Aux Pères synodaux
José Arregi.
Je m’adresse à vous avec respect et liberté. Et si une expression est trop sévère, je m’en excuse.
Je me suis demandé si je devais m’adresser « Aux pères et mères synodaux », mais je pense que le titre, tel qu’il est, reflète mieux la composition de votre Salle synodale, qui est pleine de pères. Et ce n’est pas que je ne vous vois pas, vous les femmes, et cette fois-ci plus que jamais ; cela pourrait être un pas en avant, cela pourrait aussi être un geste apparent pour contenir les protestations et garder les choses là où elles sont. Vous êtes là, vous parlerez, vous voterez, mais je ne vois pas de parité entre vous et eux. Non pas tant à cause du nombre, qui est également vrai (54 femmes contre 314 hommes), mais surtout parce que votre présence et votre fonction synodale continuent (et j’ose dire continueront) à être absolument, et pas seulement quantitativement, subordonnées à la figure et au pouvoir du clergé masculin.
Même s’il y avait 314 femmes, ce Synode, comme tous les précédents, resterait l’affaire des évêques « consacrés », tous masculins. Et si une question épineuse et cruciale devait se poser, ce qui n’arrivera pas, aucun d’entre vous n’aura le dernier mot sur cette question ; le dernier mot sera dit – je pense qu’il l’a déjà été – par un homme « consacré », le pape François. Il a nommé tous les membres du synode, hommes et femmes, il a donné les instructions sur ce que vous pouvez et ne pouvez pas dire, et il décidera et publiera, dans quelques mois, l’exhortation post-synodale avec les conclusions finales. Je dis « il », mais nous ne savons pas qui le fait. C’est lui qui signe. C’est le système, et ce n’est pas ce Synode qui le changera, même si dans quelques jours il entrera dans sa quatrième année.
D’ailleurs, on ne résoudrait rien dans l’Église en y ajoutant quelque chose. On ne résoudrait rien dans l’Église en ajoutant des mères aux pères, en instituant un pouvoir féminin sacré à côté d’un pouvoir masculin sacré, ce que je n’attends pas de savoir et ne veux pas savoir. En effet, rien de fondamental ne changerait même dans l’hypothèse totalement irréaliste où Rome déciderait de « consacrer » des femmes comme diaconesses, prêtres, évêques ou mères. Ce serait sans doute plus juste que le système actuel, exclusivement patriarcal, puisque les discriminations de genre disparaîtraient, mais le même modèle pyramidal et hiérarchique perdurerait, l’« ordre sacré », clérical s’il en est. Et ce n’est pas la réforme radicale que, depuis des décennies et des siècles, du cœur du monde, l’esprit de vie exige de l’institution catholique. « N’appelez personne père [“ou mère”, devrions-nous ajouter]. Vous êtes tous frères et sœurs », dit Jésus dans l’évangile de Matthieu (23,8-9). Il n’y a pas d’ordre sacré venu du ciel. Il n’y a rien de plus sacré que la fraternité-sororité universelle.
Mais cette perspective est totalement absente de l’organigramme, du fonctionnement, de la structure même du Synode. Elle n’est même pas évoquée. Le Synode, par système, comme l’institution ecclésiale en général depuis les IIIe et IVe siècles, porte intrinsèquement l’empreinte « sacerdotale » masculine, directement inspirée de l’ancien système sacrificiel du temple juif : la sacralisation du pouvoir, la séparation entre une élite supérieure (le clergé) et l’immense majorité des « laïcs » seulement définis négativement, même par le Concile Vatican II, comme « ceux qui ne sont ni clercs ni religieux », ceux qui ne sont ni clercs ni religieux, ceux qui ne sont pas et ne comptent pas dans l’Église. Entre ceux qui enseignent, guident et commandent, et ceux qui écoutent, sont guidés et obéissent. Entre ceux qui représentent « Dieu » et ceux qui ne représentent qu’eux-mêmes. C’est la négation de la fraternité-sororité, et c’est la racine de tous les problèmes structurels de l’Église catholique romaine.
Et rien n’indique que ce Synode supprimera cette racine cléricale, malgré son nom redondant (« Synode de synodalité »), malgré la rhétorique, et malgré toute la bonne volonté – que je reconnais sincèrement – du Pape qui l’a convoqué, de ceux qui ont été impliqués dans son processus pendant trois ans, et de ceux d’entre vous qui sont assis, parlent et votent dans la salle synodale sans pouvoir décider de quoi que ce soit d’important. Ce synode, comme tous les synodes précédents, n’abrogera pas non plus le cléricalisme. En effet, aucun des documents de base qui servent de cadre aux dialogues et aux débats des 368 « pères synodaux » ne permet de remettre en cause le modèle clérical actuel. Il suffit de citer quelques exemples.
Il y a tout d’abord l’Instrumentum laboris de cette deuxième session de l’assemblée synodale. À aucun moment il ne remet en cause le modèle hiérarchique clérical ; au contraire, il affirme à plusieurs reprises la différence entre les ministères « communs » issus du baptême et les ministères « ordonnés », supérieurs, seuls investis du pouvoir de présider l’Eucharistie, d’« absoudre les péchés » et de « consacrer » les diacres, les prêtres ou les évêques. Et, en cas de doute, il vous dit : « Dans une Église synodale, la compétence décisionnelle de l’évêque, du Collège épiscopal et du Pontife romain est inaliénable, car elle est enracinée dans la structure hiérarchique de l’Église établie par le Christ » (n. 70). Aucun membre du synode, tout père qu’il soit, ne peut la modifier. Il ne peut même pas en parler.
Il y a aussi le document intitulé « Contributions théologiques, canoniques et pastorales » publié en août dernier par le Secrétariat général du Synode sur la synodalité. Un recueil très ennuyeux de références bibliques, théologiques, conciliaires et papales, avec des considérations et des propositions insignifiantes. Il est souhaitable, dit-il, que la communauté ecclésiale en général participe d’une certaine manière non seulement à la consultation, mais aussi à la délibération, mais il ajoute à la fin : « La délibération dans l’Église se fait avec l’aide de tous, jamais sans l’autorité pastorale qui décide personnellement en vertu de l’ordination et de sa charge » (n. 11.3). Cette fin est le commencement. Et dans l’ordre sacré, il se limite à recommander une « saine décentralisation » (titre du n. 23). C’est tout.
Certains des sujets cruciaux qui pourraient indiquer, au moins symboliquement, la réforme profonde et inéluctable de l’Église catholique romaine ont disparu de l’ordre du jour de votre synode : l’accès des femmes aux « ordres sacerdotaux et même au « diaconat consacré », le célibat sacerdotal, les personnes LGTBIQ+… Ce sera donc inévitablement un synode de pères.
Vous avez des limites bien définies que vous ne pourrez pas dépasser. Le pape François pourra-t-il les dépasser ? En théorie, il le pourrait, car il jouit d’un pouvoir absolu. Mais vous savez que rien n’est plus relatif que le pouvoir absolu. Le pouvoir absolu d’un pape dépend de son histoire et de ses relations : ses connaissances, ses critères politiques et théologiques, ses préférences et ses choix. Tout est relatif dans l’exercice du pouvoir absolu.
Il est clair que le modèle d’Église du pape François reste entièrement clérical. Il a tout à fait le droit, ni plus ni moins que quiconque, d’avoir le sien, tant qu’il ne veut pas l’imposer. C’est là que les problèmes commencent. En tout cas, ce n’est pas ce pape qui renversera le cléricalisme, et cela me semble aussi sûr et certain que ses fréquentes mises en garde contre le cléricalisme. Il vient de le dire très clairement dans la vidéo diffusée le 1er octobre, le jour même de la retraite par laquelle les pères synodaux ont ouvert ce synode. « Les prêtres, dit-il, ne sont pas les chefs des laïcs, mais leurs bergers. Et les bergers règnent sur les brebis, quoiqu’en disent les brebis et sans qu’elles aient choisi leur berger. C’est ainsi que cela va continuer. Il dit aussi : « Les laïcs, les baptisés, sont dans l’Église, dans leur propre maison, et ils doivent en prendre soin. Il en va de même pour nous, les prêtres, les consacrés. Chacun apporte ce qu’il sait faire le mieux ». Ceux qui savent et peuvent conduire un autobus (il donne cet exemple) conduisent un autobus, et ceux qui savent et peuvent enseigner et commander dans l’Église, enseignent et commandent. Avec une précision importante : ce sont les « consacrés » (par qui ? depuis quand ?) qui décident de ce que chacun sait, peut et doit faire. Le cléricalisme à l’état pur, désolé.
Eh bien, rien de fondamental ne changera dans l’Église tant que la mentalité théologique de ses pasteurs consacrés actuels ne changera pas radicalement. L’Église ne peut pas être prophète et signe de communion dans un monde si déchiré, tant qu’elle ne change pas sa structure cléricale, tant qu’elle n’est pas elle-même une véritable communion fraternelle et morale, intérieurement et extérieurement. Et ce n’est pas pour le bien de l’Église, mais pour le répit plus large de l’humanité et de la planète.
J’évoque aujourd’hui le « transit » (la mort, le passage à la Vie) de François d’Assise, Frère Poverello, en 1226, à l’âge de 45 ans, et demain je célébrerai sa fête. Le vieux monde médiéval des rois, des seigneurs et des châteaux, des papes, des clercs et des grands monastères, des paysans, des serfs et des lépreux sociaux, s’écroulait. Un nouveau monde et une nouvelle Église voulaient émerger. C’était le rêve de François. Il ne voulait pas être un seigneur ou un homme riche, un clerc ou un moine. Il rompt avec son père, un riche marchand, figure de proue d’une bourgeoisie montante qui cherche à renverser l’ancien monde avec les mêmes armes : la richesse et le pouvoir. Un jour, François lui dit : « Je ne t’appellerai plus mon père Bernardone ». Et il rompit avec tout patriarcat social et ecclésial, bien qu’il n’ait jamais lutté contre personne. Il voulait seulement vivre comme un pèlerin, toujours en chemin, sans propriété ni maison, comme Jésus, en étant le frère cadet de tous les êtres humains et de toutes les créatures, en annonçant la paix et en ne condamnant personne. Et cela l’a rendu heureux, non sans de grandes blessures dans son corps et dans son âme.
Permettez-moi donc de vous saluer et de vous parler avec le respect, la liberté et les mots qui étaient chers au frère François : « Paix et bien, sœurs, frères et sœurs du Synode. Renouvelez le rêve du frère François, incarnez sa liberté fraternelle. Ne vous attachez pas à ce qui s’est dit, à ce qui s’est enseigné, à ce qui s’est fait en d’autres temps. Ne vous attachez pas aux doctrines et aux structures du passé. Ne vous attachez pas, même à la lettre, à ce que Jésus a dit ou n’a pas dit, a fait ou n’a pas fait il y a 2000 ans. Écoutez la voix qui nous parvient du cœur du monde et de toutes les créatures, nos sœurs : « Voici que je fais toutes choses nouvelles ».
Source :
https://josearregi.com/es/a-los-padres-sinodales/
Golias Hebdo n°836, p. 16