Leonardo Boff.
L’un des problèmes les plus pénibles de la culture mondiale actuelle est le manque d’humanité. Nous ne regardons pas de côté pour voir l’autre avec ses douleurs, ses quêtes et ses besoins. Pensez à la façon dont sont traités les migrants du Moyen-Orient et d’Afrique qui cherchent l’Europe à cause des guerres et des grandes famines. Ils sont rejetés et ont transformé la Méditerranée en un véritable cimetière. Le même sort tragique est réservé aux milliers de Centraméricains qui cherchent à franchir les frontières des États-Unis.
La plupart sont refoulés, certains meurent et les enfants sont mis en cage comme de petits animaux affamés. Nous ne parlerons pas non plus de l’Afrique qui a vécu pendant des siècles pillée et toujours crucifiée par les Européens. Ils vont en Europe parce que les Européens étaient là avant et ont occupé et pillé leurs terres. Les Européens ont été accueillis et maintenant les Européens ne veulent plus les accueillir.
De tels antiphénomènes montrent à quel point nous pouvons être cruels et impitoyables envers nos semblables qui, en vérité, sont nos frères et nos sœurs. Nous ne pouvons peut-être pas faire grand-chose, mais il suffit parfois d’un regard compatissant, d’une parole réconfortante, d’un sourire sincère, d’un contact sur la peau de l’autre pour communiquer que nous sommes des frères et des sœurs, des expressions de la même humanité.
Nous ne nous traitons pas humainement. De la même manière, nous agressons notre mère la Terre au point que le nouveau régime climatique, qui dépassera 1,5 degré Celsius d’ici 2025-2027, risque de mettre en péril la biodiversité et, si le réchauffement s’accentue encore, d’affecter le sort de notre vie sur cette planète.
Dans ce contexte, nous sauvons ce que le monde a déjà enfanté de mieux : le Fils de l’homme qui s’est révélé comme la présence humaine de Dieu parmi les hommes : Jésus de Nazareth.
Plus que de nous donner des vérités, Jésus nous a appris à vivre les valeurs qui ont donné forme à son grand rêve, le Royaume de Dieu. Ce Royaume n’est pas comme les royaumes de ce monde, entourés de faste et de gloire, comme nous l’avons vu récemment lors du couronnement du roi d’Angleterre. C’est un Royaume d’amour inconditionnel, de solidarité illimitée, de compassion, de service aux plus humiliés et offensés et d’ouverture totale à Dieu-Abba (« papa », comme il l’appelait).
Il a toujours été aux côtés de ceux qui avaient le moins de vie, les lépreux, les aveugles, les malades psychiques (dans le langage de l’époque, les possédés du démon), les malades et même les morts, qu’il a ressuscités. Il a dit lui-même : « Je suis venu apporter la vie et la vie en abondance » (Jn 10,10). Pour s’être opposé à la religion ritualiste et pharisienne de l’époque, et pour avoir révélé un nouveau visage de Dieu, celui de la miséricorde et du pardon infinis, aimant tout le monde, « même les ingrats et les méchants » (Lc 6,36), il a été crucifié en dehors de la ville, symbole d’un rejet absolu. Il a dit quelque chose d’extrêmement consolant : « Si quelqu’un vient à moi, je ne lui dirai pas de s’en aller » (Jn 6,37), qu’il s’agisse d’une femme adultère, d’un hérétique, de gens de mauvaise réputation : il les a tous accueillis et ils sont repartis consolés.
Il a fait preuve d’une humanité radicale, à tel point que les apôtres et les disciples, considérant qu’« il passait sa vie à faire le bien » (Mc 7,37) et qu’il avait vaincu la mort par sa résurrection, ne sachant pas comment le définir, ont fini par dire : humain en même temps que Jésus, seulement Dieu lui-même. Et ils commencèrent à l’appeler le Fils de Dieu et Dieu dans notre chair chaude et mortelle.
Leur humanisme radical s’enracinait profondément dans l’humanité. Cet humanisme universel, sans aucune discrimination, peut nous rendre notre humanité, couverte de cendres par l’individualisme, l’égoïsme, l’insensibilité, le manque de compassion et le manque d’attention à l’autre, à notre mère la Terre et aux êtres qui y vivent.
Je termine par deux témoignages. L’un de Franz Kafka, le grand écrivain tchèque, qui a dit : « Quand j’entends parler de Jésus et de son amour, je ferme les yeux pour ne pas tomber dans un abîme ». Et une autre de Fiodor Dostoïevski qui, en quittant la Maison des morts (titre de son livre), la prison de travail forcé en Sibérie, a écrit de façon émouvante : « Parfois, Dieu m’envoie des moments de paix » :
« Parfois, Dieu m’envoie des moments de paix ; dans ces moments, j’aime et je me sens aimé. Dans un de ces moments, je me suis composé un credo, où tout est clair et sacré. Ce credo est très simple. Il est le suivant : je crois qu’il n’y a rien de plus beau, de plus profond, de plus aimable, de plus humain et de plus parfait que le Christ ; je me le dis avec un amour jaloux qui n’existe pas et qui ne peut pas exister. D’ailleurs, si quelqu’un me prouvait que le Christ est en dehors de la vérité et que la vérité ne se trouve pas en lui, je préférerais rester avec le Christ que rester avec la vérité ».
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