humain en osmose totale avec la force de l’Amour. » « Jésus un homme qui a compris le divin comme relation essentielle, vitale, au plus profond de l’intimité de chacun et du monde. » « Jésus, en étant “vraiment” humain, est “vraiment divin” et, dans son exceptionnelle humanité, nous découvrons la source de cette humanité qu’il appelle Père. »
On souligne aussi : « Jésus est plus qu’un maître en humanité, il nous dit que l’on peut être plus que ce que l’on pense être. » « La part de mystère subsiste autour de sa personne, comme autour de tout homme et de toute femme ».
Reste non tranchée la question : Jésus, « la » voie ou « une » voie vers Dieu ?
« C’est dans ce Jésus profondément humain qu’est la voie – la voix – de Dieu. “Voie ascendante” qui passe par l’humain ! C’est alors l’humain qui pénètre le divin et non l’inverse ! »
« Pour moi, Jésus est un prophète, un maître (rabbi) de l’existence, qui, lui, a payé de sa vie la fidélité à son message. Des prophètes et des rabbis comme d’autres à travers l’histoire humaine. »
Jésus, un homme de son temps
Tout en étant pharisien, il s’est opposé au ritualisme juif et à la manière dont fonctionnait le système religieux de l’époque.
« Jésus croyait en Dieu avec des catégories mentales et culturelles de son temps et de son peuple qui ne sont plus les nôtres. »
« Ses représentations de Dieu étaient forcément préscientifiques, prémodernes. »
Mais « ce qu’il laisse entrevoir d’un Dieu de proximité est un essentiel qu’il faut cultiver à travers de nouvelles représentations. J’aime beaucoup ce que développe dans ce sens José Arregi ».
Qui est Jésus pour moi
« Me passionnent sa liberté intérieure, sa foi dans les possibilités spirituelles des êtres, son courage et sa lucidité, sa capacité à se remettre en cause et à découvrir sans cesse, grâce aux événements et aux rencontres, son propre chemin, son intériorité où il puisait lumière et force pour inventer sa voie. »
« Je crois en Jésus et en “Dieu”, Énergie, Lumière, Souffle intérieur, Source intime au cœur du monde et au cœur de nos vies qui nous accompagnent sur notre chemin d’humanisation. Je crois aussi à la présence-absence de celles et ceux qui nous ont précédés et dont la mémoire accompagne également mon chemin de vie et de foi. »
« La foi dont il me parle indique le sentiment de la confiance en une bonté. »
« Un humain en osmose totale avec la force de l’Amour, qui me fascine par son intelligence d’abord et son infinie puissance d’Amour. »
« Il me fait vivre. M’efforcer sur son chemin, à sa suite, donne sens et bonheur à ma vie. Si une seule fois dans l’histoire humaine, un homme est allé jusqu’au bout de lui-même, jusqu’au bout de ce qu’il a perçu comme sa mission, et ce, par fidélité à sa foi en celui qu’il appelle Dieu Père, alors il n’y a plus à désespérer de l’humanité. »
« Je me suis attachée à la personne de Jésus avec le désir de mieux le connaître et peu à peu il est devenu pour moi une sorte de maître en humanité et source d’une forme de confiance, en moi et dans la vie. »
« Jésus a fait profiter tous ceux qui l’ont approché de ses dons d’écoute, de sa compréhension révolutionnaire du divin au-delà de toute religion, de son charisme, de son intelligence pédagogique, de sa force de transmission de vie, qui relevait les déchus et les malades de corps, d’esprit et d’âme. Son enseignement par paraboles parlait de dynamique de vie, de semeurs, de graines, de germes de levain, de porter du fruit, signes d’un Royaume à la pousse inexorable. »
Impossible de s’interroger sur l’identité de Jésus, sans réfléchir sur la résurrection.
« Très longtemps, j’ai cru que le tombeau vide était un fait historique, jusqu’à ce que devant l’équivalence entre les visions postpascales des disciples et celles d’Abraham et de Moïse naisse l’idée qu’il s’agissait d’expériences spirituelles. Le crucifié n’appartient pas au royaume des morts. Pour le retrouver, il faut retourner en Galilée, c’est-à-dire marcher sur ses pas en soignant les malades, accueillant les exclus… »
« Sa résurrection : la foi inébranlable de ses disciples que cet homme les fait vivre par-delà sa mort. »
« Il est vivant, par la force de son message, pour tous ceux qui s’efforcent de marcher dans ses pas. »
Le thème de la prière est peu abordé ; deux approches différentes :
« Pour moi, l’importance de la prière est essentielle. J’aime bien Thérèse d’Avila qui dit que la prière est “un commerce d’amitié” avec Dieu et le Christ n’en est pas banni. Après tout, les psalmistes ne s’embarrassent pas pour dire tous leurs états d’âme, qui ne sont pas toujours “très catholiques”. Et la prière d’intercession (“je prie pour tel ami qui est gravement malade”), pourquoi nous serait-elle interdite auprès d’un Dieu dont on dit qu’il est “Agapè” ? »
« Je ne prie pas Jésus. Je ne lui demande rien, mais je recueille en moi avec émerveillement les traces de sa présence parmi nous. Je les médite, je fais descendre au plus profond de mon être ses paroles de lumière et ses actes de libération afin qu’ils m’éveillent, me réveillent, me bousculent, me stimulent et me confirment. »
Quelques expressions remises en cause
Telle : « Jésus est venu pour… ». « Cela suppose qu’il était déjà ailleurs. Où, dans l’éternité ? Dans le monde divin en tant que seconde personne de la Trinité ? Difficile de ne pas retomber dans les vieilles formules, sous-tendues par une vieille théologie-christologie. »
Ou encore : « Pourquoi dire des textes qu’ils sont “la Parole de Dieu” au lieu de dire “la Bible” ou “les Écritures” ? » « Quand on met “Dieu” comme sujet d’une phrase, c’est sous-entendre que nous sommes en direct avec lui, en oubliant que tout ce que l’on dit sur Dieu, ce sont des hommes qui le disent ».
Le sujet n’est pas épuisé et une troisième feuille de route est lancée.
Avec les questions :
1. De quel « Dieu » suis-je croyant/croyante ? Qu’est-ce que je mets sous le mot « Dieu » ? Comment est-ce que je me représente Dieu aujourd’hui ? Mes représentations de Dieu ont-elles évolué ?
2. Quelle est la place de Jésus dans ces représentations de Dieu ?
3. Qu’est-ce que prier pour moi aujourd’hui ?
Note :
[1] https://nsae.fr/2022/05/14/echos-de-latelier-de-parvis-dire-dieu-jesus-la-foi-aujourdhui/