Le langage des oiseaux
Par José Arregi
Comme chaque année, au signal du printemps, du mystérieux appel de la Vie qui reverdit et anime tout, les oiseaux se sont accouplés, ont construit leurs nids avec art et délicatesse, ont veillé nuit et jour sur leurs petits avec un zèle infatigable, même après leur départ du nid, jusqu’à ce qu’ils ont été capables de voler de leurs propres ailes. Ils ont fait tout cela en chantant.
Depuis mon enfance, je suis fasciné par les oiseaux, leurs couleurs, leurs nids et en particulier leur chant, qui est leur façon de s’entendre, de se faire la cour et de se défendre sans blesser. Et de nous consoler, à leur insu, dans nos moments de tristesse. Étonnantes créatures, à la fois si différentes et si semblables à nous. Si nous prenions la peine de les observer et de les écouter, nous apprendrions à admirer le Mystère inépuisable du monde, à vivre et à mourir, à être libres pour vivre en mourant.
Le retour des oiseaux et leur concert printanier m’ont poussé, il y a quelques semaines, à relire un livre singulier : Le langage des oiseaux de Farîd al-Dîn Attar, poète et maître à penser persan du XIIe siècle, adepte du soufisme. C’est une allégorie du chemin spirituel, à savoir, le chemin de la vie. Un hymne à l’humilité, au détachement, à l’amour, la seule voie pour parvenir à notre véritable être, à l’absolu ou au divin en nous. Dans la tradition islamique, l’oiseau est justement la métaphore de l’âme, de l’être profond.
Ce livre raconte l’histoire d’une audacieuse huppe qui convoqua cent mille oiseaux à une conférence mondiale. « L’amoureuse huppe » migratrice les exhorta par son chant persistant à note unique (bou-bou-bou), à entreprendre ensemble un long voyage au mont Kaf, dans la région du Caucase, où réside Simorgh, le roi des oiseaux. La plupart des oiseaux renoncèrent à un tel voyage arguant mille prétextes : le chemin est long et difficile et je suis faible ; j’ai beaucoup de défauts tels que l’orgueil ; j’aime l’or et les plaisirs ; je crains la mort ; de plus, comment trouverais-je Simorgh, ne l’ayant jamais vu auparavant ? Et quand bien même je le trouverais, je ne saurais quoi lui demander. Et puis, qui est cette huppe qui prétend nous guider ?
Ceux qui, néanmoins, décidèrent de faire le voyage durent traverser sept vallées : la recherche, l’amour sans limites, la connaissance, l’indépendance, l’unité, le vertige de l’amour qui prive de toute certitude et de tout savoir, et pour finir, la pauvreté et la mort ou l’oubli total de soi, « vallée au-delà de laquelle on ne peut avancer. Tu y seras attiré et tu ne pourras, cependant, poursuivre ton chemin. Une seule goutte sera pour toi comme un océan ».
Ils voyagèrent des années durant à travers monts et vallées, et nombreux furent ceux qui abandonnèrent l’entreprise en route. Finalement, seuls 30 oiseaux parvinrent, sans plumes ni ailes, à trouver la demeure de Simorgh. C’est alors que, entièrement libérés de tout et d’eux-mêmes, en parfaite harmonie avec leur propre être et toutes les choses, ils purent contempler sa face, connaître « Si-Morgh », qui en persan signifie « trente oiseaux ». En connaissant Simorgh, ils se connurent eux-mêmes. « Ils s’aperçurent que Simorgh et eux étaient le même et unique Être… Les oiseaux se fondirent alors pour toujours en Simorgh, l’ombre se confondit avec le soleil, et ce fut tout. »
C’est tout. Mais nous ne sommes pas encore parvenus au but, bien qu’il soit en nous. Ne nous désistons pas, ne nous perdons pas dans des débats futiles : Dieu et le monde sont un ou deux ? Unité, dualité, non-dualité ? Tout dépend de ce que l’on entend par un et deux. Dieu et le monde ne sont pas Un dans le sens numérique, car à nos yeux le monde est forme, la somme de formes multiples et calculables, mais Dieu n’a pas de forme. Il est dans toutes les formes, mais il n’est ni Forme ni Être calculable. Il EST, simplement : le Tout dépourvu de parts, la Plénitude vide de formes. De même, Dieu et le monde ne sont pas deux dans le sens numérique, tout comme l’oiseau et son être, ou le chant et sa voix, ou la voix et son message ne sont pas deux et ne sont pas séparés.
Mais nous sommes en route et nous cherchons notre Fond et notre Source, notre Être vrai et profond. Mais nous ne serons cet Être que lorsque nous nous libérerons entièrement de tout, même de toute croyance et religion : « Je ne suis ni croyante ni non-croyante », dit la mystique huppe balbutiante. Nous ne serons ce que nous Sommes tant que tous les êtres ne seront complètement libérés de ce qui les opprime, car nous sommes communion de Vie. C’est bien ce que le chant des oiseaux et le langage de tout être nous annonce.
Source : http://blogs.periodistadigital.com/jose-arregi.php/2018/06/11/el-lenguaje-de-los-pajaros
Traduction par Edurne Alegria