Hymne à la joie
Michel Jondot.
C’est à en pleurer !
Tous les jours, la Télévision met sous nos yeux des spectacles insoutenables et nous montre la violence qui déferle dans tous les pays. On ne compte plus le nombre de morts au Proche Orient, en Ukraine… Ne croyons pas que notre pays est innocent : lorsque des hommes, des femmes, des enfants, acculés à quitter leur terre, sombrent dans la mer ou défaillent au seuil des pays qui n’ouvrent pas leurs frontières, ils sont victimes des politiques mises en place par le vote des citoyens dans nos sociétés démocratiques.
Le mal n’est pas seulement loin de nos foyers. Il est aussi à nos portes. Qui, par exemple, n’a jamais souffert des trahisons d’un ami ? Comment ne pas s’attrister devant l’angoisse des familles qui traversent des périodes de chômage ou de la détresse de tant d’hommes et femmes, d’enfants parfois, qui dorment dans les rues ?
C’est à en pleurer !
Jésus lui-même pleura. Peu avant sa dernière Pâque, on vint le chercher parce que la famille de ses amis était en deuil : Marthe, Marie et Lazare. Il vit d’abord la sœur et les voisins en larmes ; à cette vue, « il frémit en son esprit et se troubla. » Approchant du tombeau, il éclata en sanglots. Peu après, il vint à Jérusalem pour y célébrer sa dernière Pâque. A la vue de la ville il prit conscience du drame qui s’y déroulait. Ecrasée par les armées impériales, elle était encore divisée en factions rivales ; Scribes, Pharisiens, Publicains, Zélotes. Alors « il pleura sur elle en disant : ah ! Si en ce jour tu avais compris, toi aussi, le message de paix. »
Un secret à entendre.
Quel est donc ce message ? Lorsque son Heure fut venue – l’heure fatale – Jésus leur en livra le secret comme un testament. Secret étrange et difficile à recevoir, qui nous est transmis, une fois de plus, en ce temps de Pâques. Cet homme connaît la tristesse et pourtant écoutons-le : « Je vous dis ces choses pour que ma joie soit en vous. » Pour éviter de souffrir, parfois, pour ne pas voir le mal et s’étourdir – se divertir, comme dit Pascal -, on se bouche les yeux. Rien de tel dans ces propos : Jésus, en réalité, fait ses adieux, les disciples réunis le savent bien ; Jésus, lui-même, sait bien ce qui les attend ; il le dira sans baragouiner juste après les propos qu’on entend aujourd’hui : « vous pleurerez… » En cette heure où tout s’accomplit, la mort, en effet, fait une étrange alliance ; à la fin de tout, le sang va couler mais la fin de tout est une victoire : « Il les aima jusqu’au bout. » Lorsqu’ils écoutent leur Maître, on leur fait entendre que rien, pas même la mort, ne peut éteindre l’amour. Comme le feu sous la cendre, il est prêt à se réveiller au moindre souffle. On ne sait d’où vient le vent ni où il va. Pareil au vent, l’Esprit qui vient du Père arrache à la mort quand on se laisse emporter par une force qui est l’amour.
Les hommes savent faire des lois, aujourd’hui comme hier, depuis que l’homme est en ce monde. Sans lois on sort de l’humanité. Mais ces lois font des coupables ; elles créent des écarts, elles suscitent des guerres, elles conduisent à la mort : « Nous avons une loi et d’après cette loi il doit mourir ! » Une autre loi, plus fondamentale, à la racine de tout, change tout, renouvelle tout. Elle vient de Dieu : « Mon commandement, le voici ; c’est de vous aimer les uns les autres. » Ces quelques mots, sont trop connus ; ils peuvent justifier n’importe quel comportement sentimental. Ils ne servent plus ; ils sont usés comme une pièce trop vieille pour avoir cours. Ces jours de Pâques sont là pour que nous en retrouvions la vigueur originelle. Ils ne peuvent fonctionner sans que ceux qui s’y réfèrent ne voient du changement dans l’entourage. C’est bien ce qui se passe au moment où Jésus les prononce. Les relations se transforment. Il ne s’agit plus de relations où le disciple est au service du maître ; il s’agit désormais de relations d’amitié : « Je ne vous appelle plus serviteurs…je vous appelle mes amis. »
Sauver l’Espérance
On peut hausser les épaules ; le monde ne peut changer, quelle que soit notre volonté ; la violence dont nous sommes témoins est pire que celle qui faisait pleurer Jésus lorsqu’il approchait de la Ville. En réalité, le lieu des lamentations est aussi celui de la joie. « Ma joie », dit-il en cette heure où il fait l’expérience du comble de la cruauté. Lorsqu’il arrive à cette extrémité, l’amour n’est pas éteint puisque l’heure de sa mort est celle où il est donné tout entier, à-la fois au monde et à ses amis. « Prenez, c’est mon corps. » Pas de joie sans amour : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. »
Ses amis connaîtront la joie, en effet, peu de jours après cet entretien, lorsqu’à l’heure de la Résurrection ils furent remplis d’allégresse. Non pas d’abord parce qu’ils retrouvaient cet ami extraordinaire mais parce qu’il les avait choisis comme héritiers en leur livrant son secret : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Ils avaient été choisis « pour porter du fruit » ; l’avenir s’ouvrait devant eux, ils avaient à prendre le relais à leur tour. Certes, ils n’écrasèrent pas les chars de Rome. Ils eurent à faire face, eux aussi, à l’incompréhension, à la prison pour, enfin, connaître une mort aussi abjecte que celle de leur Maître. Néanmoins, ils portèrent le fruit que Jésus attendait : ils firent naître un peuple de prophètes, héritiers eux aussi, cohéritiers avec Jésus. Reconnaissons notre vocation ; nous avons à rejoindre les hommes, à leur donner notre temps et notre vie et, au milieu, de la folie et des tueries, transmettre en actes et en paroles le secret de Jésus. Ainsi l’Espérance pourra briller.