Libérer Jésus
Par Victor Codina
Lors du conclave de mars 2013 qui a précédé l’élection du pape François, le cardinal Bergoglio a fait des interventions intéressantes, l’une d’entre elles étant assez curieuse et peu connue.
En commentant le texte de l’Apocalypse 3:20 où il est dit que le Seigneur est à la porte et frappe, Bergoglio a déclaré que, de toute évidence, le texte se réfère à Jésus frappant à la porte de l’extérieur pour entrer.
Mais il a ajouté qu’il pensait aux moments où Jésus frappe de l’intérieur pour que nous le laissions sortir.
Cette interprétation pourrait sans doute scandaliser de nombreux érudits bibliques, mais c’est une idée intéressante parce que, comme l’ajoute Bergoglio, l’Église autoréférentielle cherche à conserver Jésus en elle et ne le laisse pas sortir.
En d’autres termes, nous avons inclus Jésus dans les doctrines, les lois, les rites, les temples, les palais épiscopaux et les structures du passé. Nous avons tenu Jésus prisonnier pendant des siècles dans l’Église occidentale, médiévale, féodale, inquisitoriale, coloniale, diplomatique, puissante, anti-moderne, absolutiste, bourgeoise, patriarcale, centraliste et élitiste de la chrétienté. Jésus a été enfermé dans des structures ecclésiales qui le séparent des pauvres et des simples, des enfants et des femmes, des paysans et des pêcheurs, des migrants et des réfugiés, de tous ceux qui dans toutes les cultures et religions cherchent la vérité.
Jésus veut sortir dans la rue, ne pas être prisonnier du passé, voyager sur de nouvelles routes, fouler le sol, aller aux frontières, sentir le mouton, la poussière, la sueur et les larmes, entendre le cri du peuple, converser, embrasser, étreindre, donner un coup de main, guérir, bénir, prononcer des paroles d’encouragement, pardonner, consoler, proclamer le Royaume, générer l’espoir et la joie, donner la vie, puisqu’il possède seul le Saint-Esprit sans mesure.
Nous devons libérer Jésus des nombreuses prisons dans lesquelles nous l’avons enfermé au cours des siècles, retrouver la fraîcheur de son Évangile, retourner en Galilée, écouter sa voix prophétique contre les hypocrites et les exploiteurs actuels du peuple, contre les nouveaux marchands du temple, retrouver Jésus l’artisan Nazaréen, dangereux et déconcertant, capable de faire confiance à son Père, de mourir et ressusciter.
Mais libérer Jésus ne signifie pas dire « Jésus oui, Église non », mais plutôt former une Église non autoréférentielle, mais extravertie, évangélique, transparente, en sandales ou pieds nus, pauvre, missionnaire et pascale, détachée de tout pouvoir temporel, impliquée dans la libération des personnes et de la création, défiée par la souffrance des victimes, joyeuse de la joie du Saint-Esprit. L’Église ne peut pas se substituer à Jésus ; elle doit favoriser une rencontre personnelle avec lui.
C’est seulement quand nous aurons libéré Jésus de ces prisons et l’aurons laissé sortir dans le monde d’aujourd’hui pour écouter les gens, que serons capables de lui ouvrir la porte, qu’il pourra entre dans notre maison, que nous pourrons dîner avec lui et lui avec nous.
Au conclave de 2013, Bergoglio annonçait déjà sa future feuille de route pastorale et le style d’une église sortante. C’est peut-être à cause de cela qu’il a été élu pape et peut-être pour la même raison que d’autres le rejettent aujourd’hui. Mais ce qui est certain, c’est que le Seigneur frappe à la porte. Veut-il entrer ou veut-il sortir ?
Source : http://blog.cristianismeijusticia.net/2018/07/12/liberar-a-jesus
Traduction anglaise : http://iglesiadescalza.blogspot.com/2018/07/freeing-jesus.html
Traduction française : Lucienne Gouguenheim
Quel beau texte !
Annie Grazon