L’Église dans une impasse ?
Par Régine et Guy Ringwald
L’accumulation de révélations concernant la pédophilie entame gravement la crédibilité de l’Église catholique. On ne peut plus ignorer que la crise touche maintenant toute la société, et d’abord dans les pays concernés par les scandales les plus criants : en ce moment, les États-Unis, le Chili, l’Australie.
De toute part, on entend que les paroles de regret, de pardon, de honte, etc. ne suffisent plus. Si c’est le cléricalisme qui est cause de ce mal, les imprécations ne suffiront pas, mais la mesure pratique qui nous en délivrera ne saute pas aux yeux ! C’est d’une révolution qu’il s’agit.
En Irlande, la visite de François est, en dehors des ferventes manifestations officielles, l’occasion de protestations, certaines directement dirigées sur sa personne. Marie Collins qui a assisté, samedi 25, à la rencontre du Pape avec les victimes de pédophilie, s’est dite déçue : “rien de nouveau”. Or on se souvient qu’elle avait démissionné de la Commission Pontificale parce qu’elle ne parvenait pas à faire mettre en place une juridiction pour les évêques qui couvrent les prédateurs. Il est vrai que cela contrevient au principe de souveraineté de l’évêque dans son diocèse. Mais alors quelle réforme de structure sera-t-elle possible ? L’ancienne présidente, Mary McAleese (1997-2011), a soulevé comme un malaise, la semaine dernière, quand elle a révélé qu’en 2003, le Secrétaire d’État de l’époque, Angelo Sodano, avait proposé un accord tendant à… protéger les archives de l’Église !
Sur le problème de la pédophilie, l’attitude du Pape François ne parvient pas à dissiper l’impression de flou et d’inconstance, qui peut se comprendre vu la complexité du sujet, mais qui nuit gravement à l’application du principe de “tolérance zéro”, et pourrait aller jusqu’au constat d’impuissance. Au moment où a été publiée la “lettre au peuple de Dieu”, on s’attendait à des mesures fortes. On nous dit maintenant que l’arsenal existant est suffisant. Mais il ne vise que la sanction des coupables, avec un succès mitigé, et il ne s’attaque pas aux causes
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Une institution en faillite
Par Jean-François Bouchard
Je suis un homme plutôt nuancé dans ses propos et rarement bruyant dans l’expression de ses opinions. J’estime qu’il faut garder sa capacité d’indignation pour les rares choses qui en valent le coût. Ces dernières semaines, comme tant d’autres catholiques, j’ai mal encaissé le dernier acte d’une sinistre suite de dénonciations sérieuses et fondées d’abus de nature sexuelle commis par des membres du clergé en grand nombre. Le lugubre tour du monde des affaires de pédophilie (de l’Australie aux États-Unis en passant par le Chili, l’Irlande et le Canada) commence à être un peu lourd à supporter pour le fidèle lambda. Les affaires récemment dévoilées par le procureur de l’État de Pennsylvanie ont eu l’avantage de livrer un verdict sans appel que l’on n’osait pas croire : ce n’est pas qu’une histoire d’individus déviants, c’est un système pervers qui a longtemps donné l’impunité à des délinquants dangereux. Et, de toute évidence, ce n’est pas de l’histoire lointaine. Quand on parle des années 90, il n’est pas question du XIXe siècle…
J’en tire deux conclusions dont je suis conscient de la gravité. Mais, à bien y penser, aussi durs soient les mots, ils ne sont rien à côté des horreurs commises.
- La crise que traverse l’institution catholique romaine est de l’ampleur de ce qui a conduit à la Réforme au XVe siècle. La délinquance largement répandue de la part d’un grand nombre de prêtres jette le discrédit sur l’ensemble du clergé, bien qu’une part importante d’honnêtes hommes soient sans tache. Luther dénonçait la corruption du clergé. Bien qu’un tel jugement soit injuste pour les hommes de bien, il ne s’en applique pas moins à ce qui est divulgué maintenant (et depuis une trentaine d’années). La « corporation professionnelle » des prêtres est en crise. Le clergé est sévèrement discrédité et il n’a qu’à s’en prendre à lui-même. Et comme si ce n’était pas assez, on comprend maintenant que les manœuvres de cover up des délinquants de la part de l’épiscopat n’ont pas été épisodiques, le lot de quelques hommes dépourvus de jugement, mais une pratique coutumière largement répondue. Comme on dit dans le monde des affaires, cela relevait de la « culture d’entreprise ». Or, faut-il le rappeler, ce sont des crimes qui ont été dissimulés, et des criminels qui ont été soustraits à la justice. Comment qualifie-t-on une organisation qui protège des criminels ? Je n’ose écrire la réponse qui, à elle seule, indique que l’institution catholique est sur une trajectoire obscure. L’argument souvent entendu selon lequel les gestes de quelques-uns ne doivent pas confondre toute l’institution ne tient plus. L’institution, souillée par les crimes sordides d’un grand nombre de ses cadres, n’est plus crédible. Elle a failli à ses devoirs élémentaires : comment pourrait-on lui faire confiance ?
- Le discrédit institutionnel est une chose. L’effondrement moral en est une autre. Comment ne pas être profondément scandalisé par le fait que le clergé s’est fait le porte-parole des plus sévères consignes morales dans le domaine sexuel pendant que nombre de prêtres s’autorisaient ce que la plus élémentaire des morales naturelles interdit. On a chargé les fidèles, les femmes surtout, d’un fardeau moral parfois inhumain tout en fermant les yeux sur les plus immondes des comportements de prêtres. L’outrage est immense. Et la conclusion terrible : l’Église n’a plus aucune crédibilité dans le domaine. Elle devrait se taire pendant au moins un siècle avant de reparler de sexe. Je reprendrais volontiers les mots des Athéniens à Saint-Paul : « sur cette question, nous t’entendrons une autre fois », tout en virant les talons. Il faut être digne des exigences éthiques que l’on veut énoncer. L’Église a gravement failli à son devoir. Elle a fait de sa théologie morale la plus vaine des idéologies. À ceux qui disent qu’il faut distinguer le message de l’institution (et de son « hommerie ») je dis que je vis dans le monde réel, dans le concret de la vie, pas au ciel. Et sur la terre, la crédibilité du discours moral va de pair avec la cohérence de ceux qui l’énoncent. Dans la foulée de Vatican II, le magistère romain a eu l’audace de reprendre à son compte un slogan du marxisme en déclarant l’Église « experte en humanité ». Je n’aurais jamais cru qu’une si noble ambition deviendrait une cynique description du pire. Experte en humanité ? Ça ne fait pas de doute, et dans ce qu’elle a de plus terrible…
Pour rester dans le ton, on se souvient du pauvre Loisy qui, dans un élan d’exaspération, avait eu ce mot ironique : « Le Christ a annoncé le Royaume et c’est l’Église qui est advenue ! »
Aujourd’hui, dans une des crises les plus graves vécues par le catholicisme, l’Église s’est embourbée elle-même dans un désastre que les mots, les discours et les communiqués ne répareront pas. L’institution a rendez-vous avec le réel. Et, dans le réel, la fin est une hypothèse plausible.
Source : http://presence-info.ca/article/culture/une-institution-en-faillite
Une femme tient une pancarte lors d’une conférence de presse tenue par le Survivors Network of those Abused by Priests (SNAP) dans le diocèse de Pittsburgh le 20 août 2018.
Source de l”illustration : CNS Photo/Chaz Muth – http://presence-info.ca/article/eglises/abus-sexuels-les-eveques-du-canada-publieront-leurs-normes-de-prevention-cet-automne)