Femmes dans l’Église
Blandine Ayoub.
Dans l’ouvrage récemment publié Femmes et Église, sortir des malentendus de l’Histoire, (L’Harmattan, 2024), Gilbert Clavel entreprend une critique des arguments scripturaires et doctrinaux servant à justifier la dévalorisation des femmes au sein de l’institution et, plus largement, ouvre des perspectives pour décléricaliser l’Église et la réconcilier avec la modernité.
L’émancipation des femmes, une donnée anthropologique
L’auteur évoque d’abord le long chemin d’émancipation des femmes, au cours de l’Histoire, tandis que s’opère parallèlement une révolution anthropologique, avec l’autonomisation plus générale de l’individu dans les sociétés, l’émergence d’une conscience et d’une responsabilité personnelles, et alors que la démocratie accentue le développement de l’individualisme. En même temps que le rapport à l’autorité est bouleversé, les configurations familiales le sont aussi.
Émerge alors une situation de conflits entre la modernité et le monde ancien, défendu par les religieux fondamentalistes, les extrémistes politiques et les virilistes. L’Église catholique, cramponnée à des modèles intangibles, creuse l’écart avec la société et l’anthropologie modernes.
« Pendant des siècles, l’Église a influencé la société en portant une anthropologie héritée de l’Antiquité et remodelée par des clercs (des hommes) qui ont produit et transmis une morale de la sexualité et de la famille selon le modèle patriarcal et la domination masculine, et selon une idéologie de l’impureté et infériorité féminines justifiant la relégation et le contrôle des femmes. »
Vatican II affirme l’égalité fondamentale et « l’égale dignité personnelle » entre hommes et femmes. Mais le blocage du cléricalisme demeure, ainsi que celui des questions liées à la morale sexuelle et à la contraception.
Du côté des textes bibliques
Gilbert Clavel évoque les effets de l’interprétation misogyne des textes scripturaires (comme la création et le péché originel), notamment les incidences doctrinales. L’exégèse biblique et l’approche historico-critique contemporaines leur font dire tout autre chose, ainsi que le développement de la science. Et la notion de responsabilité est par ailleurs bien présentée comme individuelle dans la Bible, nul n’héritant du péché de ses ancêtres, arrière-grand-mère Ève comprise. « On ne nait pas pécheur, on le devient ».
Quant à Jésus, son célibat lui donne symboliquement le statut de prophète, mais des femmes l’accompagnent dans toutes ses pérégrinations, certaines jusqu’au pied de la Croix. C’est une femme, Marie-Madeleine, qui est choisie comme première témoin de la Résurrection, et envoyée aux apôtres pour l’annoncer aux disciples. Jésus libère les femmes des tâches matérielles, lors de son échange avec Marthe et Marie. Il guérit aussi des femmes, porte un regard valorisant sur celles qui sont en difficultés sociales comme les veuves, la Cananéenne, la Samaritaine, ou sur les « pécheresses ». Jésus se fait également le défenseur des femmes répudiées devant le patriarcat.
Les femmes théologiennes, notamment, en faisant l’exégèse des textes bibliques, ont facilement déconstruit les stéréotypes patriarcaux et l’essentialisation d’une soi-disant nature féminine. Elles ont étudié le vocabulaire employé pour Dieu, qui n’est pas si genré, et apparait autant féminin que masculin. Les femmes ne sont pas réduites à être des filles d’Ève la tentatrice ou de Marie l’obéissante, face à des hommes qui ont pour modèle un Dieu viril – ce qui en fait des enseignants et des dirigeants nés. Foin de ces représentations naïves et négatives de la « vocation féminine » :
« La théologie traditionnelle de la femme est obsolète, il faut évangéliser l’anthropologie ».
Dans l’histoire de l’Église
On assiste au cours des siècles à la mise en place d’un véritable système clérical, et à la sacerdotalisation de la vie ecclésiale qui sépare clercs et laïcs, hommes et femmes – ce qui, comme le dit le pape François, « éteint lentement la flamme prophétique ». Parallèlement, entre le IIe et le Ve siècle, du fait de l’augmentation du nombre de chrétiens et de l’organisation qu’elle rend nécessaire, l’imposition des mains change de signification : de reconnaissance du don de l’Esprit, elle devient transmission par ceux qui l’ont reçu, donc monopole d’un pouvoir institué, – et infériorité de ceux qui ne n’en ont pas bénéficié.
Les diaconesses disparaissent avec la fin des baptêmes par immersion (puisque c’était des femmes, par décence, qui s’occupaient alors des femmes catéchumènes). Dans la foulée, les femmes sont privées de la capacité de témoigner en justice face aux prêtres…
Dès le IIIe siècle, on constate « le monopole hiérarchique des évêques et des prêtres en surplomb du Peuple de Dieu et au détriment de sa capacité prophétique, la dichotomie clercs/laïcs, hommes/femmes (domination masculine), sacré/profane. C’est toute une anthropologie à repenser. »
Le célibat des prêtres outre ses divers justificatifs habituels – tous récusables – résulte également d’un inconscient institutionnel, liant pureté sexuelle et service de l’autel, ce qui exclut à la fois les hommes mariés et les femmes. Alors que le Nouveau Testament a largement caché le rôle des femmes dans les premières communautés, le courant judaïsant a reproduit le modèle sacerdotal préchrétien contre lequel Jésus s’était élevé. L’institution ecclésiale doit aujourd’hui être dépatriarcalisée.
L’auteur propose de sortir du caractère sacré du ministère des prêtres, puisque Jésus a proposé une nouvelle relation en liberté, sans peur ni condition ; car c’est une compréhension tendancieuse de la Lettre aux Hébreux, interprétant l’eucharistie comme un sacrifice présidé par un prêtre sacrificateur, qui permet d’établir les fondements d’un pouvoir clérical, masculin, hiérarchique, sacerdotal et culturel, rendant ainsi le sacerdoce commun des fidèles inégal en dignité au sacerdoce ministériel.
Perspectives théologiques et ecclésiales : la voix des femmes
Aussi bien dans la société que dans les religions, la sortie du patriarcat connait des résistances face aux récentes avancées. Comment lever le blocage du système clérical dans l’Église catholique, et dépasser les trois pierres d’achoppement que sont la question de la morale sexuelle, l’obligation de célibat des prêtres, et l’accès des femmes au sacerdoce ministériel et aux responsabilités ?
Dans l’Évangile, Jésus affirme que l’impureté n’est pas là où on le pense. Dans la société, les relations de couple et la vie familiale sont devenues « liquides et fluides », et l’Église, au lieu de s’interroger sur les valeurs de l’Évangile, s’arcboute sur une « conception ascétique de la vie, ancrée sur une loi naturelle qui serait l’émanation de la loi divine, dont elle aurait l’exclusivité du gardiennage. (…) La foi et les mœurs sont intimement liées, l’Église les définit de manière infaillible, ce qui rend la doctrine morale irréformable. » Une Église se fondant sur la pédagogie de Jésus ferait enfin appel à la « conscience singulière » et à la liberté de chaque personne : accompagner des parcours de vie, ce n’est pas se référer à « un bloc moral fossilisé ».
Pour diversifier les services de l’Église, où hommes et femmes pourraient œuvrer côte à côte, cela suppose de passer de l’état sacré à une dynamique de sainteté, propose G. Clavel, en décléricalisant les ministères. D’après Vatican II, c’est toute l’assemblée qui célèbre l’eucharistie, le président signifiant le lien avec l’Église universelle ; il s’agit de faire mémoire, le prêtre n’est pas un sacrificateur. Des maîtresses de maison présidaient d’ailleurs des assemblées eucharistiques dans les premières communautés chrétiennes domestiques. C’est l’approche symbolique de l’Eucharistie, qui ferait mémoire du sacrifice unique du Christ en rendant grâce lors d’un repas fraternel, au nom du sacerdoce commun des baptisés, qui contribuerait à décléricaliser l’Église.
La crise de l’Église aujourd’hui (dont celle des vocations), a des raisons sociétales externes, mais aussi des raisons internes : les formulations de son langage dogmatique, ses normes morales, sa (dé)considération des femmes, son mode de gouvernance ne sont plus audibles. On peut réfléchir à élargir l’accès aux ministères aux personnes mariées et aux femmes, ce qui serait compatible avec l’histoire de l’Église et avec les Écritures – considérant que le magistère ne vient pas de Jésus, mais a été organisé par des hommes, il nous faut relire le soi-disant « plan de Dieu sur l’Église » à la lumière de l’anthropologie contemporaine. Car l’Esprit Saint souffle où il veut, et les compétences pastorales ne sont pas exclusivement masculines. Les ministères, missions, fonctions, tâches sont à repenser à partir des besoins d’aujourd’hui et des nouvelles ressources humaines de l’Église : place à la créativité (appelée de ses vœux par François) au nom du sacerdoce commun.
La crédibilité de l’Église aujourd’hui et demain
Un nouvel aggiornamento s’avère donc indispensable, dont « l’enjeu est la crédibilité de l’Église pour les hommes et les femmes de ce temps ».
La clé du changement consisterait de passer d’une gouvernance monarchique et cléricale à une gouvernance synodale, ce qui amène l’auteur à décliner diverses propositions : passer du normatif au réflexif ; d’une pastorale d’encadrement à une pastorale d’engendrement ; d’une institution clôturée à une Église « en sortie vers », et mixte plutôt que mâle.
Il conclut en préconisant de promouvoir une morale positive qui laisse place aux consciences personnelles ; de mettre en action la démocratisation du gouvernement de l’Église, permettant décentralisation et pluralisme dans l’unité ; mais aussi une démocratisation spirituelle : donnons leur place aux femmes, au côté des hommes, tous ensemble missionnaires et prophètes.
Une magnifique bibliographie donne des pistes à ceux qui voudraient aller plus loin.