Tout commence !
Michel Jondot.
« Commencement ! »
Ce terme rappelle à chacun des sentiments particulièrement mêlés. Un « commencement » est un temps où se rencontrent à la fois la peur et l’espoir. Les rentrées des classes sont un moment où les jeunes à la fois craignent l’échec et espèrent le succès. Des amalgames de ce genre se retrouvent à tous les âges de la vie. L’entrée dans une profession, un changement de résidence, le début d’une maladie dont on ne connaît pas l’issue : autant d’occasions de douter de l’avenir.
« Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ… »
Le mot, dans ce contexte de l’Évangile, est encore plus étrange. Nous le recevons en connaissant le terme de l’histoire que St Marc va nous raconter. Formés, pour la plupart, par tant d’années de vie chrétienne, nous savons d’avance à quoi ce « commencement » conduit. Les dernières paroles de Jésus sont tragiques et traduisent l’échec le plus absolu devant les hommes et devant Dieu. Fixé sur la croix, exposé aux quolibets des foules, Jésus connaît le pire abandon qui soit : « Mon Dieu ! Mon Dieu ! Pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Entre ce vide absolu dont le charpentier a fait l’expérience et le premier mot de l’Évangile, un abîme a été franchi. La fin de tout s’est avérée un début ! Aux premiers jours de la Création, au « commencement » du temps, « Dieu dit » et sa parole arrache la lumière au chaos. Aux jours de la Pâque, alors que « tout est achevé » et que le Fils de l’Homme plonge dans le néant, tout peut commencer comme au premier jour et le temps devient promesse. L’attestent les derniers mots de la lecture de ce jour : « Il vous baptisera dans l’Esprit-Saint. »
Avec le temps de l’Avent commencé voici peu, une année liturgique nouvelle surgit aux yeux du chrétien. Ce commencement prend place parmi les jours les plus sombres de l’année qui conduisent au solstice d’hiver où nous fêterons Noël, alors que les nuits seront plus longues que les jours. C’est tout un symbole. Chaque vie, chaque instant de nos vies est un commencement et ce commencement est une Bonne Nouvelle., quoi qu’il en soit de la couleur des temps. « N’ayez pas peur, petit troupeau », disait Jésus à ses amis, au moment le plus dramatique, juste avant sa Passion. « N’ayez pas peur ! »: gardez cette parole dans le fond de vos cœurs, au moins jusqu’à Noël. Gardons-la malgré les difficultés économiques qui font souffrir beaucoup d’entre nous. Gardons-la malgré les affrontements stupides qui déchirent le Proche et le Moyen – Orient, l’Afrique et d’autres lieux.
« Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ… »
« N’ayons pas peur », mais ne soyons pas naïfs. Si chaque jour est un commencement, nous ignorons ce qui commence et de quoi demain sera fait. L’avenir nous échappe et pourtant nous avons prise sur la vie. Le récit de ce jour évoque le travail qui nous attend. C’est avant tout le travail de la parole. Tout « commence » dans le désert, là où la parole se perd. Jean-Baptiste a beau ouvrir les lèvres, ce qu’il donne à entendre n’est qu’un cri : « à travers le désert, une voix crie ». Jean-Baptiste réussit pourtant à se faire entendre. Le cri devient « proclamation » et les discours qu’il prononce déplacent les foules. Le désert se transforme : il devient lieu où l’on se rassemble : « Toute la Judée, tout Jérusalem, venait à lui » et ils se convertissaient. Qu’est-ce que « se convertir » ? Ce n’est pas tellement se conformer à un modèle moral dont on se serait écarté. Se convertir, c’est « commencer », introduire de la nouveauté dans l’existence, trouver les mots qui nous sortent des discours tout faits qui changeront les relations et transformeront l’indifférence en amitié ou en amour. Se convertir c’est changer la vie. D’une certaine façon, se convertir, c’est « commencer ».
« Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ »
« Commencement » : ce terme, c’est bien vrai, rappelle à chacun des sentiments particulièrement mêlés : crainte ou espoir. Mais en quoi les événements qui suivent un commencement sont-ils gratifiants ou décevants ? Lorsque nous nous lançons dans une aventure, nous imaginons ce qu’est l’échec et le succès. Si la réalité nous déçoit, c’est qu’elle ne correspond pas à ce que nous imaginions au départ. Ne soyons pas victimes de notre imagination. Ce qui survient est plus beau que les illusions dans lesquelles nous risquons de nous enliser. Ce que nous attendons dépasse notre imagination. Ce qui survient est inattendu. Mais ce qui est sûr – et précisément le temps de Noël vient nous le rappeler –ce qui vient est don de Dieu, Dieu donné à l’humanité.
Le malheur qui surgit est-il don de Dieu ? Non, bien sûr. Un ennemi agit et l’ivraie se confond avec le bon grain. Mais, donnée avec le malheur et plus forte que lui, la force de commencer sans cesse nous est donnée, plus réelle que les plus beaux de nos rêves. Ce bébé qui naît à Noël nous révèle que la parole peut toujours prendre chair. Elle nous tourne vers autrui et nous reconnaissons en elle la force de la Création.