L’Église aime les femmes qui permettent à ses clercs et aux hommes de continuer à être ce qu’ils sont
Patrice Dunois-Canette.
L’Église catholique en France aime-t-elle les femmes ? Visiter les pages web des pèlerinages pour hommes des diocèses de France et de ses paroisses (diocèse de Paris, paroisse Saint-Marc et Notre Dame de Bon Secours à Asnières dirigée par la communauté de l’Emmanuel…), les sites des camps de remasculinisation « Optimum » et « Au cœur des hommes », ceux des paroisses tenues par les prêtres en soutane des communautés de l’Emmanuel ou des associations de prêtres comme les « petits gris » ou de la communauté Saint-Martin, sans oublier les sites d’un « nouveau » féminisme antiféministe dont la paternité revient à Jean-Paul II et à Benoît XVI, n’est pas réjouissant. À chacun.e de faire l’expérience
À bas bruit l’Église en France semble vouloir faire siens les choix d’un clan qui rassemble les milieux de droite, favorisés économiquement et à fort besoin identitaire. Ils veulent une Église qui leur corresponde et l’Église de France ne cesse de leur donner des gages, de leur confier des pans entiers de la pastorale, d’adopter les propositions « clefs en mains » qu’ils font.
« L’homme est la tête et la femme est le cœur », « différence » et « complémentarité », « génie » féminin, « vocation » féminine… Jésus, Marie : derrière cette anaphore, ces rappels se cachent un « ne rien faire pour que rien ne bouge » et un encouragement au maintien d’une idéologie -le différentialisme sexuel qui permet la domination masculine- qui cherche à se proposer comme un énoncé de foi, une vérité constitutive d’un dessein divin.
L’Église catholique, pour répondre à la question qui ouvre cet article, aime les femmes. Mais pas, semble-t-il, les femmes qui veulent l’égalité. Elle aime les femmes qui choisissent les hommes plutôt que la liberté, une protection illusoire, plutôt que leur indépendance et s’inscrivent dans des logiques sociales, économiques, politiques, psychologiques, corporelles, religieuses qui déterminent leur destin.
L’Église aime les femmes qui préfèrent être ce que les hommes pensent qu’elles sont, plutôt que de devenir ce qu’elles sont. Elle aime les femmes « inventées » par les hommes.
Elle aime les femmes qui demeurent dans l’ordre social à la place qui leur est assignée par la nature et disent n’avoir autre ambition et joie spirituelle que se réaliser à cette place.
Elle aime les femmes qui n’existent que dans le désir de l’autre, celui de l’homme. Elle aime les femmes dont les époux « dans un monde désemparé où l’homme est sommé de se déconstruire pour mieux répondre aux nouveaux mirages sociétaux », choisissent les parcours de camps et des pèlerinages entre hommes pour découvrir « leurs désirs authentiques ».
« Approfondir la connaissance de ce trésor qu’est le cœur de l’homme, c’est apprendre à mieux connaître le cœur même de Dieu », soutient « Opimum ». « Les grands désirs qui font vibrer le cœur de l’homme, spécialement de l’homme masculin – aventurer sa vie, se battre pour le bien, aimer passionnément une femme, exercer l’autorité et la paternité – ont leur source dans le cœur de Dieu lui-même ».
« Notre mission est de réconcilier les hommes avec eux-mêmes, en les aidant à retrouver leur dignité masculine », soutient « Au cœur des hommes »
« Notre vocation n’est pas d’être gentils et convenant, mais d’être vrais, de libérer tout notre potentiel de vie, l’énergie et les talents qui sommeillent en nous, dans un don radical de nos vies. Nos piliers sont les suivants :
- La Grandeur : Voir grand, désirer large, s’autoriser à vivre pleinement ;
- La Force : Découvrir sa force intérieure, prendre sa place et oser l’amour ;
- La Vérité : Oser être soi, incarner la droiture et libérer sa puissance ».
L’Église aime les femmes dont les maris veulent, « en ces temps de confusion », « faire entrer » leurs fils dans » le monde où sont les hommes « -et pas les LGBTI- et les emmènent vivre un temps de « chevalerie » qui lui offrira « la clé d’une vie riche de sens, d’action et d’une véritable communion avec Dieu ».
Elle aime les femmes qui appellent « pères » de jeunes hommes en soutane qui, dans la Sainte Famille, demandent « Joseph », veulent redonner toute sa virilité à un catholicisme « maternant », sa virilité à l’Église. Elle aime ces mères de prêtres « modèles » mobilisées contre les politiques d’égalité et de genre, qui voudraient faire avancer l’égalité de droit entre hommes et femmes, mais aussi, entre les différentes sexualités. Elle aime les femmes farouchement opposées à tout ce qui déstabilise les identités sexuées, l’ordre social fondé sur la distinction entre masculin et féminin, et la hiérarchie qui préside à cette distinction.
Elle aime les femmes quand déjà filles ou jeunes adolescentes, elles sont « servantes d’assemblée » alors que les garçons sont « servants d’autel » ou qui, plus tard, doivent s’effacer quand des hommes cooptés par des hommes sont préférés pour le service de la communion.
Elle aime les femmes qui montrent aux hommes qu’il existe encore, Dieu merci, de « bonnes femmes ». C’est-à-dire les femmes qui aiment les Adam « en manque d’une aide » qui leur soient assortie, des femmes qui savent « accueillir le don » de leurs maris pour se donner à eux « en retour ».
Elle aime les femmes qui à l’heure de la crise climatique et du scepticisme face au pouvoir émancipateur de la technique, s’enthousiasment pour l’écologie « intégrale » qu’elle promeut et qu’il convient de suivre dans le domaine des conduites sexuelles pour des considérations « morales » qui sont aussi des considérations biologiques et environnementales (« tout est lié ») : la condamnation de la sexualité hors mariage, de la contraception « artificielle », de l’avortement, des sexualités « contre-nature » et des technologies d’aide médicale à la procréation.
Elle aime les femmes que des hommes continuent de tenir en rancune depuis la première d’entre elle, Eve, et la comptable de la chute. Elle aime les femmes que le « sang » menstruel, impur et maléfique, qui les situe plus près du terrestre que du ciel, oblige à enfermer dans une sphère faite d’interdits. Leur « chair » les exclut de toute égalité morale ou ontologique. Les âmes viriles sont plus proches de Dieu, plus à son image.
L’Église aime les femmes que les hommes ont définies par leur « chair », leurs fonctions sexuelles et maternelles, pour pouvoir continuer, en somme, à être ce qu’ils sont, supérieurs, forcément, et donc, ici-bas, lieutenants de Dieu.
Elle aime les femmes qui consultent leurs pasteurs quand elles ont des raisons de ne pas poursuivre une grossesse que des rapports sexuels désirés par un homme pendant une période de fécondité ont entraînée. Elle aime les femmes « pro vie » qui parlent de l’avortement comme d’un meurtre, récitent des rosaires devant les cliniques, affichent dans leur salon un « avorter, c’est tuer » définitif. Elle aime les femmes dont les mères étaient à la Manif pour tous et réclament une échographie obligatoire dès la sixième semaine de grossesse, permettant d’entendre battre le cœur du fœtus.
L’Église ne parle des femmes que le plus souvent pour évoquer la femme en tant qu’épouse, la femme en tant que mère, la femme au cœur de la maison de son mari. La femme en tant que mère de bons petits catholiques, la femme en tant que mère de prêtre.
Elle ne parle des femmes que pour diffuser une morale sexuelle centrée sur la pérennité des unions qui construisent un ordre social traditionnel et bourgeois, un entre-soi qui se reproduit et qui entend bien contrôler des frontières symboliques bousculées par le féminisme, le gender, l’avortement inscrit dans la Constitution, l’homoparentalité, la GPA…
Elle ne parle pas aux femmes, elle parle des femmes aux évêques, prêtres et diacres, un petit groupe d’hommes célibataires qui se garde de desserrer, bien que devant la reconnaître imparfaite, l’analogie entre le couple mari-femme et celui Christ-Église, si préjudiciable aux femmes.
L’Église aime les femmes promises à une égale dignité dans l’au-delà. L’utopie, le plus loin, le plus haut, pas le défi d’aujourd’hui.
L’Église aime les femmes, pas les femmes qui invitent et soutiennent les hommes conscients qu’il est urgent de réinventer les masculinités, condition nécessaire au déploiement d’un nouvel équilibre des relations entre les sexes, libéré d’un patriarcat théologisé. Pas les femmes qui entendent reprendre possession d’elles-mêmes, éprouver librement leur singularité sexuée, pas les femmes qui disent vouloir être diacres, prêtres, évêques, pas les femmes qui parlent de Dieu.e et qui viennent bousculer un ordre religieux masculin.
Prendre la peine d’examiner les propositions ordinaires de la pastorale des jeunes, des couples, des familles de l’Église catholique en France, celles des camps de remasculinisation, des pèlerinages genrés, du tradwife catholique, du féminisme intégral catholique et de ses influenceuses montre assez les lignes de force.
N.B. Les citations proviennent des propositions de camps, week-end, séances de coaching Optimum, ou Au cœur des hommes, de sites du « nouveau » féminisme catholique, de l’exhortation apostolique Amoris laetitia du pape François.