La vie ? Sortir du « tout biologique »
Par Michel Deheunynck
Notre Église nous rappelle, de façon récurrente, l’indispensable respect de la vie humaine. Comment ne pas être en accord avec ce message dans un monde où la vie de tant d’hommes et de femmes économiquement fragilisés est sacrifiée aux intérêts financiers des plus nantis ?
Elle tient à ajouter « du début à la fin ». Bien sûr ! Mais quel début et quelle fin ? Cela suppose de s’entendre sur une définition de la vie humaine dans toutes ses dimensions et d’abord les plus nobles. Comme les autres hautes instances morales de notre société, elle serait bien placée pour nous aider à élargir et à élever notre sens de la vie humaine et sa définition. Or, s’agissant de préciser où et quand se situe, selon elle, le début de cette vie, elle s’en tient à un critère seulement biologique et étroitement limité à la « conception ». Non pas la conception, pour un couple, du projet que leur rapprochement corporel, mais, plus encore, humain, donne la vie à un enfant, mais du simple rapprochement de deux cellules, la fécondation. Certes, on pourrait attendre une définition de la vie humaine un peu moins restrictive que cette opération un peu « biomécanique ».
Décidément, notre Église serait donc plus matérialiste qu’elle ne le prétend…
On attendrait d’elle qu’inspirée par l’esprit de l’Évangile, elle place l’amour comme déterminant de toute vie, relationnelle, sociale, spirituelle. Il en serait ainsi de l’amour d’un couple pour son enfant quelque soit le statut civil, religieux ou sexuel de ce couple et quelle que soit la modalité procréative qui leur a permis d’accueillir cet enfant et de lui témoigner de l’amour qui lui a donné la vie : celui de l’étreinte affective de ses parents, celui de la générosité solidaire d’un autre couple donneur de cellule, celui des soignants qui ont accompagné cette démarche au service de la vie, celui des humanistes qui militent pour soutenir cette solidarité.
En outre, même si on ne définissait la vie que par sa dimension biologique, la fécondation serait loin de suffire à cette définition. Plus de 80 % des œufs fécondés sont, en effet, éliminés, car, justement, non-porteurs potentiels de vie. Lui succède la nidation qui elle, au moins, permet, via le placenta, une relation à un environnement nutritionnel et humain. Que serait une vie sans rapport à un environnement ? Mais, bien plus déterminant encore, s’engage ensuite la différenciation cellulaire qui s’organise dans la durée. Saint-Paul, dans sa 1ère lettre aux Corinthiens (12/14-26) avait bien compris que cette différenciation et la solidarité intercellulaire qui en résulte peut seule faire d’un agencement cellulaire un corps vivant. Nous pouvons d’ailleurs, avec lui et comme lui, extrapoler que la condition première de toute vie en humanité est la solidarité de notre corps social dans la différence de ses membres. Et ce devrait être à ce niveau qu’on pourrait attendre un positionnement clair et crédible de notre Église dans sa vocation prophétique en humanité.
Cette solidarité sociale peut concerner aussi la vocation humaine des embryons dits « surnuméraires » de l’aide médicale à la procréation, vocation non relayée par un projet parental, mais par un projet de recherche humaine, vocation qui redonne à ces embryons toute une dignité au service d’une vie plus large que la leur et, elle, solidairement, porteuse d’avenir.
Quant à ce qu’il en est de la fin de vie, le même enjeu est de savoir comment définir la vie, ce qu’il en reste, au-delà du simple fonctionnement biologique du corps. Les débats autour de l’euthanasie y gagneraient sûrement. La pratique des soins palliatifs recueille un certain consensus, mais, en phase terminale, soulager efficacement et légitimement la douleur suppose d’utiliser les analgésiques morphiniques à une dose majorée qu’on sait être létale. Où est alors la limite entre accompagner la vie restante et l’abréger ? Est-ce vraiment le bien-être et la dignité de la personne en fin de vie qui reste le premier critère de décision ou, plus subjectivement, la (bonne) conscience morale de l’accompagnant, parent ou soignant, compromis dans la décision ?
Là encore, le soutien humain et spirituel attendu en Église mériterait bien mieux qu’un rappel à un bon ordre immuable, formulé en termes d’interdit et d’absolu culpabilisants. Et permettrait de contribuer plus sereinement à tous ces questionnements en débat dans notre société avec une définition de la fin de vie et de la mort peut-être autre que celle du service de réanimation, de l’état civil ou des pompes funèbres…
Comme me disait mon Évêque « On parle beaucoup du début et de la fin de la vie. On en oublierait presque que le plus important, c’est quand même le milieu ! »