Par Amanda Marcotte
Tant la prédation sexuelle que la politique anti-choix sont enracinées dans l’idéologie patriarcale et une culture de la honte du sexe.
On parle souvent des scandales liés aux abus sexuels dans l’Église catholique comme s’il s’agissait du passé, mais cet été, 16 ans après la célèbre série « Spotlight » du Boston Globe, cet événement horrible continue de se dérouler. Cette semaine, un grand jury en Pennsylvanie a publié un rapport accusant plus de 300 prêtres d’avoir abusé de plus de 1 000 enfants en sept décennies. Les détails sont presque incompréhensiblement terrifiants, y compris des accusations de viols répétés, de pornographie juvénile et de prêtres qui ont marqué leurs victimes avec des bijoux pour alerter d’autres prédateurs que ces enfants avaient été « préparés » à accepter des abus.
« Le camouflage était sophistiqué. Et pendant tout ce temps, de façon horrible, les dirigeants de l’Église gardaient des traces des abus et de leur dissimulation », a déclaré le procureur général de Pennsylvanie Josh Shapiro lors d’une conférence de presse. « Ces documents, provenant des “Archives secrètes des diocèses”, ont constitué la colonne vertébrale de cette enquête. »
Comme l’a dit le professeur de sciences politiques Scott Lemieux dans un article publié sur le blog Lawyers, Guns & Money, ces révélations sont particulièrement importantes actuellement, alors que Donald Trump tente de recomposer la Cour suprême pour renverser l’arrêt Roe v. Wade [1]. M. Lemieux note que « l’Église catholique de Pennsylvanie a joué un rôle moteur dans la mauvaise législation limitant les droits à l’avortement ». À la même époque, l’Église couvrait activement les viols systématiques d’enfants. En outre, cette législation « a été à l’origine d’un procès intenté par le gouverneur de l’État qui a gravement dégradé l’arrêt Roe v. Wade et a failli entraîner sa suppression ».
Le futur tribunal, composé d’au moins deux personnes nommées par Trump, sera probablement en mesure de mettre fin aux protections nationales du droit à l’avortement.
L’église de Pennsylvanie a travaillé simultanément à protéger les agresseurs d’enfants tout en faisant pression pour que des lois punissent les femmes pour des relations sexuelles consensuelles. Mais c’est une accusation qui fait à peine surface. La réalité beaucoup plus troublante est que la volonté de couvrir les prédateurs sexuels est tout à fait compatible avec le plaidoyer pour des restrictions sur les droits reproductifs des femmes. Les deux attitudes sont ancrées dans le même engagement empoisonné de mettre les hommes en position de domination sociale permanente et de rejeter l’idée que les femmes et les enfants jouissent d’une autonomie physique et de droits en matière de sécurité sexuelle.
Cette vérité est devenue plus évidente au cours des deux dernières années quand la droite chrétienne a apporté son soutien total à Donald Trump. Il y a eu pléthore de bavardages autour de la question de savoir si les positions sexuelles autoproclamées du christianisme évangélique le positionneraient contre Trump qui a été pris sur le vif en se vantant de ses adultères et en prétendant qu’il accoste des femmes parce que « quand vous êtes une star on peut le faire ». Au lieu de cela, la droite chrétienne a rallié les troupes et aidé Trump à entrer à la Maison-Blanche, où elle continue à le défendre alors qu’il court de plus en plus d’histoires sur son achat du silence de stars du porno et de modèles.
Mais en fait, il n’y a jamais eu de véritable conflit entre la droite chrétienne et Trump. Les postures religieuses conservatrices à propos de la «moralité» ont toujours été une couverture très mince du programme réel, qui met en place un contrôle social et affirme la domination des hommes sur les femmes. Trump, qui qualifie les femmes de «chiennes» et croit clairement qu’elles n’ont aucune valeur en dehors de leur désirabilité sexuelle, est en parfaite accord avec un mouvement chrétien conservateur dont les platitudes insincères sur les «valeurs» servent principalement à entraver les efforts des femmes en matière d’égalité. Trump et la droite chrétienne sont alignés dans leur véritable conviction, à savoir que les femmes doivent rester à leur place.
Il n’y a donc pas de véritable conflit au sein de l’Église catholique qui couvre les abus sexuels tout en essayant d’empêcher les femmes d’accéder à des services d’avortement légaux et sûrs. Dans les deux cas, il s’agit d’utiliser la sexualité comme outil pour imposer des hiérarchies patriarcales. Dans les deux cas, il s’agit d’un groupe d’hommes conservateurs qui conspirent pour organiser le monde afin de détenir le pouvoir et que tous les autres soient soumis à leurs caprices.
La honte est aussi un facteur majeur ici. La même honte sexuelle que les conservateurs religieux tentent d’instaurer avec des restrictions sur les droits reproductifs est également utilisée pour réduire au silence les victimes d’abus sexuels. Il est difficile pour les victimes de s’exprimer, précisément parce que la sexualité suscite beaucoup de honte. Les victimes, hommes et femmes, sont souvent soumises à des enquêtes sexuelles, où l’on utilise leurs activités consentantes comme des « preuves » de leur caractère dégradant et ne méritant donc pas de protection contre les abus.
Il est possible qu’une des raisons pour laquelle de plus en plus de victimes de maltraitance sont aujourd’hui disposées à parler soit que le mouvement pro-choix a tant fait pour déstigmatiser les rapports sexuels consentants. La peur qu’éprouvaient les victimes – de se faire passer pour une personne ayant des relations sexuelles consentantes et de les apprécier fort probablement – n’a plus le pouvoir qu’elle avait auparavant, créant plus d’espace pour s’exprimer.
En fin de compte, la leçon à tirer est que les groupes religieux n’ont aucun moyen de préserver leurs traditions de domination masculine et de honte du sexe tout en éliminant les abus sexuels. Le grand nombre de prêtres qui ont agressé des enfants confirme ce que les experts ont longtemps dit à propos des prédateurs sexuels, à savoir qu’ils cherchent délibérément des espaces où ils pensent pouvoir tirer parti de la honte et du pouvoir d’abuser des gens. Aussi difficile qu’il soit pour beaucoup de l’accepter, l’Église catholique romaine a créé un terrain de chasse parfait en raison de son sexisme enraciné, de sa structure hiérarchique et de sa culture de la honte du sexe. La seule façon d’éliminer les abus consiste à éliminer ces valeurs patriarcales.
Note de la rédaction
[1] Roe v. Wade, 410 U.S. 113 est un arrêt historique rendu par la Cour suprême des États-Unis en 1973 sur la question de la constitutionnalité des lois qui criminalisent ou restreignent l’accès à l’avortement. La Cour a statué que le droit à la vie privée en vertu de la Due Process Clause du quatorzième amendement de la Constitution des États-Unis s’étendait à la décision d’une femme de se faire avorter, mais que ce droit doit être mis en balance avec les intérêts de l’État dans la réglementation de l’avortement : protéger la santé des femmes et protéger le potentiel de la vie humaine. (Source : Wikipedia)
Traduction par Lucienne Gouguenheim