Chili : l’Église catholique s’enlise
Par Régine et Guy Ringwald
Au Chili, l’Église catholique n’a pas encore touché le fond. Relevons ici les signes qu’il faudra suivre dans l’avenir proche et plus lointain : des cas de « manquements » de la part de prêtres, et de couverture par les évêques sont révélés quotidiennement, et les accusations de dissimulation touchent même ceux qui paraissaient inspirer encore une certaine confiance ; la mise en place d’un épiscopat présentable s’avère bien difficile, la Justice agit sans plus se gêner.
Certes, le cas de Mgr Barros, à Osorno, est réglé [1], bien que subsiste le problème de la place des laïcs : ceux-ci ont eu la force de s’élever contre l’inadmissible, et voudraient bien qu’on tire les leçons de cet épisode ; les opposants (qui avaient soutenu Barros) tiennent toujours au pouvoir qui vient d'”En-haut”, avec les bases idéologiques que cela suppose.
A Concepcion [2], un prêtre connu pour des travaux qui ont donné lieu à un livre : « Personne, éducation et démocratie » est formellement accusé de viol sur un enfant de onze ans, au temps où il était supérieur du petit séminaire. Mais les plaintes déposées par le père ont été ignorées. N’en soyons pas trop surpris : le préfacier de son livre n’est autre que l’ancien archevêque de Concepcion, et il s’appelle Ezzati, actuel archevêque de Santiago. Le livre avait d’ailleurs été présenté publiquement en présence de l’actuel archevêque de Concepcion, Mgr Fernando Chomali. Cela tombe mal, Mgr Chomali était le favori pour l’archevêché de Santiago (Ezzati a passé la limite d’âge et il fait l’objet de nombreuses accusations de dissimulation).
Là, nous touchons un autre problème que le Pape François a la difficile mission de traiter : la réorganisation de l’épiscopat chilien. La démission en bloc des évêques n’était pas un cadeau. C’était renvoyer à François le fardeau de cette hiérarchie dont on sait comment elle avait été mise en place par le nonce Sodano et ses successeurs. Revenons donc au siège à pourvoir à Santiago. Trois candidats émergeaient : Mgr Santiago Silva, évêque aux armées et président de la Conférence épiscopale, Mgr René Rebolledo, évêque de la Serena [3] et Mgr Chomali. Malheureusement, Mgr Silva était l’auxiliaire à Valparaiso de Mgr Duarte qui vient d’être « débarqué » par suite d’accusations portées par plusieurs séminaristes. Ils accusent Mgr Silva de ne pas avoir reçu leurs plaintes, et d’avoir eu des mots contre les plaignants. Mgr Rebolledo, connu pour être carriériste, proche du nonce Scapolo, a été un soutien de Barros, méprisant les laïcs qui étaient pourtant ses anciens fidèles, à Osorno justement. Quant à Chomali, il avait pour lui d’avoir fait une démarche auprès du Pape pour le dissuader de nommer Barros, mais il est rattrapé par l’affaire que nous venons de citer et qui fait la chronique en ce moment. Alors qui ? Eh bien, personne ! Une hypothèse prend corps en ce moment avec une certaine insistance: faute de le trouver au Chili, faire venir de Rome un administrateur apostolique, et pas n’importe qui : le P. Jordi Bertomeu, l’enquêteur qui assistait Mgr Scicluna, qui a tout vu, tout entendu, apparemment tout compris, et qui jouit au Chili d’une cote de confiance unique. Ce n’est encore qu’une hypothèse.
Le siège de Santiago est évidemment le plus sensible, mais le problème est général. Pour remplacer les évêques dont il a déjà accepté la démission, le Pape François a complètement dépeuplé l’archevêché de Santiago qui n’a plus aucun évêque auxiliaire et dont l’archevêque est en partance. Pour remplacer Mgr Goic à Rancagua, où a été découvert le scandale du réseau « La Familia », c’est Mgr Fernando Ramos qui a été nommé. C’est lui qui avait organisé le voyage du Pape, en espérant un séjour bien tranquille, bien à l’abri. On a vu avec quel succès… A son installation, assistaient les cardinaux Ezzati et Errazuriz, les deux grands spécialistes de la dissimulation, depuis le temps de Karadima, exécrés par tout le Chili. Provocation? Inconscience?
Pendant ce temps-là, la Justice ne prend plus de précaution, et n’attend plus que la hiérarchie lui signale des cas. La chronique religieuse des journaux se confond de plus en plus avec la rubrique judiciaire. Les premières actions avaient été de spectaculaires perquisitions à Rancagua et Santiago, diffusées en boucle sur la télé d’info en continu. D’autres viennent d’avoir lieu à Temuco et Villarica, en pays mapuche, où des cas de dissimulation ont été dénoncés. L’ancien chancelier de l’archevêché de Santiago a été mis en prison : il s’était dénoncé lui-même, mais on a découvert qu’il n’avait pas tout dit, et il est sous le coup de sept chefs d’accusation. La politique de la Justice est clairement d’enquêter sur l’initiative directe du Procureur, même en l’absence de plainte des victimes, dès qu’il est connu qu’une enquête canonique a été ouverte. C’est ce qui s’est passé à Temuco. Selon le site des États-Unis Crux Now, ce n’est pas tellement du pape que les évêques ont à craindre des réactions désagréables, mais plutôt des juges.
Une question, en passant : dans tout cela, qu’est devenu le message du Christ?
Notes :
[1] https://nsae.fr/2018/06/15/chili-le-pape-accepte-la-demission-de-mgr-barros/ [2] Concepcion : deuxième agglomération du Chili, à 500 km au sud de Santiago [3] La Serena, à 500 km au nord de Santiago