Par Nancy Sylvester
Il m’est difficile de trouver les mots pour exprimer ce que je ressens à la révélation du rapport de l’enquête de 18 mois sur les abus sexuels commis par des prêtres catholiques en Pennsylvanie. Le nombre de prêtres – plus de 300 – et le nombre d’enfants maltraités – plus de 1 000 – sont bouleversants.
Dans les témoignages des victimes, on ressent la douleur et la honte même bien des années après. L’ampleur du viol est difficile à imaginer lorsque la victime considère l’agresseur comme un représentant de Dieu.
L’abus est horrible. Je sentais que je voulais accompagner les victimes dans ma prière et j’ai choisi la pratique contemplative du tonglen [1] si merveilleusement enseignée par Pema Chodron [2]. M’engageant dans cette pratique, j’ai essayé de respirer dans le sentiment de leur douleur. J’ai ressenti la lourdeur d’un rocher pressé contre ma poitrine ; l’obscurité tout autour de moi ; l’oppression de mon corps ; je me suis sentie acculée sans pouvoir m’échapper. Puis j’ai imaginé des dons dont ils avaient besoin. J’ai expiré l’image d’une mère berçant son enfant avec un amour inconditionnel ; un champ de fleurs sauvages créant un espace sûr pour jouer ; et une douce guérison embrassant le mystère divin. Inspirer la douleur. Expirer les dons.
La tragédie est que les abus continuent, avec les enquêtes en cours et les nouvelles informations faisant état d’abus au Chili et en Australie, et de nouvelles accusations d’abus de séminaristes et de jeunes prêtres par des hommes plus âgés souvent évêques et cardinaux. L’abus des femmes par le clergé ordonné dans les pays du monde entier est à présent mis en lumière, créant ce que Mary Hunt qualifie de « triplet catholique de la honte ».
Alors que je réfléchissais à tout cela, quelque chose d’autre tentait de surgir en moi pour ne plus me quitter. Au début, c’était la colère contre l’abus de pouvoir dans l’Église. Le pouvoir exercé à travers la vision d’un système hiérarchique classe les personnes en fonction de leur importance relative. Les personnes jugées plus importantes dominent souvent celles qui sont considérées comme moins importantes, les obligeant à faire des choses qu’elles ne choisiraient pas de faire.
Les personnes dominées savent qu’elles seront punies ou subiront de graves conséquences si elles ne s’y conforment pas. Pendant trop de siècles, le complément d’une telle vision du monde a été la conviction que les hommes détiennent le pouvoir et que les femmes en sont largement exclues et doivent être soumises aux hommes. Toutes deux sont à l’œuvre dans l’Église catholique.
Ensuite, ma colère s’est exacerbée alors que je pensais à la manière dont ces suppositions concernant l’infériorité des femmes ont été dangereusement couplées au sein de l’église officielle en termes d’enseignement de la sexualité.
L’enseignement de l’Église catholique sur la sexualité s’inscrit dans une théologie et une psychologie du dualisme qui considèrent le corps humain comme dangereux et doit donc être maîtrisé.
Le but fondamental des rapports sexuels toujours compris dans le mariage était d’assurer la continuité de l’espèce et du lignage masculin. La femme devait se soumettre sans conteste aux exigences sexuelles de son mari. Cette intégration des hypothèses, des valeurs, des croyances et des comportements conscients et inconscients a créé une position intenable pour de nombreux catholiques, et en particulier pour les femmes.
Compte tenu des conceptions de la psychologie, de la théologie, de la science et de la spiritualité contemporaines, de nombreuses femmes refusent d’être considérées comme inférieures aux hommes ou soumises au pouvoir masculin. Elles comprennent la beauté de leur sexualité et savent qu’elles sont tout aussi capables que les hommes de prendre des décisions et d’agir en tant qu’agents moraux, en particulier en ce qui concerne les décisions relatives à leur sexualité. Ces femmes comprennent le pouvoir d’être en relation et d’agir au sein d’une communauté, en particulier lorsqu’elles prennent des décisions critiques.
Au début, ces pensées semblaient tellement enchevêtrées et pourtant, alors que je lisais encore une fois les abus des enfants par les prêtres, je savais que tout est lié. Compréhension malsaine de son corps, de sa sexualité ; pouvoir sur et supériorité masculine ; et la croyance que les femmes sont moins que les hommes : tout est lié.
Et alors je me suis demandé comment puis-je embrasser tout cela de façon contemplative. Étonnamment, toute la hiérarchie, pape, cardinal, évêque, monseigneur, prêtre, diacre… est apparue dans mon esprit. J’ai senti que c’était un défi, mais aussi une invitation.
J’ai reconnu que même si certaines politiques et procédures ont été mises en place pour empêcher que de tels abus horribles se reproduisent, cela ne transforme pas nécessairement la vision du monde ou la conscience qui permet et autorise un tel comportement. Cela ne vient qu’avec la grâce et la prière.
J’ai décidé de rassembler l’ensemble de la hiérarchie du clergé masculin dans ma pratique du tonglen.
Au début, il était difficile de les voir comme des victimes. Mais ensuite je les ai vus comme victimes d’une façon différente.
Ils deviennent des victimes en continuant de consentir aux privilèges d’une vision du monde historique qui a sanctionné une théologie et une structure cléricale qui détruisent maintenant la crédibilité de l’Église en tant que leader moral. Les larmes jaillirent en moi en ressentant, comme je pense que le font aussi certains clercs, la trahison de la puissance des enseignements de l’Église concernant la paix, la justice, les bonnes relations, l’attention portée à notre Terre et l’option préférentielle pour les pauvres – qui ne sont désormais plus entendus ou pris au sérieux.
Je me suis représenté les clercs masculins et j’ai essayé de respirer dans la douleur qu’une telle vision du monde inflige à ses victimes. J’ai senti la constriction serrée de ma gorge ; le poids des siècles faisant pression ; les crampes d’estomac combattant les peurs intérieures ; l’obscurité m’enveloppant.
J’ai ensuite essayé d’imaginer quels dons étaient nécessaires. J’ai expiré les images de chaînes qui se sont détachées de cette vision du monde ; le feu de la Pentecôte qui ouvre les esprits et les cœurs à voir d’une nouvelle façon ; une humilité qui invite à une prostration profonde demandant le pardon et témoignant de la transformation et un courage de laisser tomber tous les pièges privilégiés. Inspirer la douleur. Expirer les dons.
Je sens que je vais répéter cette pratique plus d’une fois. Je crois qu’en faisant cette pratique et en envoyant des dons de transformation aux membres du clergé de notre Église, quelque chose se transformera en eux et en moi.
Je crois que l’Église cléricale est à la recherche de son âme. Je me souviens aussi de quelque chose que l’on dit toujours : l’Église est humaine. Peut-être ce scandale nous aidera-t-il à revendiquer notre humanité en tant qu’Église, peuple de Dieu, en nous invitant tous à réinventer la manière de vivre dans notre avenir.
Notes de la rédaction :
[1] Le tonglen est une pratique de méditation bouddhiste. Elle apprend à absorber ce qui est négatif pour le restituer sous forme positive ; elle permet de dépasser nos peurs et de développer notre capacité d’acceptation des événements extérieurs.
[2] Sur le chemin de la transformation : Le tonglen. Pema Chödrön, Stéphane Bédard (traduction), Pocket, 2006.
Traduction : Lucienne Gouguenheim
Illustration : Dreamstime / Elena Ray