Méditations insolites sur les évangiles — Jésus, un chemin d’humanisation
Jacques Musset
Bruno Mori n’est pas un inconnu pour nous. Ses deux premiers livres essentiels : Pour un christianisme sans religion. Retrouver la « Voie » de Jésus de Nazareth (2021) et Vers l’effondrement. Crise des dogmes, des sacrements et du sacerdoce dans l’Église catholique (2023) ont reçu un excellent accueil chez les chrétiens qui ne se retrouvent plus dans les enseignements de leur Église sur Jésus et sur Dieu ainsi que dans son organisation hiérarchique. Ils les ont aidés, disent-ils, à analyser les raisons de leur malaise, à déconstruire ce qui n’est plus crédible dans cet enseignement figé et à reconstruire une foi évangélique tonique, dépoussiérée des dogmes, du moralisme et du ritualisme catholiques. Bruno Mori se révèle un excellent maître en ce domaine.
C’est ce à quoi il continue de s’employer remarquablement dans son troisième livre qui vient de paraître : Méditations insolites sur les évangiles. Jésus, un chemin d’humanisation. Ces méditations, il les a écrites pour la communauté de chrétiens que, durant des années, il a rencontrés chaque dimanche, mais, avant de les écrire, il a longuement médités chacun des textes d’évangile pour son propre usage d’abord, sachant d’expérience que seule une parole imprégnée de la vérité intime de celui qui l’exprime peut avoir un écho chez son interlocuteur en quête lui-même de sa propre vérité. À l’évidence, Bruno Mori dit ce qui l’anime et le dynamise en ses profondeurs, ce qui lui procure le vrai bonheur intérieur, une voie certes exigeante, mais qui engendre la vraie vie en tous les domaines de l’existence. C’est donc d’abord à cause de sa tonalité étonnamment personnelle et engagée que ces méditations sont insolites, à la différence de bien des sermons et des commentaires impersonnels, qui distillent des propos pieux, éthérés, moralisants.
Mais ces méditations sont également insolites par le souci qu’a eu constamment leur auteur d’actualiser sans tabou les textes d’évangile en les faisant interroger sans concession les routines, les préjugés, les modes, les addictions, les sommeils, les habitudes, les mensonges, les violences, les prétentions, dont nous autres humains, fragiles et vulnérables – l’auteur se met dans le lot – nous sommes pétris inconsciemment avec parfois la meilleure bonne conscience !
Alors en quoi les méditations de Bruno Mori ont-elles de quoi nous réveiller ? C’est qu’elles nous donnent à entendre sur tous les tons, dans un langage simple, mais vigoureux, le cœur de la foi évangélique vécue par Jésus et qu’elles nous la présentent comme un chemin actuel d’humanisation sans pareil. Elles nous rappellent la source d’inspiration à laquelle le Nazaréen s’est référé sans cesse : son Dieu, source d’amour, de vie et d’être, animant de sa présence infiniment créative tout ce qui existe et vit et pressant les humains à vivre libres et fraternels. Rien à voir avec le Dieu officiel encore prêché dans les églises – le Dieu théiste –, surplombant le monde et l’humanité et mandatant des fonctionnaires religieux pour exprimer ses volontés.
En même temps, Bruno Mori développe à longueur de pages comment Jésus fut en son temps le témoin exemplaire de ce Dieu dont la passion est que les humains vivent leur pleine humanité dans toutes les dimensions de leur existence personnelle, sociale et politique. Pour le prophète de Nazareth, « le culte en esprit et vérité » n’est pas de se répandre en actes religieux formels, mais avant tout de témoigner attention, amour et fraternité à ses frères humains, notamment à l’égard des oubliés, des marginalisés, des rejetés. Nous le rencontrons ainsi tout au long du livre sur les routes de Galilée annonçant sa bonne nouvelle dans ses percutantes paraboles du bon grain et de l’ivraie, du grain de blé qui doit mourir pour porter du fruit, et dans ses inoubliables béatitudes suivies des fortes paroles du « sermon » sur la montagne en Matthieu. Ses actes qui délivrent les femmes et les hommes de ce qui les opprime sont tout aussi évocateurs de sa bonne nouvelle. Il passe une grande partie de ses journées à libérer ses compatriotes de leurs peurs et de leurs angoisses mortifères — son accueil d’une prostituée au cours d’un dîner chez un bourgeois fait scandale. Il les presse de se débarrasser de leurs addictions à l’argent, à l’égoïsme sordide, au paraître vaniteux, au mensonge — il n’est pas tendre pour ceux qui se recroquevillent sur leur confort et leurs possessions. Il se fait proche de ceux qui sont aux prises avec leurs malaises intérieurs, leur manque de confiance en eux-mêmes, leur situation de marginalisés, notamment les malades et les femmes, ce qui les disloque aussi bien physiquement que moralement. Bruno Mori a des pages percutantes sur la relation de Jésus avec les femmes qui au temps de Jésus avaient un statut inférieur à celui des hommes. Jésus ne craint pas non plus de ferrailler contre les tenants du Temple, immense machine financière, et contre les gardiens rigides de la Loi qui maintiennent les croyants dans une religion de la servilité, de la pureté maladive, de la culpabilité destructrice.
Mais notre auteur, au fur et à mesure qu’il déploie le visage de Jésus libérateur en son temps, n’oublie pas de rappeler à ses lecteurs disciples du Nazaréen que c’est aujourd’hui leur responsabilité de se mobiliser comme lui, de façon créative et inédite, dans le monde actuel, qui n’est plus celui dans lequel Jésus a vécu. En effet, de nos jours, rappelle-t-il, l’addiction à l’argent prend les formes d’un capitalisme sans pitié pour les pauvres ; le machisme vis-à-vis des femmes se manifeste par le viol et le harcèlement destructeur ; le racisme prend comme cible les juifs, les Maghrébins, les réfugiés ; la marginalisation vise les homosexuels et les transgenres ; le mensonge abonde sur les réseaux sociaux et sur les lèvres de certains politiques ; l’individualisme aveugle et rend insensible à l’exigence de solidarité avec les gens dans le besoin ; l’indifférence aux graves dangers que sont la crise du climat et de l’environnement, les guerres et les menaces de déstabilisation est inquiétante… C’est sur ces chantiers que Bruno Mori nous interroge : nous mobilisons-nous contre tout ce qui est source d’aliénation pour les humains en notre temps, au plus près comme au plus loin ? Car, dans notre monde actuel où les distances se sont considérablement raccourcies, tout humain est invité à se faire le prochain des autres, comme le fut le samaritain de la parabole, mais à des dimensions infiniment plus larges…
Un dernier mot. Je vous invite à prendre le temps de savourer et d’intérioriser chacune des méditations de Bruno Mori. Pourquoi ne pas prendre un quart d’heure à chacune de nos lectures afin de nous dire à nous-mêmes l’écho qu’elles ont dans nos existences ?
N’hésitez pas non plus, si vous le désirez, à faire part à notre équipe qui l’a édité de ce que ce livre vous aura apporté : pourunchristianismedavenir@gmail.com