Ces livreurs à vélo qui construisent des alternatives face aux plateformes qui les précarisent
Par Rachel Knaebel (Basta !)
Le collectif des livreurs autonomes de Paris, le Clap, a lancé une grève des livreurs à vélo des plateformes comme Deliveroo, Foodora, Ubereats, pendant la dernière semaine du mondial. En jeu : des conditions de travail et des rémunérations toujours plus mauvaises. Mais aussi un projet d’amendement à la loi de réforme de l’assurance chômage qui empêcherait de facto les livreurs travaillant de manière contrainte sous le statut d’indépendant de se voir requalifiés en salariés. Face à la précarisation croissante imposée par les plateformes, et à un gouvernement qui préfère défendre l’intérêt des plateformes plutôt que celui des livreurs à vélo, ces derniers lancent partout en France des projets de coopératives de coursiers.
Pendant une semaine entière, du 8 au 15 juillet, jusqu’à la finale de la Coupe du monde, les livreurs à vélo travaillant pour les grandes plateformes en ligne de type Deliveroo, Ubereats, Foodora… ont fait grève, à l’appel du Clap, le Collectif des livreurs autonomes parisiens. Difficile de connaître le taux exact de grévistes parmi ces livreurs travaillant sous le statut d’indépendant et ultra-précarisés par les plateformes. Mais des rassemblements et des « déconnexions » massives étaient encore organisés à Paris et dans d’autres villes de France ce dimanche pour protester contre une dégradation des conditions de travail, toutes plateformes confondues. Les livreurs en grève demandent une tarification horaire minimum garantie par contrat, la prise en compte de la pénibilité du travail via des bonus (pour la pluie, le travail le week-end, la nuit…), et une activité garantie.
Le Clap, un collectif créé fin 2017 en réponse à la précarisation croissante des travailleurs des grandes plateformes de livraisons de repas, s’oppose également à un amendement à la loi de réforme de l’assurance chômage, adopté lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, mi-juin. Cet amendement, du député LREM Aurélien Tache, veut permettre à toute plateforme de type Deliveroo et Foodora d’établir une charte « déterminant les conditions et modalités d’exercice de sa responsabilité sociale, définissant ses droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elle est en relation ». Une charte qui ressemblerait à un contrat de travail, mais qui serait en fait là pour éviter que les livreurs indépendants puissent faire valoir leurs droits de salariés de fait. « Il est prévu que cette charte et les éléments qu’elle contient ne constituent pas des indices de requalification de la relation contractuelle en relation de travail salarié », souligne le député En Marche dans l’explication de son amendement. L’objectif est bel et bien de protéger les plateformes plutôt que les travailleurs [1]. « Les plateformes sont restées muettes depuis le début de la grève. Nous faisons grève certes, mais pour elles, ça ne change rien », déplore Karim, livreur pour Ubereats, l’un des travailleurs à l’origine du mouvement de grève.
Des projets de coopératives de livreurs à Bordeaux, Nantes, Paris, Bruxelles…
Parallèlement à la grève, un deuxième front de lutte contre les plateformes prédatrices se construit depuis un an : celui des projets de sociétés coopératives alternatives aux grandes plateformes. Ces initiatives ont été montées à Paris (Olvo), Nantes (les Coursiers nantais), Toulouse (Applicolis), Poitiers (Le Poit’ à vélo), Bordeaux (les Coursiers bordelais)… « Avant, je travaillais pour Takeeateasy. J’ai commencé en 2015. Au début c’était très bien, j’étais étudiant, il y avait une bonne ambiance. Mais ça s’est très vite dégradé », témoigne Arthur, cofondateur des Coursiers bordelais. La société Takeeateasy a finalement été liquidée en 2016, et a laissé tous ses livreurs sur le carreau. Mais dès novembre 2017, Arthur et deux autres anciens livreurs de l’ancienne plateforme lancent les Coursiers bordelais : une société alternative de livraison à vélo, avec l’objectif de devenir une coopérative le plus vite possible. « Nous avons pour l’instant une association de préfiguration. Mais nous disposons aujourd’hui des fonds et de l’activité pour avoir deux salariés, condition nécessaire pour devenir une Scop (société coopérative et participative, NDLR). Ce sera pour les mois qui viennent », assure Arthur.
Face à la concurrence des Foodora, Deliveroo et autres, les Coursiers bordelais ont pour l’instant laissé de côté la livraison de repas. « Nous travaillons pour les commerces locaux, beaucoup de fleuristes ; nous livrons aussi des prothèses dentaires, du gaz carbonique, de tout », précise le fondateur. À Toulouse, les livreurs à vélo d’Applicolis, qui développe aussi un projet de coopérative, travaillent également, en plus des petits commerces locaux, pour des supermarchés. Mais pas pour les restaurants : « Le modèle de type Deliveroo n’est pas rentable sans exploiter les livreurs », estime Florent, fondateur d’Applicolis.
« Livrer des repas est dans nos projets, mais plutôt en 2019. Car cela demande plus d’outils, pour la relation aux clients particuliers », explique Arthur des Coursiers bordelais. Justement, des livreurs, des développeurs, des anciens activistes de Nuit debout se sont réunis dans l’initiative Coopcycle pour mettre à disposition des coopératives de livreurs, en France et ailleurs, une application efficace comparable à celles des grandes plateformes. « Nous sommes aussi en relation avec des projets en Belgique », précise Antoine, de Coopcycle. A Bruxelles, la société de livreurs à vélo Molenbike est d’ores et déjà sous statut de coopérative. « Nous échangeons avec plusieurs projets espagnols », ajoute Antoine. Soit un début d’internationale des livreurs à vélos en coopérative, face aux multinationales du secteur qui ont basé leur business-model sur la précarisation.
Rachel Knaebel
Notes
[1] En novembre 2017, la cour d’appel de Paris avait refusé à un livreur indépendant travaillant pour Deliveroo la requalification de son travail en contrat salarié. Mais, d’un autre côté, Deliveroo est sous le coup d’une enquête judiciaire de l’Office central de lutte contre le travail illégal pour « travail dissimulé », comme le révélait Médiapart début juin.
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