Sans les prêtres africains, bien des paroisses auraient disparu
Philippe Liesse.
Le 13 février 2024, en reprenant ce titre, La Libre Belgique présentait un dossier de deux pages pour parler de la présence de ces prêtres qui viennent de si loin.
Dans certains milieux, ce dossier a fait des vagues, donnant lieu à des réactions diverses allant d’alléluias tonitruants pour louer la présence de ces prêtres venant assurer une vie paroissiale essentielle à une attitude de résignation qui en dit long sur le caractère ubuesque de la situation.
Ce caractère ubuesque est comme un écho de la déclaration d’Alphons Borras [1], dans le dossier cité : « Il y a trente ans, les évêques ont réalisé que les séminaires se vidaient. Plutôt que de revoir le modèle, ils ont accueilli des prêtres africains. Entendez-moi bien, je ne mets pas du tout en cause le dévouement de ces prêtres, qui ne sont pas meilleurs ni pires que les autres. Je regrette cependant cette politique palliative, qui a pour effet de maintenir artificiellement des structures et ne nous a pas permis d’avoir le courage de repenser la présence de l’Église sur le terrain en fonction de la réalité d’une société qui était en train de changer depuis longtemps. En d’autres termes, faut-il maintenir les paroisses telles que nous les connaissons, ou faut-il repenser la présence de l’Église sur le terrain ? Si la « pratique » des sacrements est essentielle à la vie de foi, faut-il permettre aux fidèles de la vivre en ayant recours au type de prêtres que nous connaissons ? Il est peut-être bon de rappeler que José Lhoir publiait un article dans la revue HLM en 1991 qui disait clairement que « la tâche la plus urgente consiste à faire sauter une certaine conception du sacerdoce autour de laquelle se concrétise une certaine conception de l’Église. C’est un problème de cuisine interne, je le sais. Mais il commande et bloque tout. […] La tâche la plus urgente est de cesser d’ordonner des prêtres. »
Dans un article de la même Libre Belgique [2], en 2019, Paul Tihon [3] osait affirmer qu’il est temps de se défaire de l’idée du prêtre spécialiste du sacré, doté par l’ordination de « pouvoirs sacrés ». Nous pouvons, et nous devons nous interroger sur le sens à donner à la vie de communauté. Est-elle d’abord un lieu de consommation de rites sacrés ? Si oui, elle ne fait que répondre à la demande de celles et ceux qui ressentent le besoin d’une certaine sécurité spirituelle. Si, au contraire, la communauté chrétienne se définit à partir de sa présence évangélique dans la vie, la question du culte se posera autrement. Le culte sera vraiment ce moment de « recharge des accus » pour une constance agissante dans le monde.
La présence des prêtres africains répond à une volonté bien précise des autorités ecclésiastiques, et à une seule : « assurer la pérennité du système. » Comment ? En puisant à une source, si possible inaltérable, le prêtre tout fait le prêtre prêt à porter, indéformable, le « bwana mukubwa » (Grand monsieur en swahili). Dans cette optique, la filière africaine est une chance pour les autorités. Elle ne fait que maintenir artificiellement une structure. Et quand les responsables d’Église chantent que le multiculturel est source d’enrichissement, ils oublient de souligner que cela ne vaut que dans la mesure où ce « multiculturel » ne porte pas ombrage au système, et donc aussi à leur autorité. Or, le vrai multiculturel change la donne, il ouvre une société à une autre perception de son propre avenir, il façonne une société jusque dans son fonctionnement ! Pour cette raison, le multiculturel ne restera qu’un beau mot dans la bouche des hautes sphères de l’Église, un mot qui rebondit de théorie en théorie pastorale.
Joyeuses Pâques, pour une humanité renaissante !
Notes :
[1] Vicaire général de l’évêché de Liège jusqu’en décembre 2020 [2] La Libre Belgique du 9 novembre 2019 [3] Paul Tihon, SJ, théologien bruxellois qui a enseigné à la Faculté de Théologie d’Egenhoven, aux Facultés Universitaires Saint-Louis, à l’Institut Lumen Vitae.Source : La revue commune du réseau PAVÉS n° 78