Peio Ospital.
Le « chemin synodal » de l’Église d’Allemagne, qui s’est achevé au mois de mars dernier, marque une étape significative pour l’Église catholique dans son ensemble. Il représente une manière de faire qui devrait inspirer d’autres Églises locales. Qu’il ne fasse pas l’unanimité, qu’il ait suscité de fortes critiques, en Allemagne, dans d’autres pays et jusqu’à la Curie romaine, au point d’agiter la menace fantasmée d’un schisme, est le signe qu’il se joue là quelque chose d’essentiel qui ne peut laisser personne indifférent.
Franz Xaver Bischof (professeur émérite d’histoire de l’Église médiévale et moderne à la Faculté de théologie catholique de l’Université Ludwig-Maximilian de Munich) consacre à ce sujet un article dans la revue Études d’avril 2023, que je me propose de résumer ici.
L’ampleur des abus sexuels commis par des membres du clergé catholique et l’ébranlement qu’ils ont provoqué jusque dans les communautés ont incité la Conférence épiscopale Allemande (DBK) à lancer, en mars 2019, un « chemin synodal », non pas à elle seule, mais en collaboration avec le Comité Central des Catholiques Allemands (ZdK) regroupant des délégués d’association catholiques et des représentants laïcs des conseils diocésains, soit une assemblée de 230 membres comptant autant de laïcs que de consacrés. L’objectif commun des deux institutions était clair : il s’agissait d’éliminer les causes des abus et de traiter les questions qui y sont liées.
Quatre Forums sont créés pour le travail de fond : répartition des pouvoirs, place des femmes, prêtrise aujourd’hui et morale sexuelle. Chaque Forum devra aboutir à un texte fondamental constituant une base d’argumentation théologique, auquel seront rattachés des « textes d’application », tous devant être votés à la majorité des deux tiers de l’Assemblée plénière, y compris les deux tiers de l’épiscopat.
Mais au sein des Forums émergent d’autres questions qui, à la stupéfaction de certains, n’ont pas de liens directs avec la crise des abus : ordination des femmes ; bénédictions des « couples qui s’aiment », qu’ils soient divorcés-remariés ou de même sexe ; remise en question de la binarité des sexes et du célibat des prêtres… S’en sont suivis des débats très vifs et très tendus, notamment sur le quatrième thème, faisant craindre l’échec du chemin synodal, voire même un schisme silencieux. Au final toutefois, la quasi-totalité des textes présentés a été approuvée par l’Assemblée Synodale et par les deux tiers des évêques. La place est désormais à leur application et au dialogue avec Rome.
Le document final prévoit aussi la création d’un « Conseil Synodal », pour une gouvernance partagée entre laïcs, prêtres, diacres et évêques. Une révolution démocratique inouïe dans une institution hiérarchique. Pour l’instant, les dissensions avec le Vatican restent fortes, notamment sur la gouvernance de l’Église.
« Le chemin synodal a fonctionné. Ce n’est pas un tigre de papier », s’est félicité Mgr Georg Bätzing, président de la Conférence épiscopale, à l’issue d’un processus qui, en trois ans, a adopté 15 textes de réformes. Moins enthousiaste, Irme Stetter Karp, présidente du Comité central des catholiques et co-présidente de ce processus de réforme, salue une « nouvelle culture du dialogue », mais regrette qu’« un petit groupe d’évêques ait empêché un changement structurel de l’Église ».
Selon Franz Xaver Bischof, il est prévisible qu’un échec du chemin synodal devrait entraîner des conséquences désastreuses. En effet, comment stopper ou freiner le tsunami de sorties d’Église, notamment de femmes, dont la responsabilité de la transmission de la foi chrétienne était et reste prioritaire, si des réformes substantielles font défaut, si les références intellectuelles et les acquis culturels de l’époque ne sont pas pris en compte au sein de l’Église ? Comment l’Église peut-elle retrouver sa crédibilité et les évêques leur autorité, comment la crise de foi et d’identité des catholiques peut-elle être surmontée, si les doctrines, les formes de prise de décision et la discipline de l’Église, qui ont toutes évolué au cours de l’histoire, ne sont pas transformées ?
D’un point de vue structurel, le chemin synodal allemand ne peut pas être copié. Il présuppose des conditions qui sont propres à l’Église catholique allemande. En revanche, sur le plan du contenu, il a la capacité d’avoir un effet au-delà des frontières nationales et d’apporter des impulsions au chemin synodal que le pape François a décrété en 2021 pour l’ensemble de l’Église universelle. La consultation synodale mondiale montre clairement que les thèmes du chemin synodal allemand ne sont pas des questions spécifiquement allemandes, mais des sujets qui préoccupent l’Église catholique dans le monde entier. Il est bon et juste que cette démarche aille de l’avant et que les évêques et les laïcs tentent ensemble, face aux défis, de trouver des solutions viables, bien fondées théologiquement et adaptées à notre époque, qui servent le peuple de Dieu et l’annonce de l’Évangile.
Nous a été communiqué ces derniers jours le document de travail (Instrumentum laboris) qui servira de guide à la nouvelle phase du chemin synodal qui va débuter en octobre prochain. Il semblerait qu’une (toute petite) ouverture soit laissée à l’espoir… À voir…
Traduction de l’article paru dans HERRIA du 06-07-2023