RÉCEPTION CHALEUREUSE À ROME
Par Régine et Guy Ringwald
Qui aurait pu imaginer, il y a seulement trois mois, que Juan Carlos Cruz, James Hamilton et Andrés Murillo, les trois victimes de Karadima qui ont tenu bon dans leur dénonciation, non seulement des agissements du prêtre pédophile, mais aussi de “la culture de l’abus et la dissimulation dans l’Église”, assisteraient, dimanche dernier, le 29 avril, avec leur famille, à l’Angélus du Pape François, du balcon du Palais Apostolique ?
Le pape François les a rencontrés individuellement chez lui, à la maison Sainte Marthe, ce week-end, et tous ensemble, lundi.
Greg Burke, le porte-parole du Vatican, avait fait savoir que ces échanges ne feraient pas l’objet d’un communiqué officiel sur leur contenu, et que « sa priorité (de François) était de les écouter, de leur demander pardon, et de respecter la confidentialité des discussions », en les laissant parler “aussi longtemps que nécessaire, sans être contraints par un horaire défini”.
Dès la fin de leurs entretiens avec le Pape, les victimes se sont exprimées brièvement disant toutes leur satisfaction.
Jose Andres Murillo :
“Une pensée spéciale pour toutes les victimes, surtout celles qui n’ont pas eu le courage (de supporter), et qui se sont suicidées, pour éliminer cette douleur de leur vie”.
«J’ai parlé pendant deux heures avec le Pape. D’une manière très respectueuse et sincère, j’ai exprimé l’importance de comprendre l’abus comme un abus de pouvoir (et) la nécessité d’assumer les responsabilités.»
Il ajoute qu’il a un grand espoir « que tout cela soit utile, et aide à changer ce qui doit l’être, afin que le monde soit un lieu qui accueille, qui accompagne et qu’il n’y ait plus d’abus», que « l’Église soit une alliée » dans ce processus et qu’elle « ne prendra plus jamais le parti des abuseurs »
James Hamilton :
« Une rencontre de plus deux heures avec le Saint-Père, sincère, chaleureuse et très constructive ». « Très content et satisfait.
Juan Carlos Cruz :
« Un grand respect, avec affection et proximité, comme un père. »
« Nous avons approfondi de nombreux sujets… j’ai davantage d’espoir pour notre Église, même si la tâche est énorme ».
Mercredi 2 mai, Juan Carlos Cruz, James Hamilton et José Andrés Murillo, ont donné une conférence de presse, à Rome.
Ils ont d’abord exprimé leur reconnaissance « pour l’immense générosité et l’hospitalité » dont ils ont été l’objet. Ils ont ensuite rappelé que, « pendant une dizaine d’années, (ils ont) été traités comme des ennemis parce que nous avons lutté contre les abus sexuels et la dissimulation dans l’Église. Ces jours-ci, nous avons rencontré un visage amical de l’Église, complètement différent de ce que nous avons vu auparavant ». Ils ont aussi remercié le P. Bertomeu [1] qui les a accompagnés pendant leur séjour.
Ils ont confirmé le caractère libre, sincère et chaleureux de leurs entretiens avec le Pape. Celui-ci leur a demandé leur avis « sur des questions spécifiques et aussi théoriques ». Ils se réservent de faire des suggestions. Ils disent lui avoir parlé « de l’exercice pathologique et sans limité du pouvoir, ce qui est la pierre angulaire de l’abus sexuel et de la dissimulation ».
Cruz, Murillo et Hamilton ont redit qu’ils avaient décidé « d’accepter cette invitation au nom de milliers de personnes qui ont été victimes des abus sexuels et de la dissimulation de l’Église catholique. Ils ont été avec nous tout au long de cette visite… Nous espérons que le Pape François transformera ses paroles d’amour et de pardon en actions exemplaires. Sinon, tout cela resterait lettre morte. »
Note :
[1] Le P. Jordi Bertomeu participait à l’enquête menée sur place par Mgr Scicluna.
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VERS UN CHEMIN DE RENOUVEAU ECCLÉSIAL
Recevoir une invitation à Rome est agréable, car c’est une belle ville. Mais recevoir une invitation du Pape pour aller à Rome, parce que, comme évêques et Église du Chili, il y a des choses que nous ne faisons pas bien, n’a rien d’agréable.
Le pape François nous a appelés et nous, les évêques, irons à Rome pour l’écouter et pour dialoguer avec lui. En tant que Vicaire du Christ, il nous aidera à discerner comment accompagner les victimes, à réparer le mal causé, et à prendre des mesures pour aider à rétablir la communion ecclésiale. Avec lui, nous chercherons les meilleurs moyens de ranimer le discernement et le ministère du disciple missionnaire, et le cheminement vers une Église du Chili qui soit un témoignage crédible de la vie nouvelle du Seigneur ressuscité.
Je crois que les problèmes fondamentaux ne sont pas seulement la manipulation des consciences et l’abus des enfants, bien que ce soit très grave, mais une manière d’être Église et d’évangéliser que nous devons repenser, parce qu’ils ne contribuent pas au témoignage chrétien, et à l’engagement dans la société. La solution ne consiste pas à prendre des décisions superficielles et à court terme. Le chemin, dont on pressent qu’il sera long, doit avoir son origine comme son développement, dans ce renouvellement intérieur permanent qui touche les consciences et les volontés, et qui, par souci évangélique, s’exprime dans un témoignage crédible, non seulement au niveau des intentions, mais surtout par les œuvres.
Il est possible qu’aucun des problèmes évoqués, concernant l’Église du Chili, ne soit propre à notre pays. Mais la difficile et progressive prise de conscience que les abus de pouvoir et les abus sexuels dans l’Eglise ne doivent plus jamais se reproduire est quelque chose que nous venons d’apprendre avec douleur. La profonde souffrance causée par ces actes déplorables, et difficiles à guérir, c’est les victimes qui nous l’ont révélée, par leur témoignage et leurs récits.
Le pape Paul VI dans « Ecclesiam Suam « (1964) nous invitait déjà à dialoguer, à nous écouter, à nous exprimer pour avancer ensemble. Le travail de renouveau ecclésial, nous ne le ferons pas, nous les évêques, en nous écoutant nous-mêmes, c’est un défi pour tout le Peuple de Dieu et pour nous, en tant que membres du Peuple de Dieu. La première et urgente tâche, à laquelle l’épiscopat chilien est appelé, est d’écouter avec humilité le Christ, qui parle par la voix du Pape, puis de mener le dialogue au sein du Peuple de Dieu, et un dialogue à tous les niveaux, y compris avec ceux qui n’appartiennent pas à l’Église. Il est vrai que la vérité n’est pas le résultat de la somme des éléments. Mais, étant donné qu’elle a sa source dans l’Esprit, qui anime tout le Peuple de Dieu, nous devons tous nous efforcer de construire, à partir de la vérité et de la communion, une « Église en voie de sortie » qui prenne véritablement en charge les espoirs et les difficultés des hommes et des femmes d’aujourd’hui.
Jamais autant qu’aujourd’hui, nous n’avons eu besoin de « tranquillité intérieure » (J. Hamilton) et de sagesse, pour ne pas nous perdre dans les post-vérités qui obscurcissent la nature de la crise, et entravent la recherche de solutions. Jamais autant qu’aujourd’hui nous n’avons eu besoin d’humilité et de respect, pour reconstruire les relations et trouver une nouvelle façon de vivre, à partir de la certitude qui est le fondement de notre foi : le Christ est ressuscité et nous offre miséricorde et vie nouvelle.
Santiago Silva Retamales
Évêque aux Armées du Chili
Président de la Conférence épiscopale du Chili.
Santiago, samedi 28 avril 201
Source : http://www.reflexionyliberacion.cl/ryl/2018/04/28/hacia-un-camino-de-renovacion-eclesial/