Rencontre autour de la mémoire de Jacques Gaillot, évêque de Partenia
Le 12 avril 2023 Jacques Gaillot disparaissait. Pour commémorer ce moment, à l’initiative de Jean-Pierre Maillard, des amis de l’évêque de Partenia se sont rapprochés de la maison des spiritains de la rue Lhomond, où celui-ci a demeuré de nombreuses années, pour organiser ensemble le vendredi 12 avril 2024 un moment de partage en sa mémoire.
Après une célébration, dans la chapelle des spiritains, la quarantaine de participants ont échangé au cours d’une rencontre conviviale.
Beaucoup de prises de parole fortes. Parmi elles nous mentionnons ici :
– celle de Jean-François Berjonneau qui a relu le texte son intervention lors de la Messe d’action de grâce, à la cathédrale d’Évreux, pour l’épiscopat de Jacques Gaillot du 21 avril 2023)
– celles du groupe d’iraniens avec le texte qui suit.
L’ami estimé du peuple iranien
Par Omid Khadir.
Si Jacques Gaillot se voulait « l’évêque des autres », cet homme de Dieu l’a pleinement été pour les Iraniens engagés dans la résistance contre les ayatollahs. Il aura été le frère et le compagnon de route inestimable des militants de la Résistance iranienne, qui ont croisé sa route la première fois en 1986. C’est en cette même année, venant d’arriver du Québec pour rejoindre le siège du Conseil national de la Résistance iranienne installé à Auvers sur Oise, que j’ai eu le privilège de rencontrer l’évêque d’Évreux.
Sollicité pour venir soutenir les grévistes de la faim iraniens qui protestaient contre l’expulsion vers le Gabon d’une quinzaine de leurs camarades par le gouvernement Chirac, qui avaient succombé au chantage des mollahs pour obtenir la libération d’otages français, Mgr Gaillot, Danielle Mitterrand et d’autres défenseurs des droits n’avaient pas hésité à faire le déplacement. L’industrie des prises d’otages français et européens par les dictateurs de Téhéran n’étant pas une nouveauté, la politique servile de complaisance face au terrorisme iranien, qui continue encore aujourd’hui, a une longue et douloureuse histoire qui n’a fait qu’enhardir les mollahs.
Après avoir quitté famille et études, c’est durant un hiver glacial que j’ai débarqué pour la première fois en France, où je découvrais ce pays que je n’avais connu jusque-là qu’à travers les livres sur la Révolution française et la Commune de Paris et dont j’idéalisais ses acteurs. Moi-même engagé dans la révolution iranienne, je tenais en haute estime les précurseurs de la révolution sociale et les auteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen et m’inspirais des leçons des révolutions contemporaines.
En 1986, Mgr Gaillot fait parler de lui dans les médias pour ses prises de positions courageuses dans les divers enjeux de société, pour la défense des exclus et la justice sociale. « Comment demander à un évêque de se taire ? Un évêque, ou il parle, ou il démissionne, » avait-il déclaré. La mobilisation de l’opinion publique en faveur des réfugiés iraniens porte ses fruits et ces derniers retournent en France après avoir séjourné plusieurs semaines chez Omar Bongo. À l’époque, je m’occupe des revues de presse au sein du mouvement et je suis de près le déroulé de ce bras de fer entre les protagonistes et l’extraordinaire élan de solidarité de la population française en faveur des résistants iraniens.
Je vois alors en ce prêtre des opprimés le visage d’un homme de Dieu, soucieux de « l’humain d’abord », qu’il avait placé au centre de sa vie. Un courageux et un irréductible qui a laissé les honneurs épiscopaux et la quiétude d’une vie religieuse sans problème pour s’engager dans l’adversité d’un combat pour la juste place de l’homme dans le monde. Pour lui, la vérité de Dieu ne pouvant être comprise pleinement que dans l’engagement pour le salut de l’homme en société, tout comme l’élévation spirituelle ne pouvant se réaliser que par le don de soi et la résistance contre les injustices qui avilissent et aliènent l’homme.
Les injustices, ils en ont bien connu les Iraniens qui avaient adopté la France, berceau des droits de l’homme, comme leur pays de prédilection pour y installer le « Conseil national de la Résistance iranienne », sur l’exemple français. Massoud Radjavi, le président du CNRI, avait d’abord été reçu avec beaucoup d’honneur par le feu président Mitterrand et son ministre des Affaires étrangères, Claude Cheysson, lorsqu’il atterrit en 1981 à Paris à bord d’un avion de l’Armée de l’air iranienne, confisqué pour l’occasion par des pilotes membres de l’Organisation des Moudjahidine du Peuple d’Iran (OMPI), le principal mouvement de résistance.
Ayant contribué à la chute de la dictature d’un Chah sanguinaire, ce mouvement de musulmans progressistes avait refusé de transiger avec les nouveaux tyrans qui prétendaient répandre l’islam par le sang et la négation des droits et libertés de cette antique civilisation. L’OMPI s’est coalisée avec d’autres mouvements démocratiques pour fonder le CNRI, qui a toujours son siège européen à Auvers Sur Oise, en banlieue parisienne.
C’est dans cette bourgade, où repose Vincent Van Gogh, qu’un autre épisode douloureux pour les résistants iraniens fera de nouveau intervenir l’ancien évêque d’Évreux en leur défense. En 2003, l’OMPI est victime d’une nouvelle cabale de Téhéran, cette fois sous le gouvernement Sarkozy. Plus de 1300 policiers sont mobilisés pour s’attaquer aux résidences des opposants iraniens, brandis comme terroristes, en contrepartie de la promesse de juteux contrats pétroliers. L’initiative tourne en fiasco politico-judiciaire et un drame humanitaire s’en suit. J’étais au nombre des personnes arrêtées.
Alors qu’un nouvel élan de sympathie des voisins français pour les Iraniens de la rue des Gords prend de l’ampleur, Mgr Gaillot, Danielle Mitterrand – et plus tard l’Abbé Pierre – feront le déplacement à Auvers-sur-Oise. Estimant que « la détention de Maryam Radjavi est un acte politique pour plaire à Téhéran et à Washington », l’homme de Dieu rend visite aux grévistes de la faim et de la soif et demande la libération de la présidente élue du CNRI, Maryam Radjavi.
Durant toutes les années qui ont suivi cet épisode douloureux pour la Résistance iranienne, l’évêque de Parténia a continué de l’accompagner sur les divers fronts de son combat pour le renversement de la dictature et l’instauration d’une république laïque et démocratique.
Lors d’une rencontre à Auvers-sur-Oise avec Maryam Radjavi, le 5 mai 2017, Mgr Gaillot a déclaré au sujet de la menace de l’extrémisme sous couvert de la religion et sur le message authentique des religions monothéistes pour la paix et la fraternité : « L’islam est une religion de fraternité et vous représentez ce visage authentique d’un islam tolèrent et démocratique qui n’est pas celui de ceux qui propagent l’extrémisme sous le couvert de l’islam. Je pense qu’un Iran libre, débarrassé des griffes des fondamentalistes religieux, jouera un rôle déterminent pour mettre fin à l’extrémisme religieux et pour propager la paix et la fraternité dans cette région et dans le monde… L’autre est un frère. »
À une conférence pour demander justice pour les prisonniers politiques massacrés en Iran, le 25 août 2018, il a déclaré : « Aujourd’hui nous recevons du courage, de la lumière de ces martyrs de la résistance exécutés par le régime et nous continuons leur lutte. Nos yeux voient ce qu’ils n’ont pas pu voir : à savoir un peuple en ce moment se soulève, dont une jeune génération, il se soulève pour renverser un régime qui prend peur. On n’arrête pas le destin d’un peuple. Les martyrs ont semé dans les larmes, et bien nous moissonnerons dans la joie ! »
À l’occasion du 50e anniversaire de la fondation de l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran, Mgr Gaillot, a déclaré dans un message vidéo : « Je vous dis que l’avenir est ouvert et les obstacles n’arrêteront pas ces avancées. L’homme est fait pour la liberté et la démocratie. Les dictatures ne gagneront pas même si elles sont solides et organisées, elles tomberont les unes après les autres. Le jour où la démocratie les remplacera viendra mais ça ne sera pas facile. D’autres parmi nous verront se lever ce jour de la victoire pour un Iran libre et démocratique. »
En juin 2023, une fois de plus Paris rentre en marchandage avec les mollahs en interdisant la manifestation de plusieurs dizaines de milliers de personnes à l’appel du CNRI pour soutenir le soulèvement ne Iran. Même si Jacques Gaillot n’est plus là pour crier sa révolte et réconforter les victimes de l’injustice, de nombreux citoyens de ce monde poursuivent la voie de Mgr Gaillot dans le soutien à la Résistance iranienne, y compris une majorité de députés français.
Nul doute, l’Iran sera enfin libéré du fascisme religieux, et son peuple rendra hommage à Jacques Gaillot, qui a illuminé notre chemin par son amour infini pour Dieu et son action pour le bonheur de l’humanité.
Illustrations : Bernadette et Bruno Catrice