Le goût de changer. La transition écologique comme chemin vers le bonheur
Préface par le pape François au livre italien de Gaël Giraud et Carlo Petrini intitulé « Le goût de changer. La transition écologique comme chemin vers le bonheur » (Slow Food Editore et Libreria Editrice Vaticana).
Le bien qui apparaît comme beau porte en lui la raison pour laquelle il doit être fait. C’est la première pensée qui m’est venue à la lecture de ce beau dialogue entre Carlo Petrini, que je connais et estime depuis des années, gastronome et activiste connu dans le monde entier, et Gaël Giraud, économiste jésuite dont j’ai récemment apprécié les contributions dans La Civiltà Cattolica, où il écrit des articles qualifiés sur l’économie, la finance et le changement climatique.
Pourquoi ce lien ? Parce que la lecture de ce texte a suscité en moi un véritable « goût » du beau et du bon, c’est-à-dire un goût d’espoir, d’authenticité, d’avenir. Ce que les deux auteurs proposent dans cet échange est une sorte de « narration critique » de la situation mondiale : d’une part, ils élaborent une analyse raisonnée et convaincante du modèle économique et alimentaire dans lequel nous sommes plongés et qui, pour reprendre la célèbre définition d’un écrivain, « connaît le prix de tout et la valeur de rien » ; d’autre part, ils proposent plusieurs exemples constructifs, des expériences établies, des histoires singulières d’attention au bien commun et aux biens communs qui ouvrent le lecteur à un regard de bonté et de confiance sur notre époque. Critique de ce qui ne va pas, récits de situations positives : l’un avec l’autre, pas l’un sans l’autre.
Je voudrais souligner un fait important : le fait que dans ces pages, Petrini et Giraud, l’un militant de 70 ans, l’autre professeur d’économie de 50 ans, c’est-à-dire deux adultes, trouvent dans les nouvelles générations des raisons établies de confiance et d’espoir. Habituellement, nous, adultes, nous plaignons des jeunes, nous répétons que les temps « passés » étaient certainement meilleurs que ce présent troublé, et que ceux qui viennent après nous dilapident nos acquis. Nous devons au contraire admettre avec sincérité que ce sont les jeunes qui incarnent le changement dont nous avons tous objectivement besoin. Ce sont eux qui nous demandent, dans différentes parties du monde, de changer. Changer notre mode de vie, si prédateur pour l’environnement. Changer notre rapport aux ressources de la Terre, qui ne sont pas infinies. Changer notre attitude envers eux, les nouvelles générations, à qui nous volons l’avenir. Et ils ne se contentent pas de nous le demander, ils le font : ils descendent dans la rue, manifestent leur désaccord avec un système économique injuste pour les pauvres et ennemi de l’environnement, et cherchent de nouvelles voies. Et ils le font en commençant par le quotidien : faire des choix responsables en matière d’alimentation, de transport, de consommation.
Les jeunes nous éduquent à ce sujet ! Ils choisissent de consommer moins et de vivre davantage les relations interpersonnelles ; ils veillent à acheter des objets produits selon des règles strictes de respect environnemental et social ; ils font preuve d’imagination pour utiliser des moyens de transport collectifs ou moins polluants. Pour moi, voir que ces comportements se diffusent pour devenir des pratiques courantes est un motif de consolation et de confiance. Petrini et Giraud font souvent référence aux mouvements de jeunes qui, dans différentes parties du monde, font avancer les exigences de justice climatique et de justice sociale : les deux aspects doivent être maintenus ensemble, toujours.
Les deux auteurs indiquent des pistes opérationnelles pour un développement économique durable et critiquent le concept de prospérité en vogue aujourd’hui. Celle selon laquelle le PIB est une idole à laquelle on sacrifie tous les aspects du vivre ensemble : le respect de l’environnement, le respect des droits, le respect de la dignité humaine. J’ai été très impressionné que Gaël Giraud reconstitue la manière dont, historiquement, le PIB s’est imposé comme le seul paramètre permettant de juger de la santé de l’économie d’une nation. Il précise que cela s’est produit à l’époque nazie et que la référence était l’industrie de l’armement : Le PIB a une origine « guerrière », pourrait-on dire. À tel point que c’est pour cela que le travail des femmes au foyer n’a jamais été comptabilisé : parce que leurs efforts ne servent pas la guerre. Une preuve de plus de l’urgence de se débarrasser de cette perspective économiste qui semble mépriser le côté humain de l’économie, en le sacrifiant sur l’autel du profit comme critère absolu.
La nature de ce livre est également doublement intéressante. D’abord, parce qu’il se présente sous la forme d’un dialogue. C’est un point qu’il me semble important de souligner. C’est la confrontation qui nous enrichit, pas la fermeté de nos positions. C’est la conversation qui devient une opportunité de croissance, et non le fondamentalisme qui barre la route à la nouveauté. C’est le débat qui nous fait mûrir, et non la certitude hermétique d’être toujours « dans le vrai ». Même et surtout lorsque nous parlons de la recherche de la vérité. Le bienheureux Pierre Claverie, évêque d’Oran, martyr, disait : « Vous ne possédez pas la vérité, et j’ai besoin de la vérité des autres ». J’ajouterai que le chrétien sait qu’il ne conquiert pas la vérité, mais que c’est lui qui est « conquis » par la Vérité, qui est le Christ lui-même. C’est pourquoi je crois fermement que la pratique du dialogue, de la confrontation et de la rencontre est aujourd’hui ce qu’il est le plus urgent d’enseigner aux nouvelles générations, à commencer par les enfants, afin de ne pas favoriser la construction de personnalités enfermées dans l’étroitesse de leurs propres convictions.
Deuxièmement, les deux interlocuteurs – judicieusement stimulés par l’éditeur – représentent des points de vue et des origines culturelles différents : Carlin Petrini, qui se définit comme agnostique et avec qui j’ai déjà eu la joie de dialoguer pour un autre texte ; Gaël Giraud, jésuite. Mais ce fait objectif ne les empêche pas de mener une conversation intense et constructive qui devient le manifeste d’un avenir plausible pour notre société et notre planète elle-même, si menacées par les conséquences néfastes d’une approche destructrice, colonialiste et dominatrice de la création.
Un croyant et un agnostique se parlent et se rencontrent, bien qu’à partir de positions différentes, sur différents aspects que notre société doit prendre en compte pour que le lendemain du monde soit encore possible : cela me semble quelque chose de beau ! Et cela l’est d’autant plus que, dans le déroulement de la discussion entre les deux interlocuteurs, émerge clairement la conviction de l’importance décisive de la seule parole de Jésus, rapportée dans les Actes des Apôtres, et qui ne se trouve pas dans les Évangiles : « Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir ». Oui, car lorsque les deux interlocuteurs trouvent dans la consommation poussée à l’excès et dans le gaspillage érigé en système le mal de la vie contemporaine, et identifient dans l’altruisme et la fraternité les véritables conditions d’un vivre ensemble durable et pacifique, ils prouvent que la perspective de Jésus est féconde et constitue un lieu de vie pour tous les hommes et toutes les femmes. Pour ceux qui ont un horizon de foi et pour ceux qui n’en ont pas. La fraternité humaine et l’amitié sociale, dimensions anthropologiques auxquelles j’ai consacré ma dernière encyclique, Fratelli Tutti, doivent devenir de plus en plus la base concrète et opérationnelle de nos relations, au niveau personnel, communautaire et politique.
L’horizon de préoccupation sur lequel Petrini et Giraud concentrent leur attention est la situation environnementale véritablement critique dans laquelle nous nous trouvons, fruit de cette « économie qui tue » et qui a provoqué le cri de souffrance de la Terre et le cri de détresse et d’angoisse des pauvres du monde. Face aux nouvelles qui nous parviennent quotidiennement – sécheresses, catastrophes environnementales, migrations forcées à cause du climat – nous ne pouvons rester indifférents : nous serions complices de la destruction de la beauté que Dieu a voulu nous donner dans la création qui nous entoure. D’autant plus qu’ainsi périra ce don « très bon » que le Créateur a forgé à partir de l’eau et de la poussière, l’homme et la femme. Il faut se rendre à l’évidence : le développement économique irréfléchi auquel nous avons cédé provoque des déséquilibres climatiques qui pèsent sur les épaules des plus pauvres, en particulier en Afrique subsaharienne. Comment fermer la porte à ceux qui fuient et fuiront des situations environnementales insoutenables, conséquences directes de notre consumérisme immodéré ?
Je crois que ce livre est un cadeau précieux, car il nous montre un chemin et la possibilité concrète de le suivre, au niveau individuel, communautaire et institutionnel : la transition écologique peut représenter un espace dans lequel nous tous, en tant que frères et sœurs, prenons soin de la maison commune, en pariant sur le fait qu’en consommant moins de choses et en vivant des relations plus personnelles, nous franchirons la porte de notre bonheur.
Cité du Vatican, 11 avril 2023