La femme évêque !
Jean Doussal.
6e dimanche C – Livre de Jérémie, chapitre 17
Le lendemain de son investiture (21 janvier 2025), « l’homme le plus puissant du monde » est sermonné par une femme évêque : « Au nom de Dieu, je vous demande d’avoir pitié de ceux qui ont peur aujourd’hui dans notre pays. » Le magnat n’est pas content du tout : « La soi-disante évêque qui a parlé mardi matin à l’office national était une extrémiste de la gauche radicale… » Dans le pays qui est nôtre, « les insoumis » réclament la censure pour mettre en place une autre « République ». Et voilà que l’Évangile du jour nous invite à accepter le monde tel qu’il va ! Heureux, malheureux… Luc étonne en énumérant celles et ceux qui peuvent se dire heureux. Il leur oppose, celles et ceux qui, au contraire, sont à l’aise, repus, considérés dans nos sociétés : ceux-là feraient bien de méditer qu’ils sont et seront malheureux. La situation des uns et des autres étant appelée à s’inverser, l’Évangéliste invite dès aujourd’hui à nous découvrir heureux dans la pauvreté, les privations, les dépressions, les humiliations !
Le texte de Jérémie est également fondé sur un parallélisme : maudit soit l’homme qui met sa confiance dans un mortel… Béni soit l’homme qui met sa confiance dans le Seigneur. Nous retenons dans la Première lecture l’évocation des années de grande sécheresse, alors que nous venons de subir de grandes inondations. Les scientifiques nous mettent en garde : l’homme « mortel » est le premier responsable des bouleversements en cours. Il nous faut militer pour une autre gestion des ressources. La prise de conscience doit être collective. Nous avons à être de ces combats-là, malgré « les hommes les plus puissants du monde ». Certains d’ailleurs ont trouvé le bon filon sur le « marché du carbone en 2024 ».
Pour les catholiques, la directive est-elle seulement de mettre en Dieu notre confiance… de supplier les jeunes Ukrainiens avec le pape François : « Soyez patriotes, refusez la guerre, pardonnez », du côté de nos évêques, d’assister à des messes de réparations, de solidarité avec les victimes, d’être tranquillement heureux dans nos pratiques, de psalmodier… Le psaume 1 suit cette Première Lecture. En bons pratiquants des dimanches et jours de fête, nous approuvons le chantre. « Heureux est l’homme qui n’entre pas au conseil des méchants, qui ne suit pas le chemin des pécheurs, ne siège pas avec ceux qui ricanent, mais se plaît dans la loi du Seigneur et murmure sa loi jour et nuit ! » Assurément, notre cœur ne s’est point détourné du Seigneur. « Il » est notre espoir. Les racines de notre foi sont anciennes et assurées. La leçon n’est pas à première vue pour nous qui, naturellement, mettons notre confiance en Dieu et non dans les hommes mortels. Pourtant, les versets 1 à 4 de ce même chapitre du prophète Jérémie ne nous parlent pas des hommes en général. Il vise « les fautes cultuelles de Juda ». Il suspecte notre pratique. Tout peut paraître normal : nous sommes comme l’arbre planté au bord des eaux. Nous croissons à l’aise sans véritables contraintes ni matérielles ni morales, mais quelles sont nos racines, nos attaches profondes, celles qui se révèleront aux jours de sécheresse ou de submersion ?
Il nous est demandé de célébrer Jésus-Christ bienheureux, mais l’homme premier, celui dit de Nazareth, n’était-il pas un révolté ? Un homme qui ne mâchait pas ses critiques (cf. chapitre 26 de Matthieu taxant les clercs de « sépulcres blanchis »). L’homme qui avait fomenté le projet de renverser les tables des marchands du Temple va en être châtié, et alors il donne la pleine mesure de son abandon : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné… « Toi Seigneur, ne sois pas loin… » La prière se poursuit en Christ : « Tu m’as répondu… et je proclame ton nom devant mes frères en pleine assemblée » (Psaume 21). Témoigner et affronter lorsque ça va mal.
Golias Hebdo n°852, p. 19