Un livre explique comment Teilhard met en accord sa foi avec son expérience
Par Melissa Jones
À des moments cruciaux de son histoire, l’Église s’est résolument impliquée dans le domaine de la recherche scientifique pour tenter de la bloquer. Cela n’a jamais bien fonctionné pour l’Église. Qu’il s’agisse de la théorie copernicienne ou des moyens contraceptifs, lorsque la foi dément les preuves scientifiques et l’expérience personnelle, ce sont la science et l’expérience qui ont tendance à l’emporter.
Nous sommes nombreux à avoir du mal à concilier les principes obsolètes d’une foi à laquelle nous tenons avec les preuves scientifiques en plein essor concernant le monde qui nous entoure. Dans le livre récent Teilhard’s Struggle : Embracing the Work of Evolution (La lutte de Teilhard : comprendre l’œuvre de l’évolution), la sœur de Saint. Joseph Kathleen Duffy décrit le prêtre français Teilhard de Chardin comme le saint patron de cette lutte.
Teilhard était un prêtre jésuite et un paléontologue de talent qui s’efforça de réconcilier les preuves apportées par les fossiles de la théorie de l’évolution de Charles Darwin avec les enseignements théologiques catholiques traditionnels. Son amour de la Terre et les fouilles géologiques dans ses couches l’ont conduit à refuser de voir la création comme un événement ponctuel.
Ceci, ainsi que sa vision mystique d’intégration de l’esprit et de la matière cosmique, l’ont plongé dans une vie de conflit avec les autorités de l’Église. Il ne pouvait pas accepter le dualisme persistant dans le catholicisme qui voit la matière et l’esprit comme séparés.
Duffy utilise une citation de son ouvrage Le Milieu divin pour expliquer son point de vue : « Au moyen de toutes les choses créées, sans exception, le divin nous assaille, nous pénètre et nous façonne. Nous l’avons imaginé comme lointain et inaccessible, alors qu’en fait nous vivons immergés dans ses couches brûlantes ».
Duffy est professeur de physique au Chestnut Hill College de Philadelphie et elle est l’auteur de plusieurs livres sur Teilhard. Elle participe également aux efforts visant à le faire nommer docteur de l’église. Son expérience en tant que physicienne, religieuse et enseignante fait d’elle un excellent guide pour ceux d’entre nous qui avons hésité à aborder les travaux de Teilhard en raison de leur complexité et de leur langage spécifique.
Elle commence par se concentrer sur son essai majeur, La puissance spirituelle de la matière. Cela ouvre la voie à la compréhension du travail de sa vie – une lutte pour trouver le salut spirituel en allant au cœur de la matière. Dans cet essai, nous découvrons la vision mystique qui l’a conduit à une bataille intime avec la matière et l’accroche qui l’amène à conclure que la matière est vivante, en évolution et emplie de la présence incarnée de Dieu. Il voit la matière comme englobant toute la réalité qui nous entoure et nous avertit que nous pouvons être détruits par elle ou apprendre à l’utiliser comme voie vers le salut.
En se concentrant sur les points clés de la lutte dans la vie de Teilhard, Duffy contribue à réduire la complexité de ses écrits mystiques, scientifiques et théologiques.
En plus de ses écrits séminaux, elle examine ses lettres. Ce faisant, elle révèle le côté humain du grand penseur et nous permet de voir que ses idées peuvent être pertinentes pour nos propres luttes personnelles et intellectuelles.
Elle décrit un enfant profondément troublé par l’observation de la mutabilité et de la décadence, et qui était motivé par la question « Qu’est-ce qui maintient tout en ordre ? »
Dans sa recherche de permanence et de cohérence, il est devenu fasciné à la fois par la roche et par la religion. Il a trouvé sa passion personnelle dans les couches paléontologiques de la croûte terrestre et sa réponse théologique dans la lettre de Paul aux Colossiens (1 : 17b) : « Tout subsiste en lui. »
Duffy dit que Teilhard a combiné sa compréhension de Paul avec sa lecture de L’évolution créatrice de Henri Bergson pour trouver un rapprochement entre évolution et incarnation.
L’auteur explique en quoi le travail de Teilhard comme brancardier au cours de la Première Guerre mondiale a profondément influencé sa pensée et l’a aidé à comprendre l’importance de la communauté. Elle utilise des lettres, ses écrits et des événements historiques pour relier diverses expériences de sa vie, telles que les épreuves et les succès de son travail paléontologique, son exil en Chine, ses amitiés et ses amours.
La tension de sa lutte avec les autorités de l’Église et son engagement tenace à œuvrer au sein de l’Église malgré la censure qu’il a endurée sont présents tout au long du récit.
Duffy amène habilement le lecteur à réaliser que ces expériences et ces luttes étaient essentielles à son intégration spirituelle, théologique et personnelle. Elle écrit qu’il « a refusé d’être satisfait de sa foi jusqu’à ce que cela corresponde à son expérience ». Elle note qu’il lui a fallu environ 30 ans pour élaborer une déclaration de foi qui associe « son expérience humaine, les données disponibles sur le cosmos et la sagesse de sa tradition religieuse ».
Les écrits de Teilhard ont été bâillonnés de son vivant. Ainsi, nous voyons que l’Église, comme tant de fois dans le passé, a bloqué le type de pensée créatrice qui aurait pu l’aider à évoluer face aux courants intellectuels. Comme l’écrit Duffy : « Il considérait que son rôle était d’aider à libérer l’Église des manières obsolètes et statiques de penser et d’être. »
Il conçut un esprit divin qui n’était pas au-dessus de nous, mais devant nous, nous entraînant vers la convergence et le salut. Il semble que Teilhard lui-même savait qu’il devait rester dans la foi catholique pour la faire progresser dans sa vision de l’intégration.
Même si son travail a été étouffé, celui que Teilhard a laissé est fascinant. Nous ne pouvons qu’imaginer les dons qui auraient pu provenir de cette grande intelligence si sa lutte pour réconcilier théologiquement la matière et l’esprit dans les enseignements de l’Église avait été nourrie et mise en lumière alors qu’il était au meilleur de sa créativité.
Traduction : Lucienne Gouguenheim
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